Men of D-Day


    
 Troop Carrier
Michael N. Ingrisano
Robert E. Callahan
Benjamin F. Kendig
John R. Devitt
Arthur W. Hooper
Ward Smith
Julian A. Rice
Charles E. Skidmore
Sherfey T. Randolph
Louis R. Emerson Jr.
Leonard L. Baer
Robert D. Dopita
Harvey Cohen
Zane H. Graves
John J. Prince
Henry C. Hobbs
John C. Hanscom
Charles S. Cartwright
 
 82nd Airborne
Leslie Palmer Cruise Jr.
Marie-T Lavieille
Denise Lecourtois
Howard Huebner
Malcolm D. Brannen
Thomas W. Porcella
Ray T. Burchell
Robert C. Moss
Richard R. Hill
Edward W. Shimko
 
 101st Airborne
John Nasea, Jr
David 'Buck' Rogers
Marie madeleine Poisson
Roger Lecheminant
Dale Q. Gregory
George E. Willey
Raymond Geddes
 
 Utah Beach
Joseph S. Jones
Jim McKee
Eugene D. Shales
Milton Staley
 
 Omaha Beach
Melvin B. Farrell
James R. Argo
Carl E. Bombardier
Robert M. Leach
Joseph Alexander
James Branch
John Hooper
Anthony Leone
George A. Davison
James H. Jordan
Albert J. Berard
Jewel M. Vidito
H. Smith Shumway
Louis Occelli
John H. Kellers
Harley A. Reynolds
John C. Raaen
Wesley Ross
Richard J. Ford
William C. Smith
Ralph E. Gallant
James W. Gabaree
James W. Tucker
Robert Watson
Robert R. Chapman
Robert H. Searl
Leslie Dobinson
William H. Johnson
 
 Gold Beach
George F. Weightman
Norman W. Cohen
Walter Uden
 
 Juno Beach
Leonard Smith
 
 Sword Beach
Brian Guy
 
 6th Airborne
Roger Charbonneau
Frederick Glover
Jacques Courcy
Arlette Lechevalier
Charles S. Pearson
 
 U.S.A.A.F
Harvey Jacobs
William O. Gifford
 
Civils
Philippe Bauduin
Albert Lefevre
René Etrillard
Suzanne Lesueur
Marie Thierry
 

 

Malcolm D. Brannen
1st Lt. - Hq Co. - 3rd Battalion - 508th Parachute Infantry Regiment.

Une belle journée pour reporter de 24 heures une opération aéroportée! Oui vraiment, le 4 juin 1944 était idéal pour cela, nuageux et pluvieux, plafond bas et visibilité proche de nulle. Et pourtant, tous ces facteurs réunis ne faisaient aucune différence pour les parachutistes qui de toutes façons, pluie ou pas pluie, une fois reçu l'ordre d'y aller, seraient partis quoi qu'il arrive. Le problème résidait plutôt au niveau de l'Air Corps dont les pilotes du Army Transport Command auraient été incapables de trouver et de reconnaître les zones de largage (DZ=Drop Zone) sur lesquelles nous devions sauter. Il leur fallait de belles conditions de navigation et aussi pouvoir revenir vers les aérodromes d'où ils étaient partis, tandis que nous serions livrés à nous-même, terminant en quelques secondes la première phase de notre attaque, à savoir la phase du saut depuis les avions et l'atterrissage en un point d'où nous pourrions nous organiser pour débuter la mission.
Le report signifiait une nouvelle journée à vérifier une fois encore les derniers détails sur les cartes, les plans de route et les plans de mission. Cela signifiait aussi une dernière chance d'écrire à la maison, d'aller voir un dernier film et surtout, une bonne bouffe et une bonne nuit de sommeil, sur un lit et avec une couverture… de bien belles pensées!

Le 5 juin se leva sur un jour radieux et l'on sut bien avant que le mot ne nous soit transmis que cette fois on partirait, quelle que soit la météo. Nous étions prêt. Nous étions tous des bleus mais nous étions bons et nous le savions. On devait le savoir, on nous l'avait répété de nombreuses fois, de la bouche de notre commandant de division, le Major Général Ridgway, de son assistant, le Brigadier Général Gavin, du Général Chapman, ancien commandant du Airborne Command, de la bouche aussi du Général Howell, ancien commandant de l'école de parachutisme et à présent commandant de la 2nd Parachute Brigade, et par nos officiers supérieurs. Donc, nous étions bons, et nous étions bons… et prêts à partir!

Nos avions avaient été chargés avec nos containers d'équipement le jour initialement prévu pour le décollage, et il ne nous restait qu'à les surveiller contre d'éventuels tripatouillages et de les vérifier une dernière fois pour s'assurer que les lumières d'identification étaient en état de marche. Ces containers étaient attachés selon la méthode dite "Daisy chain", c'est à dire qu'ils étaient reliés ensemble de façon à être largués et à tomber bien soudés ensemble. Nous vérifions également que le système de largage automatique était enclenché, permettant au chef d'équipage de tout larguer à un moment précis, et que les bandes fluorescentes (illuminus spaghetti) étaient intactes.

Le 5 juin passa ainsi et vers 20 heures, nous commençâmes à mettre l'équipement prévu pour notre premier saut de combat. Il consistait en notre uniforme de combat habituel, nos bottes, et un uniforme de saut imprégné contre les gaz. C'était très inconfortable et nous le haïssions. Mais nous apprîmes à l'aimer, bien que pour d'autres raisons.
Puis vint le tour de notre poignard, attaché à notre jambe de manière à pouvoir être utilisé dans le cas où il nous faudrait nous libérer de notre parachute ou dans le cas où il nous faudrait faire usage d'arme silencieuse pour éviter de tirer sur un ami et de signaler notre présence à l'ennemi qui serait dans notre voisinage à notre atterrissage. Nous mîmes ensuite nos rations K et D dans nos poches, ainsi que nos étuis à cartes (des pochettes faites maison avec un plastique transparent pour protéger nos cartes de France). Nous prîmes ensuite notre couteau de poche, une grenade Gammon, deux ou trois grenades à fragmentation, une grenade " thermite ", une bouteille de comprimés d'Halozen pour purifier l'eau que nous trouverions, et enfin divers articles variés pour notre usage personnel et notre confort. Ensuite, nous mîmes la ceinture avec le pistolet et les poches de munitions, ainsi qu'une pelle, un compas, un nécessaire de premier urgence identique à celui de l'infanterie en plus du nécessaire spécial para que nous attachions à notre brelage, et enfin, un bidon plein d'eau. Nous portions aussi un sac à dos rempli de vêtements de rechange, chaussettes, imperméable, outils de nettoyage, lampe et autres objets personnels. Nous attachâmes aussi une mine anti-tank à notre brelage de telle sorte qu'elle pende devant nous. J'avais un Colt .45 sur la hanche droite, une carabine M1A1 calibre .30 dans un " étui à violon " attaché sur ma cuisse droite au-dessus du pistolet. Un masque à gaz pendait sous ma carabine et j'avais un étui à jumelles autour du cou. Le parachute arrivait ensuite, et après des tirages et des poussées et beaucoup d'aide, je parvins à placer correctement ma ceinture de parachute et les deux bandes de jambes dans leurs positions respectives. Le parachute de réserve était fixé sur ma poitrine par des sangles reliées au parachute principal. Je portais en outre un poste de radio SCR 536 sur mon épaule gauche et un sac supplémentaire sous mon sac à dos. Il y avait dedans les batteries de rechange et les archives de la compagnie, des trucs et des machins nécessaires au poste de commandement (CP) une fois à terre. Mon casque lourd et son liner, ainsi qu'un bonnet vert olive tricoté par ma sœur pour les intempéries ou pour n'importe quel usage, complétaient mon uniforme et mon chargement, portant mon poids total à près de 150 kg.

Notre chef de saut (jumpmaster), le capitaine Alton Bell, officier exécutif du bataillon et S-3 (Officier de planification et d'entraînement), et le capitaine Hillman C. Dress m'aidèrent à grimper dans l'avion, le "Pagliacci", et à 22 heures 15, tous les 18 paras du stick étaient assis dans l'avion. J'étais numéro 16 et il y avait derrière moi notre sergent d'opération et notre dessinateur de cartes, respectivement les sergents Warren Peak et Calvin W. Hall. Nous étions tout près du cockpit, essayant de nous faire aussi confortable que possible dans nos petits sièges baquets malgré notre lourd chargement inhabituel.

A 22 heures 45, après que les pilotes soient arrivés et aient chauffé les moteurs, nous commençâmes à rouler depuis notre place jusqu'à la piste dans un rugissement qui nous empêchait même de penser, encore moins de parler entre nous.
Il commençait juste à faire sombre et tout ce que nous pouvions entrevoir par les petites lucarnes étaient quelques ampoules d'éclairage sur la piste et les feux des autres avions. On devinait un peu les haies, les cours d'eau, les routes en les survolant.
Lorsque nous fûmes en vol, les hommes commencèrent à fumer et quelques-uns discutaient. J'échangeais quelques mots avec le sergent Peak et le caporal King Burke, un des sous-officiers sans affectation de la section de renseignement du bataillon, numéro 15 dans notre stick. Puis j'essayais de trouver le sommeil. Ce fut un sommeil irrégulier et difficile à tenir sur ce minuscule siège avec tout l'équipement qui s'y trouvait. La porte à travers laquelle nous allions quitter l'appareil était grande ouverte, ce qui rafraîchissait l'atmosphère de la cabine. Je m'enfonçai dans mon siège aussi profondément que possible. Cela ne m'aida pas beaucoup.

Nous atteignîmes bientôt la zone des marais, puis ce fut la Manche. La mer était magnifique avec les reflets de la lune qui lui donnait un aspect argenté et qui me rappela ses reflets chez moi sur la côte Atlantique. Mais elle avait aussi un air froid et peu engageant.
A ce moment, toutes les cigarettes étaient éteintes et aucune lumière ne brillait dans l'appareil. Nous étions à présent à portée de canon et la moindre lumière à bord d'un avion pourrait traduire la présence de toute la formation, mettant en danger toute l'opération.
Quelques minutes encore et nous franchîmes les deux îles situées au large des côtes françaises, Jersey et Guernesey. Nous savions que nous n'étions plus qu'à 20 minutes des zones de largage. Bientôt, les côtes de France apparurent, ainsi que les sinistres bruits des "ack ack" et des canons de flack. L'avion commença à piquer du nez, à tanguer et à cahoter comme un bateau en plastique, ou comme pris dans un torrent turbulent, et nous nous faisions secouer assez fort. Personne ne pipait mot, ou seulement pour demander si tout allait bien, ou bien " t'as entendu celui là? ", faisant allusion à la flack ou aux balles traçantes des canons ennemis en dessous de nous.
Cependant, il y avait eu un sacré choc à l'avant de l'appareil. Nous autres, à l'arrière, ne pouvions ni voir ni entendre assez pour comprendre ce qui se passait. Plus tard, j'appris qu'en, passant entre les îles de Jersey et Guernesey, lorsqu'on nous avait donné le signal des 20 minutes, le soldat Calhoun dit à notre maître de saut, le capitaine Bell : "Mon parachute s'est ouvert". Et ainsi, dans le bref laps de temps de 20 minutes, on enleva le parachute et l'équipement de Calhoun dont l'arrière était déchiré, et on le lui remplaça avec tout son équipement réajusté à temps pour sauter, ce qu'il fit avec tous les autres quand s'alluma la lumière verte, synonyme de " GO! ".
La lumière d'avertissement des 4 minutes s'alluma juste à quelques milles de notre Drop Zone (DZ).

Notre C-47 dansait dans les airs- et je dis bien dansait- de haut en bas comme si on était ballotté par les vagues d'un océan plutôt que par des turbulences. Notre chef de saut (jumpmaster), le capitaine Bell cria : " Levez vous et accrochez vous! " et d'un seul mouvement, 18 bras gauche attrapèrent le câble central et y fixèrent le mousqueton de leur static line. Cela prit un peu de temps pour quelques-uns d'entre nous car nous étions si serrés avec 18 hommes les uns sur les autres, lourdement chargés de surcroît et aussi parce que l'avion était comme un cheval fou qui se cabrait. Ce câble semblait ne pas vouloir tenir en place. Finalement, nous fûmes bientôt tous attachés. Puis nous vérifiâmes nos équipements et signalâmes que tout était OK.
Je m'accrochais au câble comme à la chose la plus importante de ma vie et il me semblait que mes mains, la droite accrochée au câble et la gauche sur le mousqueton, allaient se détacher de mon corps. Mon bras droit fut presque délogé de mon épaule. On ne tiendrait pas longtemps ainsi, pas plus que l'on ne resterait longtemps debout…
"LET'S GO! ". La lumière verte s'alluma -c'est à dire un petit filet de lumière de façon à ne pas éclairer trop l'intérieur de l'avion (on l'avait recouvert de bande adhésive avant le décollage de même que la lumière rouge). Cela ne me prit que quelques secondes pour m'échapper de l'avion et une fois dehors, pas plus longtemps avant que ne survienne l'horrible et pourtant bienvenue secousse de l'ouverture du parachute qui s'épanouit dans le ciel. Je jetai un regard vers les avions qui s'éloignaient rapidement et je vis deux parachutes au-dessus de moi, signifiant que les deux derniers hommes à sauter dernière moi étaient bien sortis et descendaient tranquillement vers le sol près de moi. Eux aussi avaient sauté aussi vite que les 15 autres hommes qui me précédaient, et notre saut en Normandie fut une réussite parfaite en ce qui concerne notre stick. J'espérais qu'il en allait de même pour tous les autres appareils.
J'apercevais des balles traçantes de toutes les couleurs qui montaient vers nous.
Je n'avais pas peur de celles que je voyais, mais de celles intercalées, qui étaient invisibles et dont je me demandais si l'une d'elle portait mon nom inscrit sur elle.

J'atterris sans être touché, mais j'appris plus tard que le numéro 15, Burke, avait reçu une balle dans le poignet en tenant ses suspentes. Je voyais les balles perforer la toile des parachutes des deux hommes au-dessus de moi (les deux qui avaient quitté le "Pagliacci" après moi), et je priais pour qu'ils atterrissent indemnes. J'appris plus tard qu'ils avaient touché le sol sains et saufs, comme tous les autres à l'exception du caporal King Burke. On s'occupa de lui et il put nous rejoindre un peu plus tard.
Lors de ma descente, j'essayais de toutes mes forces de me retourner afin de ne pas toucher terre en marche arrière. Je n'y parvenais pas et tous mes efforts ne réussirent qu'à me faire glisser sur le dos. Je vis les avions s'éloigner au milieu des tirs de mitrailleuses et j'aperçus beaucoup de nids de mitrailleuses au sol, envoyant des jets de balles traçantes dans les airs ; Je pensais en une fraction de seconde qu'il me faudrait m'éloigner d'eux après mon atterrissage. J'étais à 80 mètres du sol quand j'ai sauté en 16ème position d'un stick de 18 hommes.
Puis, "Swiiishh", me voilà au beau milieu d'un pommier! Je ne touchais même pas le sol, j'étais accroché au pommier, à me balancer à 30 cm de la terre ferme. Je n'eu pas à encaisser l'atterrissage grâce à l'arbre. Une pensée traversa mon esprit : "Seul Dieu peut créer un arbre" (Kilmer). J'étais sous SA surveillance, je le savais et je dis " Merci! ". Cependant, je ne parvenais pas à me libérer de mon parachute, malgré tous mes efforts. J'attrapai mon poignard et commençai à trancher dans mes sangles et dans mes harnais. Mais je ne faisais aucun progrès. Les sangles de jambes et de poitrine étaient si serrées près de mon corps que je ne parvenais même pas à y glisser ma lame. Une autre chose qui compliquait ma tâche à me libérer est qu'à chaque instant, quelqu'un passait en courant près de moi dont il m'était impossible de vérifier l'identité. Dès que quelqu'un approchait, je devais m'arrêter de me débattre pour me libérer. Je pensais que si je ne faisais pas cela, j'étais cuit. Une fois ces inconnus passés, je reprenais ma lutte pour me libérer.
Finalement, mes suspentes s'affaissèrent suffisamment pour permettre à mes pieds de toucher le sol. Je tombais dans un buisson d'orties et d'épines dans lequel je m'allongeais pour continuer à scier mon harnais avec un poignard que je croyais aiguisé comme une lame de rasoir. Cela me brûlait de partout sur les mains et le visage, mais c'était toujours mieux que d'être cramé et rôti par ces balles de mitrailleuses allemandes qui aspergeaient tout le pays et qui m'auraient été destinées si j'avais été repéré. Voyons, il y avait un nid de mitrailleuse à environ 80 mètres de moi, qui couvrait tout le secteur devant moi, du Nord à l'ouest.

Je distinguais les respirations et les murmures d'autres hommes échangeant les mots de passe et je découvris qu'il s'agissait de trois autres paras, juste à côté dans le fossé près de moi. Ils observaient tous cette mitrailleuse qui crachait la mort vers quiconque approchait.
Nous décidâmes de nous éloigner vers le nord-ouest pour rejoindre la position supposée de notre unité. Mais à cause de cette mitrailleuse, il nous fallu faire un grand détour qui nous mena vers le nord puis vers l'est. Mais plus on avançait, et plus on rencontrait de mitrailleuses et il nous fallait nous écarter vers l'est.
Un caporal du 508è me servait d'éclaireur et un soldat de la même compagnie me suivait. Puis, deux soldats du 307è Engineers fermèrent la marche. Nous tombâmes sur une route principale orientée Nord-sud mais n'osâmes pas l'emprunter. Nous nous contentâmes de la traverser.
Nous trouvâmes des fils courant le long de la route. Les hommes du génie du 307è dirent qu'ils s'agissaient de fils téléphoniques et nous les découpâmes en plusieurs morceaux et répandîmes les morceaux dans les fossés afin que les allemands aient du fil à retordre pour rétablir leurs communications.
Après avoir marché le long des haies vers le nord puis vers l'est pendant un bon moment, nous repartîmes cap au nord. Durant cette marche, nous aperçûmes un C-47 s'écraser en flammes à quelque distance de nous et je me souviens des bruits des moteurs qui s'éteignaient et se rallumaient avant de s'enflammer et avant que l'avion ne disparaisse derrière une colline. Finis pour un des nôtres! Que Dieu les bénisse!
Nous vîmes d'autres C-47 s'éloigner après avoir largué des planeurs et nous les observâmes glisser vers le sol. Bien! Nous nous dîmes que les choses se passaient comme prévu et que les renforts et les approvisionnements seraient à l'heure.

Alors que nous progressions, nous tombâmes sur des équipements parachutés, certains éparpillés, d'autres encore empaquetés et certains containers dont une partie du chargement avait été retirée. D'un de ces containers, on récupéra un bazooka et 12 roquettes. On échangea un M1 dont la crosse était brisée - résultat du saut- contre ce bazooka.
En continuant toujours cap au nord à travers toujours plus de haies, nous arrivâmes sur un chemin où se trouvaient deux tentes et deux motos. Après un tour d'horizon de la situation, toujours en alerte contre les pièges et autres systèmes d'alarme, nous conclûmes qu'il n'y avait plus personne et qu'il devait s'agir d'un poste de commandement d'officiers allemands. Nous détruisîmes toutes chances d'utiliser les motos en crevant les pneus et nous entassâmes tous les éléments du poste de commandement dans une des tentes. Puis nous poursuivîmes notre route en longeant le chemin vers une grande maison en bordure d'un champ.
Après ce champ et près d'une autre route, nous rencontrâmes le Lieutenant Harold Richard, de la compagnie A du 508 PIR, ainsi que son agent de liaison, le sergent Hall. Nous nous connaissions bien, ayant servi ensemble lors de la création du régiment à Fort Blanding en Floride. Nous étions heureux de trouver d'autres hommes de notre régiment.
Après une brève discussion, nous décidâmes de demander notre route à la grande ferme mentionnée plus tôt et qui était à une quarantaine de mètres de nous. Notre groupe était à ce moment là composé de 12 soldats et de deux officiers. On se divisa pour encercler la maison. Le lieutenant Richard, un soldat et moi-même frappâmes à la porte. En quelques secondes, un français très excité se précipita à l'entrée, ou plutôt jaillit de la porte. D'autres occupants de la maison regardaient par les fenêtres du rez de chaussée et à l'étage. En utilisant notre dictionnaire de français et nos cartes, nous réalisâmes que nous nous trouvions entre PICAUVILLE et ETIENVILLE. Excellent! Nous étions environ à mi-chemin entre ces deux lieux et surtout nous savions exactement où nous nous trouvions pour planifier notre prochaine destination et rejoindre nos troupes. A l'étage, il y avait une grande agitation parmi les enfants qui nous regardaient avec de grands yeux nos uniformes américains au lieu des habituels uniformes allemands.

Je m'écriais : "Une voiture arrive! Arrêtons la!". Le Lieutenant Richard s'écarta de la porte de la maison et se planqua contre le mur, tandis que d'autres hommes se dissimulaient derrière le mur d'enceinte de la ferme. Les portes de la maison claquèrent et je me mis au centre de la route, levai la main en criant "Stop!". Mais la voiture accéléra. Elle passa près de moi et je traversai rapidement la route. A ce moment, je pense que tout le monde ouvrit le feu sur la voiture en même temps, et j'entendis claquer une douzaine de coups de feu simultanément car je me trouvais dans la ligne de tir de certains membres de notre groupe. Je m'allongeai sur la route et observai la voiture atteinte par de nombreuses balles. Elle vint percuter le mur du jardin et celui de la maison lorsque le conducteur, en essayant de se protéger des balles, perdit le contrôle du véhicule. La bagnole était percée de balles de part en part et le pare-brise était éclaté.
Le chauffeur, un caporal allemand fut éjecté de son siège et essaya de se cacher en passant par la lucarne de la cave mais n'y parvint pas. L'officier assis à l'avant fut trouvé écroulé au fond de son siège, la moitié du corps pendant à l'extérieur du véhicule, bel et bien mort. L'autre occupant de la voiture assis à l'arrière de la Duesenberg ou de la Mercedes Phaeton, était au milieu de la route et rampait pour attraper un Luger qui venait de lui échapper des mains quant la voiture heurta le mur de pierre. J'avais traversé la route après que la voiture m'ait dépassé lorsque j'avais essayé de l'arrêter et j'étais grimpé sur un talus près de deux mètres au dessus de la route, bénéficiant ainsi d'un angle de vue parfait sur la situation, la route, la maison, la voiture, et tous les témoins présents, Français, allemands et américains.
De ma position au-dessus de la route en terre, je voyais le caporal Allemand essayer de s'échapper en passant par le soupirail de la cave et j'ouvris le feu sur lui avec mon .45, éraflant son épaule. Il s'assit contre le mur où nos soldats vinrent s'occuper de lui.
Je voyais aussi l'officier allemand ramper sur la route vers son Luger à quelques mètres de lui. Il me regarda alors que je me tenais sur le talus au dessus de lui, à 3 ou 4 mètres sur sa droite. Il s'approchait tout doucement de son arme en me suppliant en allemand et en répétant en anglais "DON'T KILL! DON'T KILL!… " Je me dis : "je ne suis pas un tueur de sang froid, je suis un être humain, mais s'il atteint ce Luger, ce sera lui ou moi ou l'un de mes hommes". Alors j'ai tiré! Je l'atteignis en plein front et il ne sentit rien venir. Il ne souffrit pas. Le sang jaillit de son front à deux mètres de haut, et comme une fontaine qui se tarit lentement, s'arrêta graduellement.
En examinant chacune de nos victimes, nous découvrîmes que nous avions tué un Major et un Major Général, (nous apprîmes plus tard qu'il était Lieutenant Général) et avions fait un prisonnier, un caporal, à qui l'on fit porter deux valises pleines de documents trouvés dans la voiture, que nous souhaitions remettre au quartier général dès que nous rentrions en contact avec le 508 PIR. En quittant la scène de l'action, je déchirai la casquette du général, à la recherche d'une identité ou d'une unité, et je découvris que le nom était "FALLEY". Je pensai : "J'ai un Steve Fallet dans mon escouade de mitrailleuse".

Nous pensâmes que plus tôt nous quitterions cet endroit, mieux cela serait. Nous partîmes vers le sud-ouest, vers ETIENVILLE, le village d'où notre deuxième bataillon devait attaquer les allemands. Ils devaient s'emparer du village. Plus tard, nous réalisâmes qu'il avait fallu deux divisions avec force artillerie et bombardements aériens pour s'en emparer. Un gros objectif pour un bataillon totalement désorganisé de parachutistes, déjà beaucoup plus faible numériquement qu'un bataillon normal d'infanterie. Qu'importe, nous nous dirigeâmes vers ce village, avec le même caporal du 508è en éclaireur que j'avais utilisé avant de rencontrer le lieutenant Richard. Je suivis ce caporal.
Le lieutenant Richard suivait, avec le sergent Hall et le caporal allemand prisonnier, le sergent Johnson et le reste des hommes. Notre arrière garde était formée par un bon soldat du 307è Engineers.
Nous restions collés aux haies, et évitâmes plusieurs maisons avant d'atteindre une route secondaire, puis une petite bourgade. Nous traversâmes ce petit groupe de maisons et prîmes vers l'ouest à travers une cour bordée d'une grande grange que longeait un chemin qui menait derrière la grange vers de grandes étendues de champs et de larges prairies.
Mon éclaireur et moi-même contournâmes la grange par le sud vers la barrière du champ ouverte entre deux haies. Les autres prirent par le nord de la ferme vers les haies. Je ne distinguais aucun mouvement dans les champs et hésitais quant à ce que nous devions faire ensuite. Je vis alors tous nos hommes dépasser la grange. Je criais au soldat des Engineers en arrière garde : "Surveille nos arrières, ne laisse personne nous rejoindre, ne mets pas en danger notre sécurité arrière." A peine avais je terminé que "bang!", ce même soldat avait ouvert le feu et tué un allemand qui visait directement l'éclaireur et moi. Whoa! C'était près! Après quelques recherches, nous trouvâmes un téléphone et des fils dans la grange, que nous nous empressâmes de détruire.

Que faire à présent? Nous pensâmes que tout le voisinage avait certainement entendu le coup de feu et était maintenant en alerte, vigilant à tout, objet ou humain, se déplaçant dans le coin. Un problème se présentait à nous sous la forme d'un grand champ long et large d'environ 200 mètres et complètement ouvert à la vue de tout ennemi posté de l'autre côté. Mon éclaireur et moi-même nous tenions près de l'entrée au bord d'une haie et observions la situation quand j'entendis deux fois "snap-snap". Mon éclaireur s'exclama : "qui m'a tiré dessus?". Il se tourna vers moi et me lança le regard le plus pitoyable que j'ai jamais vu. Alors qu'il parlait, je réalisai que j'étais moi aussi à découvert et je plongeai sur ma droite à l'abri de la haie. Au moment où je me jetais à terre et avant d'avoir pu lui répondre, j'entendis deux "ping" et vis le visage éberlué de mon caporal, vomissant un filet de sang. Il tomba face contre terre, bras en croix et jambes écartées, pointant vers le ciel. Réaction! Réalisation!
C'était le premier soldat américain que je voyais réellement mourir, un parachutiste, caporal de notre 508è Régiment je crois. D'autres coups de feu me ramenèrent à la réalité de la situation. Je tirai le caporal à l'abri de la haie qui ne présentait aucune sortie et était à vue des allemands qui nous tiraient dessus depuis l'autre extrémité du champs. Je me dis : " Il va te falloir traverser la haie ". Mes deux premiers sauts me firent plus de mal qu'à la haie, mais au troisième essai, je pu traverser les branchages et me trouver en sécurité de l'autre côté de la haie. Toute cette scène semble avoir duré bien longtemps. En réalité, il ne s'était écoulé que quelques minutes depuis notre entrée dans la grange. Nous décidâmes de quitter cet endroit où nous avions vécu quelques instants de folie et nous partîmes en courant pour contourner la maison et la grange. Nous poursuivîmes notre course au delà de la route qui nous avait conduit là, courant pour sauver notre vie. Les coups de feu avaient cessé mais nous entendions des voix derrière nous qui nous incitaient à courir de plus en plus vite pour mettre la plus grande distance possible entre ces voix et nous. Nous nous dirigeâmes vers le nord et l'ouest à la recherche du secteur du 3è bataillon du 508è.

Au croisement, nous tombâmes sur un jeune Français qui nous indiqua que le bourg de PICAUVILLE se trouvait sur notre droite en haut de la route. Nous décidâmes à cet endroit que notre équipement était trop encombrant et nous gênait dans notre progression et que la vitesse était à présent impérative considérant la proximité des voix qui nous poursuivaient. Nous enlevâmes nos masques à gaz, pensant que les allemands n'auraient pas recours aux gaz vu que leurs propres troupes étaient dans le secteur. Nous ne conservâmes que ce dont nous avions besoin dans notre sac musette et nous entassâmes dans un fossé ou plutôt entre deux tas de terre au bord de la route tous les articles dont nous ne voulions plus. Nous enterrâmes le tout de telle sorte que cela fut invisible à moins de se tenir directement dessus.
Une fois ainsi allégés, nous reprîmes la route mais dûmes continuer à avancer vers le nord et l'est, plutôt que Nord Ouest à cause du grand nombre de nids de mitrailleuses que nous rencontrions. Il nous semblait qu'à chaque fois que nous prenions la bonne direction, il nous fallait faire un détour à cause de ces mitrailleuses.
Les voix se rapprochaient et donc nous partîmes vers le seul espace boisé disponible qui, nous pensions, pourrait nous procurer quelque abri et peut-être perdre nos poursuivants. Le soleil tapait dur sur nos crânes, nous rendant poussiéreux, transpirant et assoiffés.Et de surcroît, car cela faisait un moment que nous n'avions rien mangé, nous mourrions de faim. Ainsi physiquement en piteux état et essoufflé après notre fuite rapide, nous pensâmes qu'un bref répit nous ferait du bien.
Nous mîmes une sentinelle en place et les autres s'endormirent. Deux ou trois hommes ne s'endormirent pas et restèrent éveillés, parlant à voix basse et veillant à rester immobile afin de ne pas être repérés par les allemands qui infestaient la région.
J'étais assis en face de notre prisonnier près de nos deux valises. J'essayais de m'endormir mais mes yeux ne voulaient pas quitter l'allemand. D'un seul geste rapide, il aurait pu soit s'emparer d'un M-1 ou s'enfuir. Cela ne lui aurait pas rendu service car il aurait tout de suite été abattu. Mais cela aurait attiré l'attention des allemands sur nous et indiqué notre cachette, et nous ne souhaitions aucune de ces complications.
Mais pour rendre justice au prisonnier, exemplaire en tous points, il faut avouer qu'il se contentait de nous suivre, marchant, courant et se cachant chaque fois que nécessaire, et n'essaya jamais le moindre geste qui nous eut fait douter de ses intentions. Quand nous avancions, il avançait; quand nous stoppions, il stoppait.
Il respectait la distance avec l'homme qui le précédait et ne fit jamais le moindre bruit. Je voyais qu'il souffrait de son épaule depuis sa blessure, mais il était comme chacun d'entre nous à la différence que nous portions nos armes et qu'il transportait deux valises pleines de papiers officiels. Alors que nous profitions d'une accalmie, nous entendîmes des voix et plusieurs coups de feu très près de nous, juste sur le chemin que nous avions emprunté pour atteindre les bois. Nous fûmes vite sur nos pieds et dans le même ordre de marche, à l'exception de l'éclaireur qui était à présent le Private Jack Quigg de Pennsylvanie, Compagnie I du 505è PIR.
Le bois dans lequel nous marchions n'était guère épais, plutôt clairsemé à la vérité, mais très sauvage et plein de buissons d'épines, d'herbes hautes et d'orties. Ceci ralentissait notre progression. A notre gauche, nous apercevions un champ dégagé qu'il nous fallait éviter afin de ne pas être vu des allemands qui nous poursuivaient. Au sud de cette zone, nous suivîmes un fossé. Ce fossé séparait les bois du champ, et nous choisîmes de suivre le fossé. Nous marchions dressés chaque fois que possible et courbés quand il le fallait, rampant si nécessaire pour ne pas dépasser du fossé. Parfois, nous restions immobiles, respirant à peine de peur d'être vus ou entendus de nos ennemis. Le champs était environ 60 cm plus haut que le bas du fossé la plupart du temps. Quand les voix se faisaient plus fortes et plus proches de nous, nous cessions de bouger. Nous entendions les balles siffler au dessus de nos têtes.
Les allemands nous chassaient avec insistance, suivant des chemins séparés de quelques mètres, allant d'une limite à une autre et revenant en courant à quelques mètres de leur progression initiale. Ils n'arrêtaient pas de courir et de multiplier les allers-retours entre les bois et les champs et à chaque fois qu'ils parvenaient au fossé, ils le traversaient en sautant et en ne regardant que là où ils allaient atterrir, évitant ainsi de jeter un œil dans le fossé lui-même. Nous eûmes de la chance qu'ils fussent ainsi si préoccupés de leurs sauts.
Dès qu'il nous sembla que les voix s'éloignaient, nous avançâmes, centimètre par centimètre, sous de longues épines, rampant sous les arbres abattus, entre les troncs et le côté du fossé, égratignés, en sang, en sueur, dans la douleur mais sans jamais abandonner.
Finalement, nos poursuivants semblèrent s'être éloignés et nous continuâmes à ramper et à nous traîner le plus loin possible de l'ennemi. Je me dis que nous avions beaucoup de chance qu'ils n'avaient avec eux aucun chien de chasse ou autre. Nous aurions alors certainement été repérés, capturés voire, tués sur le champ. Mais ils n'en avaient pas. Nous partîmes plus loin vers l'est ; Ce fossé faisait plus de 500 mètres de long. Mais peut-être n'en faisait il que 200 ou 300… 500 mètres très durs de toutes façons. Quigg était très fatigué et cela se voyait. Suivre ce genre de piste était un travail d'homme et nous l'avions bien réussi.
Nous nous sentions à présent totalement à l'aise de nous être débarrassé de nos bagages inutiles un peu plus tôt avant d'être pourchassé si intensément.
Quigg prit la tête et nous continuâmes vers le Nord Est à travers les même bois où les allemands nous avaient pourchassé, en direction du champ que nous avions alors dû éviter. Soudain, Quigg se figea et se jeta au sol. Je fis aussitôt signe au reste de la troupe de se jeter à terre le plus vite possible; dans le champs devant nous, à environ 80 mètres se tenait une scène qui nous était familière à l'entraînement mais que nous ne concevions pas en situation de combat; la file d'attente d'une cantine!
Nous restâmes prostrés à regarder les allemands s'aligner pour leur repas du midi. Ils portaient des uniformes dépareillés, certains avaient leur veste déboutonnée, d'autres boutonnée et certain n'en portait même pas. Certains étaient coiffés d'un casque et d'autres pas. Certains avaient une arme à la main, à l'épaule ou les traînaient derrière eux. Un ou deux criaient, peut-être des ordres à l'intention des autres. Quelques uns riaient et l'un d'entre eux chantait de toutes ses forces. Ils paraissaient tous de bonne humeur, c'est le moins que l'on puisse dire.
Et aucun d'entre eux ne semblait se douter qu'une douzaine de parachutistes américains se tenaient à cent mètres d'eux, à les observer batifoler dans le chaud soleil de midi. Wow! C'était quelque chose à voir, à voir et à ne pas être vu.
Tout en observant l'avancée de la file d'attente, nous pensâmes aussi à nous en éloigner avant que ceux qui en avaient terminé avec leur repas ne viennent se promener à travers le pré et vers les bois où nous nous cachions, à observer leur moindre mouvement, en souhaitant pouvoir partager leur casse-croûte.
Nous décidâmes de repartir plein est pour essayer de contourner le pré où se trouvait la cantine et où les allemands profitaient de leur repas.

Nous partîmes donc vers l'est, vers là où les deux champs que nous avions traversés dans la matinée se rejoignaient. Un petit ruisseau les séparait, traversé par une petite passerelle. Nous rejoignîmes cet endroit juste pour apercevoir un allemand traverser le petit pont et rejoindre la file d'attente de la cantine. Il disparut derrière nous, puis deux officiers apparurent suivant le même chemin.Ils montèrent sur le petit pont et restèrent là, à regarder le ruisseau, semblant discuter un problème car à chaque phrase, l'un ou l'autre accompagnait ses paroles de grands gestes du bras ou de la main comme pour souligner ses propos.

Après quelques minutes qui nous semblèrent des heures, les deux officiers allemands traversèrent le pont et disparurent en direction de la cantine.
Nous attendîmes qu'ils soient hors de vue et hors de portée de voix et nous nous assurâmes que personne d'autre ne se dirigeait là où nous comptions aller pour quitter la zone et rejoindre nos unités respectives.
Nous observâmes la situation depuis un endroit situé près du pont.
A notre droite se trouvait un grand espace dégagé près d'une route. A notre gauche, un petit chemin menait à une route en bordure d'un champs, le tout à seulement quelques pas de nous. Nous nous trouvions à la jonction de plusieurs champs, de quelques routes ou pistes, et à quelques pas d'une petite rivière qui coulait vers le sud.
Quigg, le lieutenant Richard, le sergent Hall et moi-même approchâmes de la rivière. Nous voulions aller au nord et puisque le ruisseau était en grande partie recouvert et masqué par les arbres et les buissons, nous pensâmes qu'il constituerait une excellente route bien protégée pour nous permettre d'aller où nous voulions. Je pénétrai dans le lit du ruisseau et me retrouvai avec de l'eau jusqu'à la taille. Je sortis aussitôt. Une telle route serait trop pénible et trop lente.
Nous décidâmes de continuer par le chemin ou par la route vers le sud, puis vers l'est avant de poursuivre notre " balade " vers le nord. On pouvait discerner le bruit des servants d'un canon au nord ouest devant nous au bout d'un champ, et c'est cela qui motiva notre décision.
Alors que nous allions partir, nous dûmes à nouveau nous cacher car un soldat allemand traversait le champ juste devant nous. Nous reprîmes notre progression après quelques minutes d'attente. Encore des fossés, marcher encore, piétiner, ramper et crapahuter. Nous traversâmes le chemin qu'avait suivi l'allemand et nous empruntâmes un fossé qui partait vers l'est. Nous dûmes ramper à intervalles réguliers dans ce fossé dont la bordure gauche était par endroit si basse que l'on pouvait nous voir depuis le champ.
Après avoir traversé un espace dégagé, nous rejoignîmes la sécurité d'un petit bois où nous décidâmes de prendre un repos bien mérité. C'était un magnifique petit bosquet de conifères, majestueux et tout en hauteur, et je me mis à repenser à Joyce Kilmer et à son poème "Trees". Les arbres exhalaient une magnifique odeur de pins. Leur taille nous protégeait du soleil tout en permettant à l'air frais de circuler. C'était, comme quelqu'un le souligna, "un superbe endroit pour un pique-nique."
C'était si chouette que nous en profitâmes pour planifier nos futurs projets en nous reposant sur un lit d'épines de pins que ces arbres magnifiques avaient étendu pour nous.
Nous établîmes des sentinelles, en gardant un œil sur notre prisonnier, et décidâmes de continuer vers l'est pour essayer de rejoindre nos troupes avant la nuit.
Tout est resté calme durant une trentaine de secondes, puis des voix allemandes, très proches de nous, nous firent sursauter; et derrière ces voix se tenaient 25 ou 30 allemands qui venaient relever les artilleurs d'un canon, à moins qu'il ne s'agisse d'une patrouille à notre recherche. Très vite et en silence, nous nous levâmes et nous éloignâmes vers le nord de quelques pas, vers l'orée des bois d'où nous pouvions observer ce qui habituellement était un champ paisible, mais qui constituait à ce moment un véritable danger. Nous tentâmes de le traverser en rampant. Je commençai mais ne progressai que d'une dizaine de mètres après plusieurs minutes. Je fis demi-tour et en revenant vers l'orée du bois, je jetai un œil vers le sud est et à environ 150 mètres, je vis quelque chose d'incompréhensible.
C'était un allemand debout sur une clôture et qui nous faisait des signes comme pour venir vers lui. Au premier abord, un léger espoir nous anima à l'idée que nous avions peut-être enfin rejoint nos lignes.
En quelques signes, je demandai à notre prisonnier s'il s'agissait d'un allemand : Il répondit "Yar".
Je lui demandai si c'était un soldat : Une nouvelle fois il fit "Yar".
Je lui demandai alors s'il pensait que le soldat savait que nous étions américain en lui montrant notre drapeau cousu sur notre épaule. Et une nouvelle fois : "Yar".
je demandai alors : "Y a t'il beaucoup de soldats et sont ils à notre poursuite? Et une nouvelle fois, il répondit "Yar".
Ce "Yar" fut le signal de s'éloigner de cette silhouette et de ces voix menaçantes.
Quigg prit la tête une nouvelle fois, vers l'est. J'étais derrière lui et le Lieutenant Richard était en fin de colonne juste derrière notre prisonnier.
Quigg et moi prîmes une telle avance sur les autres que nous fîmes une pause dans le champ voisin pendant qu'ils nous rattrapaient. Je demandai au lieutenant Richard d'aller vers le champ au nord, puis de prendre à travers champs vers l'est, et que nous le rejoindrions sur la route que nous apercevions deux ou trois champs plus loin. Nous savions qu'il s'agissait d'une route car nous avions vu passer des motos en arrivant. En jetant un regard en arrière, nous vîmes 25 ou 30 allemands qui nous suivaient. L'ordre devint d'avancer à fond droit devant.
Quigg et moi atteignîmes et traversâmes la route et nous cachâmes derrière la haie et le muret qui la bordaient. Nous attendîmes 5 minutes en regardant l'endroit où nous avions quitté le lieutenant Richard. Ne voyant aucun mouvement, nous suivîmes une haie vers le nord sur environ 150 mètres et nous dissimulâmes à l'entrée d'un champ, derrière une étable, à environ 80 mètres en face d'un ensemble de constructions. Nous surveillâmes l'entrée en nous dissimulant, nous demandant ce qui allait nous arriver ensuite. Nous espérions que le reste du groupe qui avait comme nous passé une partie de la journée à échapper aux allemands, allait comme nous traverser la route et nous rejoindre en passant par dessus la haie.
Des tirs rompirent le silence, 5 minutes de fusillade venant de l'endroit où devait se trouver nos amis, puis le silence.
Quigg et moi échangeâmes nos pensées. Avaient ils été tués? Ou bien capturés? Ou avaient ils pu s'échapper et se mettre en sécurité? Qui sait? Le saurions nous jamais? Cela signifiait que Quigg et moi étions à présent livrés à nous même. Nous prîmes la décision de rester là où nous étions et d'attendre minuit pour partir. Vers le nord d'abord puis vers l'ouest pour voir ce qu'il arriverait entre minuit et les premières heures du jour.
Il était 19 heures, il nous restait donc 5 heures à attendre. Je me levai pour aller jeter un coup d'œil autour de notre cachette. A travers une fissure à l'arrière de l'étable, je pouvais apercevoir une grande maison et une grange, et à mon grand effroi, des allemands qui cavalaient partout comme s'ils s'apprêtaient à pourchasser des groupes d'américains. Je surveillai une ouverture dans le champ près de la maison quand 3 allemands en uniforme camouflé se dressèrent dans l'ouverture. Je m'immobilisai, allongé contre un talus de boue, les coudes dans l'espace au milieu de la haie, les yeux rivés à mes jumelles. Figé, oui figé! 2 allemands s'arrêtèrent en bordure de la haie et le troisième regardait fixement vers moi. Je savais qu'il me regardait. J'étais pétrifié. Puis cet allemand leva son fusil et le pointa directement sur ma tête. C'était comme si nous nous visions mutuellement. Nous nous visions mais son arme était beaucoup plus redoutable que la mienne. J'étais toujours pétrifié. Il plongea derrière la haie et je gardai ma position, par chance car il se dressa de nouveau et me visa. J'étais figé et il répéta cette action une ou deux fois. J'étais pratiquement paralysé. Puis les 3 allemands se levèrent et partirent vers le sud. Pouhh. Je m'assis ; mon dos était trempé de sueur. Je n'étais plus figé mais très nerveux. Si j'avais bougé avant que les allemands ne partent, nous aurions probablement été chassés de notre cachette.
A ce moment, deux allemands marchèrent quelques pas devant nous, laissèrent la barrière de l'étable ouverte et avancèrent une centaine de mètre vers leur foxholes et commencèrent à tirer. Juste à tirer. Sans cibles particulières, mais simplement pour faire du bruit et harceler les américains qui se trouvaient dans la zone.
La barrière étant ouverte, les vaches partirent en vacances et un de ces bovins à gros nez commença à dévorer notre camouflage et à nous rendre très nerveux. Mais cela n'était rien. Soudain, il nous aperçut et commença à trépigner, à meugler et à nous regarder, bougeant dans tous les sens comme pour mieux nous apercevoir. Nous avions très peur que quiconque regardant vers nous ne remarque cet étrange manège. Mais une nouvelle fois, la chance était de notre côté et les cieux nous protégeaient. Mais, après nous avoir quitté une petite demi-heure, cette vache revint et recommença son cirque.

Minuit! Nous nous faufilâmes hors du champ de la vache, vers la route que nous avions précédemment traversé, et que nous suivîmes sur le côté en direction du sud ouest, en essayant de contourner un barrage allemand à notre Nord. Après avoir traversé 5 prés vers l'ouest, nous tombâmes sur une intersection barrée par les allemands. Un 88 était en position à l'angle sud est et vomissait ses flammes à chaque instant. Quigg et moi traversâmes la route à 4 pattes et partîmes plein sud en essayant de ne pas troubler le calme de la nuit (à part le bruit du canon) avec le bruit de nos pas. Nous repérâmes une sentinelle qui venait vers nous mais elle s'arrêta, fit demi-tour et repartit d'où elle venait. Nous l'observâmes effectuer cette manœuvre à plusieurs reprises et comprîmes qu'elle montait la garde pour le 88 et ses préposés que nous avions eu la chance d'éviter quelques minutes plus tôt. Nous escaladâmes un talus afin de laisser à la sentinelle sa partie de la route. Et alors que nous pénétrions dans la champs, l'enfer se déchaîna sous la forme d'un tir de barrage de 88 qui dura une dizaine de minutes à siffler au dessus de nos têtes, à une distance que je ne saurai dire, mais durant lesquelles nous restâmes recroquevillés à terre à embrasser le sol et à nous demander s'ils connaissaient notre présence où s'ils avaient déclenché ce tir pour une toute autre raison. Plus tard, nous découvrîmes qu'il s'agissait d'un tir de routine déclenché toutes les demi-heures, avec quelques tirs sporadiques entre les deux.
Nous rampâmes vers la haie à notre sud et alors que nous approchions de sa partie la plus épaisse qui débordait sur la route que nous venions de traverser, nous entendîmes quelqu'un tousser et se racler la gorge… puis nous distinguâmes le bruit de bottes cloutées sur la route qu'occupait la sentinelle. Les minutes s'écoulèrent et la toux se poursuivait, tandis que le bruit de bottes se rapprochait et que le 88 continuait de tirer. De temps en temps, un coup de feu éclatait.
Quigg et moi étions toujours allongés dans le coin du champ derrière la haie. Le jour se levait. Il était temps pensai-je de voir qui ou qu'est ce qui se trouvait de l'autre côté de la haie. Je dis à Quigg de ramper et de surveiller un côté pendant que je rampai à travers de la haie, pistolet en main, armé et prêt à tirer. J'approchai de l'endroit où se trouvait notre adversaire, de plus en plus près, me tortillant lentement et silencieusement jusqu'à lui. Il était là! Un parachutiste américain a moitié endormi, dénommé Russel Nosera appartenant à la compagnie de commandement du 1er bataillon du 507è PIR. Quel soulagement!! J'appelai doucement Quigg qui nous rejoint rapidement et nous nous installâmes pour la journée, et pour une partie de la nuit.
Nous camouflâmes notre cachette et nous passâmes la journée à observer les allemands.
Nous vîmes des camions et des bus chargés de troupes passer devant nous et se diriger vers de nouvelles positions de défense, j'imagine.
Nous vîmes un groupe d'officiers, à moitié dévêtus, traînant derrière eux leurs sacs pleins de vêtements se presser derrière un camion qui montait la côte. Au sommet de celle-ci, ils grimpèrent à bord et partirent vers le nord-est, par où nous étions arrivés la nuit précédente.
Nous vîmes d'autres allemands installer un 88 et des mortiers, après avoir empilé des caisses et des caisses d'obus. Nous vîmes des charrettes tirées par des chevaux si chargées que officiers et soldats de troupe durent pousser pour les aider à avancer dans la bonne direction. Ils utilisaient les chevaux par couple, par quatre et à une reprise, nous vîmes un attelage de 6 chevaux aidés par 4 hommes pour atteindre le pré où se trouvaient les canons.
Et tout en observant ce qui se passait autour de nous, nous n'osions respirer trop fort, sans parler de tousser, bougeant très très lentement, afin de ne pas attirer l'attention d'un regard qui se serait porté dans notre direction.
La journée fut longue, non pas à cause du manque de mouvement chez les allemands, mais parce que nous regardions passer le temps en attendant que l'obscurité s'installe pour nous permettre de bouger et de poursuivre notre recherche d'unités amies. Tout en attendant, nous mangeâmes ce qui nous restait de nourriture, c'est à dire pas grand chose, et bûmes pratiquement toute notre eau.
Chose que nous allions regretter plus tard.

De nouveau minuit, exactement ce que nous attendions, et qui arriva enfin. La lune n'était pas très haute, mais très brillante bien que le ciel soit en partie nuageux. Ce dernier point nous importait car nous serions moins facilement repérés si la lune n'était pas trop brillante.
De nouveau, Quigg prit la tête lorsque nous sortîmes de notre cachette des dernières 20 heures. Je suivis et Nosera assura l'arrière-garde. Nous suivîmes au début une direction Nord Ouest, mais comme précédemment, il nous fallut suivre d'autres directions pour éviter les positions ennemies, Et cette déviation nous conduisit vers le nord est. Nous nous dirigions vers ce que nous pensions être une position d'un de nos mortiers, mais à chaque fois que nous avions l'impression d'approcher le point d'où partaient les coups, ils semblaient s'être déplacés. Nous poursuivîmes ainsi notre route. Nous marchions vite, car nous étions anxieux de rejoindre dès cette nuit nos propres troupes dans un laps de temps le plus court possible.
Un moment, nous arrivâmes à l'intersection d'une route et d'un chemin et nous décidâmes de nous arrêter et de nous reposer un peu tout en faisant le point sur notre situation. Dans le silence de la nuit, nous pouvions discerner des voix allemandes tout autour de nous. Nous entendions leurs voix, ainsi que le bruit des charrettes chargées que l'on déplaçait et les injonctions des allemands aux chevaux qui tiraient ces charrettes. Quelques unes passèrent à seulement quelques centimètres de notre cachette dans les hautes herbes qui bordaient la route sur plus d'un mètre de haut.
Le jour approchait rapidement et nous savions qu'il nous fallait nous trouver un bon endroit où nous cacher ainsi que de la nourriture et de l'eau. Nous avions partagé notre eau et notre nourriture durant la journée et demi écoulée et nous avions bu et mangé plus que de raison. Nous avions dévoré une partie de nos rations afin d'alléger nos poches, dans la perspective de devoir courir pour échapper à nos poursuivants. Ainsi, dans la première lumière du jour, nous nous mîmes à chercher, l'oreille aux aguets et en nous dépêchant.
A un certain point, nous rencontrâmes un chemin tout tracé, sur lequel traînait une corde de parachutiste. Ceci nous sembla de bon augure et nous continuâmes plus avant, pour finalement rejoindre une route qui menait à un petit village. Nous décidâmes qu'il nous fallait de l'eau, mais pas au point de risquer la capture. Nous avions aussi besoin de nourriture et d'informations sur l'endroit où nous nous trouvions. Sous peu, nous fûmes dans le village. Il s'érigea devant nous au sortir d'une petite descente et au détour d'une petite route poussiéreuse.
Durant tout ce temps, les voix des allemands se rapprochaient et alors que nous progressions parmi un labyrinthe de petites ruelles, nous pouvions clairement distinguer les allemands. Quigg entra dans une étable à fumier. Il me jeta un regard par la fenêtre et m'indiqua trois allemands en train d'installer une mitrailleuse.
Je les vis et quand ils disparurent au coin d'une maison, je rejoignis Quigg dans l'étable.
Les allemands ne nous avaient pas repéré car j'étais avec Quigg dans l'étable et Nosera était derrière la bâtisse. Notre gorge était serrée car au moment où Nosera s'avança pour nous rejoindre à l'intérieur, les allemands l'aperçurent qui entrait. Nous nous en rendîmes compte immédiatement car les allemands faisaient des gestes dans notre direction. Ils ne savaient pas combien nous étions mais ils avaient compris qu'il y avait quelqu'un là-dedans.
Nosera dit : "Cachons nous sous le fumier!". Je répondis que nous ne pouvions pas car nous étions déjà repérés et qu'ils allaient bientôt venir nous chercher. Il nous fallait foutre le camp. Ils furent d'accord pour me suivre. Je criai "Suivez moi!" et fonçai à l'extérieur, pris à gauche, parcouru 4 mètres le long d'une étroite allée et tombai sur une rue perpendiculaire. Je pris à gauche et en tournant le coin de la rue, j'aperçu 4 ou 5 allemands en train d'installer une mitrailleuse. Je serrai le mur du bâtiment, si près que je le percutai et tournai sur moi-même comme un joueur de rugby essayant d'échapper au plaquage. Je regardai droit dans le canon de la mitrailleuse et je vis les balles traçantes monter vers moi. Je sentis ma pelle qui était accrochée à ma ceinture littéralement emportée par les balles. Je fis un tour complet sur moi-même et pris mes jambes à mon cou et partis sans m'arrêter. Si le bâtiment derrière lequel étaient les allemands n'avait pas été de forme arrondie, les balles ne m'auraient pas manqué, mais ils tiraient un peu sur ma droite et à chaque pas je prenais un peu de gauche en m'enfuyant. Je savais que je n'étais pas encore en sûreté. Je couru jusqu'à un verger, pris à droite sur une vingtaine de mètres et traversai un pré à découvert sur 40 mètres avant de plonger dans un fossé qui bordait une haie. Je rampai au fond de ce fossé, toujours vers la droite, pour m'éloigner de cette étable où j'avais laissé Quigg et Nosera qui n'avaient pas répondu à mon injonction " Suivez moi ".
Après avoir rampé sur une dizaine de mètres, je m'arrêtai et repartis dans l'autre sens, couvrant ma trace tout en progressant, essayant le mieux possible de me camoufler.
Au bout de quelques minutes, je m'immobilisai, et je crois que je m'arrêtai de respirer également. Je pris mon bonnet de laine et l'utilisai pour masquer mon visage car je devais être pâle comme un linge et je craignais de me faire repérer.
Une fois dans un coin où je pensais pouvoir rester cacher et me reposer un moment, je recouvris mes jambes avec des feuilles et des ronces mortes. Je glissai ma main gauche dans mon casque, pour masquer la partie de mon visage qui n'était pas couverte par mon bonnet, et j'attrapai ma carabine, que j'avais réussi à garder depuis que je l'avais emballée dans sa housse à Nottingham, dans la bonne vieille Angleterre et Folkingham Airfield… que de bons souvenirs j'y avais laissé…
J'étais étendu là, remerciant Dieu pour ma petite taille et mon petit gabarit et pour m'avoir permis de trouver ce fossé qui me protégeait des regards. Avant de m'installer dans ce fossé, je vérifiai mon pistolet et mon poignard pour être sûr qu'ils étaient a portée en cas d'urgence.
J'avais hésité d'escalader le talus au pied duquel j'étais à présent caché dans ma hâte de mettre de la distance entre moi et les allemands. Mais il m'aurait ensuite fallu traverser un pré, une route et une autre haie avant de tomber sur un autre champ qui, je l'appris depuis, était semé de trous d'hommes allemands destinés à abriter des mitrailleuses et des mortiers, en plus de fantassins. Je fus heureux plus tard de ne pas avoir eu les yeux plus grands que le ventre en essayant de m'enfuir plus loin. Cet épisode est l'un des nombreux moments qui me firent plus tard réaliser combien je n'étais jamais seul dans mes ennuis et dans mes aventures; Dieu était vraiment là à me surveiller.

Allongé là, je commençai me demander ce qui avait pu arriver à Quigg et à Nosera, mais pas pour longtemps. J'entendis bientôt des éclats de voix, qui criaient avec excitation, des voix hautes perchées, allemandes et américaines. Les voix allemandes criaient à moitié en allemand et à moitié en anglais ou en américain. Les voix disaient : "zortez! zortez! Hans Oop! Hans Oop! nous tuer! nous tuer!!" Puis j'entendis l'un de mes compagnons de ces dernières heures, un de mes parachutistes crier : "Non! Non! je ne veux pas mourir!" Puis Brrrrrrrrr! Brrrrrr! la rapide rafale d'une mitraillette portée par les allemands avait fait son œuvre. Plus de voix américaines. Plus de mots en anglais.
Je savais ce qui allait se passer ensuite. Je respirais à peine. Je savais… oui… les voix, comme une horde de chiens approchaient du pré et du verger que j'avais traversés. Je me mis à prier, et je croyais chaque mot que je prononçais. Je priais. Je demandais pardon. Je demandais la bénédiction pour mes parents et pour mes amis; Oui, je priais et je croyais fermement que c'était là mes derniers instants sur terre.
Ils vinrent!!! Les allemands arrivèrent par le champ que j'avais d'abord emprunté avant de sprinter vers le verger et le petit pré. Pendant plus de deux heures, ils tirèrent dans chaque recoin, dans chaque maison en bordure du verger. Ils tiraient avec cette mitraillette à débit rapide qui fait un bruit du genre " brrrrr ", très différente de notre Thompson qui sonne beaucoup plus lente, presque par à coup, ou comme notre mitrailleuse et son Ack Ack Ack Ack…
Puis, inévitablement, ils entrèrent dans le pré où je me cachais. Ma carabine était toute rouillée à cause de ma transpiration qui gouttait de mon cou et de mon nez sur la culasse. J'étais si immobile je cru que mon cœur s'était arrêté. Mais je pensais aussi que le boum boum boum qu'il faisait me ferait repérer. Ils arrivèrent! Un soldat allemand marcha à travers les ronces juste 1 mètre devant moi et escalada le talus. Pffff! Il cria quelque chose à ses camarades " Rien ici! " ai je cru. Puis il poursuivit plus loin à travers champs. Je l'entendis s'éloigner de ma position.
Puis les allemands avec les mitraillettes revinrent vers moi, mais parce que l'herbe était si haute, deux ou trois mètre au dessus de moi, et les ronces si épaisses, qu'ils restèrent loin de moi. Mais ils tirèrent et tirèrent tout autour de moi. Je sentais le vent du plomb qui volait, et je voyais les petits geysers de poussière là où les balles se fichaient dans la terre juste au dessus de moi. Plus tard, je vis les trous où les balles étaient entrées en ordure de la haie. A douze reprises les allemands arpentèrent la zone où j'étais cachée, tirant à l'aveuglette à chaque passage. Je me demandais si le 13ème passage me serait fatal. Mais il ne vint pas. 13 a toujours été mon numéro de la chance. Je me rappelai l'avoir porté sur mon maillot de hockey au collège. Puis, ils s'éloignèrent, Dieu Merci, ils partirent et ne revinrent pas me chercher. Quelqu'un continuait de veiller sur moi.
Nous étions le jeudi matin, Jour J +2. Je m'étais glissé dans ma cachette vers 8 heures et je savais qu'il me faudrait rester là jusqu'à la nuit, c'est à dire une bonne douzaine d'heures. Toute l'après-midi, notre artillerie bombarda ma zone, puis nos avions, P 47 et P 51 vinrent aussi bombarder. Mais j'étais trop près, juste au milieu des bombes. Puis l'artillerie allemande entra en action. Les 88 allemands et les mortiers tiraient dans discontinuer. Je pensais que cela ne cesserait jamais. C'était vraiment un mauvais endroit pour se cacher. Je le savais mais je ne pouvais bouger, et à ce moment là, il n'y avait rien à y faire. J'attendais l'obscurité et je priais pour qu'elle vienne vite. Mais, avant que ne tombe la nuit, les vaches arrivèrent. Elles commencèrent à manger la haie devant moi. Et je me rappelai cet autre moment où une vache avait failli trahir ma présence. Mais peu après, un français et une française vinrent chercher les vaches pour la nuit. Mais ces français faillirent me marcher dessus en essayant de contourner le troupeau pour le faire sortir du champ. L'heure du déjeuner puis du dîner passa, et je n'avais toujours rien mangé. Je n'avais plus rien. J'attendis patiemment la nuit.
Je me dis que je pourrais sortir de ma cachette en rampant et escalader la haie sur ma droite, puis traverser le pré, rejoindre la route de l'autre côté du champs et m'échapper à travers champs direction Nord Est, avec l'espoir de rencontrer des troupes alliées débarquant des plages. A ce moment, les allemands ont commencé à se déplacer à travers champs autour de ma position. Ils emmenaient leurs 88, leurs mortiers, leurs mitrailleuses et leurs pistolets mitrailleurs. A la nuit tombée, les champs grouillaient d'activité, d'allemands et de coups de feu. Il me fallait trouver un autre moyen de m'échapper. Je pensai alors avancer d'une cinquantaine de mètres, puis partir sur la gauche… Mais non! Il y avait là une mitrailleuse. Recommençons! Je pourrais repasser par l'arrière du verger …non, non et non, il y avait le 88 et les mortiers! Peut-être alors en longeant l'arrière du verger et à travers le pré?? Non, non et non! Toujours une mitrailleuse ou un 88, ou tout autre arme allemande, et bien sûr des troupes. Je me parlai à moi-même, essayant de me calmer, de me ressaisir, en changeant de point de vue… mais à chaque fois il me fallait revenir à ma réalité.
Une nouvelle journée s'avançait, et le jour commençait à poindre ; Je n'avais pas du tout dormi car je ne pensais qu'à sortir de ma cachette et à fuir mon triste sort. Je ne pouvais pas dormir en plein jour de peur d'être repéré. Je ne pouvais pas dormir durant les heures d'obscurité car j'avais peur que mes ronflements n'attirent l'attention sur ma cachette. Je restai étendu là. Mes jumelles, sous ma veste, pénétraient les chairs de ma poitrine. Ma carabine coupait la circulation de mon bras droit, l'anesthésiant totalement, particulièrement mes doigts. Il me fallait bouger et changer de position. J'avais faim, j'avais soif. Puis ce fut le jour. J'étais sans eau et sans nourriture. Il me faudrait à nouveau attendre la nuit. J'essayais de me relaxer. Je pensais à chez moi, à mes amis, à mes chiens, mes voyages, les camarades rencontrés lors de mes différentes assignations et postes aux USA. Je jurais que dorénavant je boirais tout ce que l'on m'offrirait, que ce soit du lait entier ou du vinaigre. Je frissonnai. Je détestais le lait entier, mais j'en boirais volontiers maintenant si j'en avais à disposition. J'étais éreinté, mais j'avais encore toute ma tête, tous mes sens et mon cœur. J'avais toujours foi en Dieu, mais j'étais seul, tellement seul. Et il me semblait que j'allais rester seul encore bien longtemps. Mais qui sait? Pensai-je en moi-même.
Pas pour longtemps, car à partir de ce moment là (nous étions vendredi matin, Jour J +3) les P-47 commencèrent à larguer leurs "œufs", et l'artillerie de nos troupes attaqua les positions allemandes. Ceci prit de l'ampleur lorsque les allemands répondirent coup pour coup toute la matinée, toute l'après-midi. Dans la soirée, les allemands amenèrent d'autres 88 et d'autres mortiers dans le secteur. Puis un allemand équipé d'une mitrailleuse et un autre d'un pistolet mitrailleur prirent position juste à côté de moi, de l'autre côté de la haie. Je les entendais parler, tousser, cracher… je les entendais même respirer. Mais surtout, j'entendais leurs armes participer au plus ahurissant vacarme que je n'ai jamais entendu. Toute la nuit, à moins que notre artillerie ne les réduise au silence, les allemands déclenchait ce vacarme avec le départ de leurs coups. Le bruit des explosions était provoqué par notre propre artillerie qui tirait tout autour de moi. C'était OK si elle parvenait à détruire quelques canons allemands. Mais cela ne semblait pas être le cas. Chaque fois que je pensais qu'un canon allemand avait été touché, il me semblait que deux canons ouvraient le feu là où il n'y en avait eu qu'un seul. Je me rappelais avoir vu un film là dessus. Mais ceci n'était pas de la fiction. C'était ici et maintenant.
Je m'étais décidé en ce vendredi matin d'attendre que les alliés me trouvent. Je savais qu'à tout moment à partir de J +3, ils devaient apparaître. J'attendis donc avec un espoir renouvelé.
A l'heure du dîner, la pluie se mit à tomber, et quelques gouttes atteignirent mon bidon, mais pas assez pour me faire quoi que ce soit. Les feuilles étaient humides, et je les léchai, mais sans grand résultat. Je décidai d'attendre et de ne pas prendre de risque à chercher de l'eau. J'étais certain que de l'aide allait bientôt arriver.

Finalement, l'aube fut là. Samedi, Jour J +4, et j'étais toujours au cœur de la tourmente. Leur artillerie, puis la nôtre bombardait la zone. Toute la journée précédente, les obus avaient atterri près de moi, mais il me semblait que les choses se corsaient davantage. Cela signifiait que les allemands se retiraient devant la poussée Alliée qui venait occuper mon secteur. Je priais encore.
J'attendis ce qui me sembla être une éternité puis j'entendis des voix.
Je ne pouvais encore distinguer si elles étaient américaines ou allemandes. Et j'entendis quelqu'un dire : "Ecoute ce canon. Tiens, c'est pour toi". Puis j'entendis le bruit d'une mitraillette allemande : Brrrrrrrpppttt et la voix reprit "C'te putain d'arme est à moi". Je sus qu'il était américain. Aucun allemand ne dit jamais "C'te putain d'arme…". J'appelais de toutes mes forces ; "Hey, soldats américains..".
Une seconde après, deux Gis s'avancèrent vers moi. Je leur demandai à quelle division ils appartenaient et ils me dirent qu'ils étaient de la 90è DI. Ils déblayèrent les ronces et les buissons pour me tirer de ma cachette, et me donnèrent à boire. Je m'époussetai et ils me laissèrent aller. J'essayai de marcher mais mes jambes étaient en coton et refusaient de me porter. Les soldats me soutinrent et après quelques secondes, mes forces revinrent et je repris le contrôle de mes jambes. J'étais à nouveau maître de moi-même.

Je fis mon rapport au Lt. Lovell, Co I, 357th Infantry, 90th Division, puis j'allai jusqu'à l'étable pour voir ce qui s'y était passé. Je trouvai un fusil M1, dont je m'emparai. C'était la seule trace du passage d'américains dans le coin.
Je décidai de suivre la 90è dans sa progression car je pensais qu'elle trouverait ma division. Mais on me dit qu'il y avait des unités de parachutistes sur leur arrière par où ils étaient passés.
Je suivis leur direction et bientôt rencontrai des paras de la 82è. Ils m'indiquèrent où se trouvait le 3è bataillon du 508 PIR et me conduisirent en jeep à une centaine de mètres de là où j'étais resté caché des nuits et des jours.

Je me présentai à l'Etat major du bataillon et à son commandant, LT Col. Louis G. Mendez Jr. J'était heureux et plein de reconnaissance. Je remerciai Dieu pour son aide et sa bienveillance..

Malcolm D. Brannen

Ce témoignage est publié avec l'autorisation de Jean Brannen
et l'aide de Tom Colones.

Traduction réalisée par Denis van den Brink.