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Louis Occelli
Omaha Beach - Croiseur Montcalm |
6 juin 1944
A 2 h 00, nous avons, par téléphone, toutes les impressions
des gens qui veillent sur le pont.
Deux minutes se passent, et l'on rappelle aux postes de combat,
car maintenant les côtes sont très proches, et on entend
les gars du pont donner les dernières nouvelles visibles.
"Ce feu rouge dans le ciel, c'est le résultat des incendiaires
alliés". Les dragueurs ont mouillé des berces
allumées. Il y a quelques heures à peine en draguant
un chenal jusqu'à 5 miles des côtes, "Quel beau
travail !". Un officier de tir dit : "Mais c'est un vrai
boulevard". L'expression ne peut pas être plus juste.
Maintenant nos écouteurs nous disent qu'un bombardement intense
se fait par notre aviation, la DCA riposte énergiquement
"Quel feu d'artifice". Un parisien dit : " On croirait
qu'on va à la fête à Neuilly". Et d'autres
" Qu'est-ce qu'ils prennent les frères".
Et nous avançons toujours dans "notre boulevard"
sans être inquiétés. "Neuilly" se
rapproche. Notre aviation nous prépare l'entrée. Il
est 5 h 10, on est à 7 milles. On mouille, on stoppe.
Nous ne devons commencer le feu qu'à 5 h 50. Quarante minutes
d'attente. C'est long. Que va-t-il se produire, rien, nous pointons
nos pièces de 90 et de 152. Les bateaux Américains
en font de même, et le feu d'artifice continue, tandis que
des milliers de barges pleines à craquer d'hommes et de matériel
se détachent des bateaux qui vont rester au large.
5 h 49, tout le monde est
paré
5 h 50. Ce n'est qu'une rumeur : "Feu de salves". "Attention",
"Parés", "Commencez le feu". Et le feu
commence. A peine 5 mn après : "Alerte avion".
"Un avion pique sur nous" "Raté ! ".
Un peu plus tard : "Un périscope sur tribord".
Alors, c'est le plus terrible. Nous sommes stoppés, ancrés,
la torpille est pour nous
Mais la même voix reprend
souriante : "Ce n'est qu'une bouée !". Le sourire
et la confiance reviennent. Nous apprenons que nos coups ne sont
que succès.
Un cuirassé Américain est touché par un 155.
Mais nous le vengeons sur la minute en rendant la pièce de
155 au silence.
Nous suspendons le feu, et le reprenons environ chaque fois que
l'armée qui est sur terre nous le demande : "un abri
à descendre", "une arrivée de renforts blindés
ennemis" et chaque fois nos obus font mouche. La fatigue se
fait sentir de plus en plus, mais la confiance revient, pas un seul
avion "Fritz", n'en auraient-ils plus, ou nous réservent-ils
une vacherie ?
Mais tout de même, ils reculent, il est 12 h et nos troupes
sont toujours entrain de débarquer. A 14 h 00, nous apprenons
que nos camarades Anglais ont repoussé, dans leur secteur,
l'ennemi à 6 miles à l'intérieur. "Bon
boulot !". Vers 16 h, nous tirons, le but est une chapelle,
mais le "Boche" s'y est réfugié. Première
salve "feu" et la chapelle est en miettes avec ses "Boches".
Maintenant les avions de la RAF bombardent les arrières,
et nous, exactement 12 heures que nous sommes là, épuisés,
mais heureux d'entendre le dernier communiqué :
"Il semble que l'ennemi ne répond plus, nos troupes
sont à 9 miles à l'intérieur".
Je crois que le débarquement
est réussi, et je suis heureux de voir les côtes de
France.
7 Juin 1944
9 h 15 : de nouvelles troupes vont débarquer.
11 h 30 : les avions Allemands viennent nous rendre visite, ce sont
les premiers. Alerte DCA. Nous entendons dans notre PC que le bruit
des bombes lâchées, le bruit s'approche ou s'éloigne,
nous entendons les impressions de ceux d'en haut. L'alerte dure
une heure, et 7 avions sont abattus dont un par nous. Fin d'alerte,
et ceci reprend toutes les 15 mn, jusqu'à 7 h 30 du matin.
On ne peut pas dormir. Mais les nouvelles nous réconfortent
: on se bat dans toutes les rues de Caen, les alliés sont
près de Rouen.
Sur la côte qui est tout près de nous, nous pouvons
assister à des éclairs ou des gerbes de feu qui nous
rappellent un 14 juillet du bon vieux temps. Mais de combien diffère
le résultat !
8 Juin 1944
9 h 30 : nouvelle alerte. Un cargo coule.
Et voilà 48 heures que nous sommes aux Postes d'alerte. Les
avions ennemis nous font de fréquentes visites et bombardent
la plage, et les troupes.
Il est 3 heures du matin
et c'est la troisième nuit de veille, on dirait qu'à
force d'habitude on peut oublier fatigue et sommeil. Et c'est dans
ces moments de calme que je viens rejoindre ce petit cahier, mon
compagnon de bagarre, et lui confier un faible résumé
de ce que je vois.
Louis Occelli.
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