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Marie Thierry
Caen - Calvados |
5 juin 1944, un jour comme les
autres entrecoupé d'alertes. Dans la nuit nous sommes réveillés
par un bruit incessant de canonnade ; au loin, nous entendons
l’écho d'une bataille se déroulant vers les
côtes.
Dans le ciel, des avions venant de partout... Nous pouvions apercevoir
ces « ballons saucisses » localisant les points
du débarquement.
Aucun doute... C'était bien le Jour 'J'.
Après avoir été
avertis par des tracts sommant la population de quitter la ville,
le 5 juin au soir, sous une avalanche de bombes larguées
au dessus de nous, nous quittons notre maison pour rejoindre un
abri sécurisant, situé à 17 mètres sous
terre, aimablement mis à disposition des habitants fuyant
leurs maisons. Nous pensions y rester que quelques jours, mais vu
l'ampleur des événements, il a fallu se résigner.
Ce fut un véritable cauchemar durant ces deux mois, alors
que la bataille faisait rage tout autour de nous.
Il fallait donc organiser la
vie au quotidien. Nous couchions tout habillés, serrés
les uns aux autres, sur de la paille. On s'éclairait avec
des lampes à carbure. Les repas étaient confectionnés
avec des produits récupérés par des bénévoles.
Des feux de fortune composés de pierres et de chaudrons étaient
installés à l'entrée de la grotte afin de pouvoir
cuisiner. Quant à la toilette n'en parlons pas... L'humidité
devenait intolérable et des cas de dysenterie sont apparus.
Il a fallu aménager des w.c. De fortune où chacun
se côtoyait.
La bataille de Caen était engagée.
Le 9 juillet, une partie de Caen
était libérée. Les alliés étaient
stoppés, ne pouvant franchir la rivière 'L'Orne' qui
sépare la ville en deux parties.
A partir de ce jour, les Allemands
se sont regroupés sur les hauteurs de Fleury qui dominent
la plaine de Caen. Là, ils ont installé des chars
énormes, des batteries lance-flammes qui faisaient un bruit
infernal... etc...
Ils ont pris possession de notre carrière pour se mettre
à l'abri, nous intimant l'ordre, sous la menace de leurs
fusils, de nous réfugier tout au fond de la carrière
et de ne pas en sortir.
Là, c'était le noir complet avec un air vicié.
Nous n'avions pas le droit de parler.
Nous couchions sur la paille humide, l'eau suintait du plafond,
nous avions aussi les pieds dans la boue.
Pendant 10 jours – du 9 au 19 juillet – nous avons vécu
l'enfer.
Les journées devenaient pénibles, les Allemands revenant
du front étaient très nerveux et menaçants.
Ils braquaient leur fusil sur nous. Nous étions tétanisés
par la peur.
Ils réquisitionnaient tous les hommes pour aller creuser
leurs trous de protection sur le front. Certains ont pu se dérober
en revêtant des vêtements de femme et à se dissimuler
dans les groupes pour échapper à l'enfer du front.
Tout cela était insoutenable.
La bataille se rapprochant, les
Allemands ont donné l'ordre d'évacuer la carrière.
A partir de ce moment ils ont pris notre ravitaillement et les lampes
à carbure.
Il était interdit de parler à voix haute, étions
obligés d'étouffer les cris des bébés,
sous peine d'être mis dehors.
L'évacuation était retardée de jour en jour
mais le 18 juillet à 2 heures du matin, l'ordre était
donné de quitter cette carrière, toujours sous la
menace de leur mitraillette.
Beaucoup sont partis, mais devant la terrible attaque anglaise,
des avions anglais et l'artillerie bombardaient le secteur, il était
impossible de partir. Il y eut beaucoup de victimes, certains ont
eu la chance de pouvoir revenir dans la carrière. C'était
insoutenable, il y avait des morts partout.
Devant cette déroute, les Allemands n'ont pu rien faire,
eux-mêmes étaient pris au piège.
A 6 heures du matin, pendant une accalmie, l'ordre d'évacuer
a été à nouveau donné. Nous étions
tous massés à l'entrée de la carrière
attendant notre tour de partir, retardant le plus possible le départ,
car un soldat polonais qui avait déserté et camouflé
par nous, disait aux gens de ne pas partir, car la libération
était proche. De fait, dans la nuit, l'attaque se déclencha.
Les Allemands fuyaient comme des péteux en vraie débandade.
Nous avons trouvé un vrai soulagement de les voir quitter
les lieux.
Enfin, le 19 au matin, les premiers libérateurs se présentaient
à l'entrée de la carrière en tirant un coup
de fusil en l'air. Nous avons hissé le drapeau et livré
les soldats allemands qui se rendaient. Ces boches ont pu voir l'accueil
réservé à ces soldats. Canadiens et Anglais;
Il y avait aussi les résistants qui ont fait un beau travail
de transmission en traversant les lignes de combat (dont un de mes
camarades tué en traversant le pont de Vaucelles à
Caen : Chatelain).
La carrière était
pavoisée de tous les drapeaux alliés. En réalisant
la joie d'être libérés, on ne pensait même
plus au danger. Ce n'est que dans la journée du 20 que nous
avons pu sortir devant notre refuge, mais la lumière du jour
nous faisait mal aux yeux et c'était très dur de s'y
habituer. De plus, il régnait une odeur nauséabonde
et écoeurante. De nombreux humains et animaux morts pendant
la bataille n'avaient pu être enterrés.
Malgré notre délivrance, la bataille faisait encore
rage et des victimes. Nous avons dû rester jusqu'au 31 juillet
dans la carrière, date à laquelle l'armée a
décidé de nous évacuer sur Bayeux, la situation
devenant très dangereuse pour nous. Il y avait des combats
corps à corps. Il y eut des combats très violents...
Petite anecdote personnelle :
Lorsque nous avons pu réintégrer la maison sinistrée,
fin août, nous y avons trouvé un désordre indescriptible.
Les SS allemands ont tout détruit dans la maison. La cave
avait été transformée en bunker.
Il a fallu beaucoup de temps et de courage pour se réadapter
à une vie normale.
Voilà un petit récit
d'un vécu dans une carrière pendant la bataille de
Caen, période que nous ne pouvons pas oublier !
Cousine Marie, 20 ans au débarquement.
Marie Thierry
(23 Mai 2004)
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