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Albert J. Berard
Omaha Beach - Signalman 3rd class - LCT 538
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Il était environ 5h
du matin lorsque nous approchâmes de la zone de rassemblement
des LCT, qui devaient y former des colonnes avant de débarquer.
Vers 5h30, je reçus l'ordre du capitaine de hisser certains
pavillons qui indiquaient aux barges de s'aligner puis de se diriger
vers leurs secteurs de débarquement respectifs.
Le LCT numéro 538,
commandé par le LT JG Hamilton Adams était le premier
d'une colonne de huit LCT, numérotés de 538 à
545. Les péniches 538, 539, 540, 541 et 542 devaient accoster
sur Easy Red et les trois autres -le 543, le 544 et le 545, je crois-
devaient faire débarquer leurs troupes sur Fox Green. Nous
devions tous arriver sur la plage vers l'heure H, qui était
6h ou 6h30. Le tir des canons et des mitrailleuses en provenance
de la côte était si intense qu'il fut très difficile
d'accoster convenablement afin de permettre aux troupes de quitter
l'embarcation.
La rampe fut abaissée
mais aussitôt relevée car nous dûmes faire demi-tour
sans avoir pu débarquer un seul véhicule. Durant les
quelques instants passés sur le secteur de débarquement
nous fûmes touchés par plusieurs coups de 88, qui,
associés au tir des mitrailleuses, causèrent la perte
de plusieurs membres d'équipage. Pour ajouter à notre
malheur, le courant nous dévia vers un obstacle surmonté
d'une mine. L'explosion endommagea deux ou trois compartiments étanches
au fond du bateau et les compartiments inondés nous obligèrent
à rester loin du bord tandis que l'eau montait. Nous réussîmes
finalement à quitter le secteur, à la recherche d'une
autre plage où débarquer. Avec ces compartiments inondés,
nous ne pouvions plus approcher assez près de la plage pour
débarquer les véhicules en sécurité.
Nous finîmes par atteindre une plage afin de débarquer
les hommes et les véhicules, mais nous ne pûmes approcher
suffisamment pour leur permettre de débarquer directement
et la plupart des véhicules ne purent atteindre la plage.
Ils coulèrent avant d'avoir touché terre.
Lorsque nous débarquâmes la
première fois, c'était un véritable chaos, des corps
flottant tout autour de nous tandis que d'autres volaient en morceaux dans
les airs. Le LCT 539, commandé par le LT JG Linwood Rideout, s'apprêtait
à débarquer ses troupes à notre gauche et leur premier
contact avec la plage n'était pas meilleur que le nôtre
Eux aussi souffrirent, touchés par des coups directs de 88, et perdirent
des hommes. Le 539 dut lui aussi faire demi-tour et chercher un autre endroit
pour débarquer. Le LCT 540 commandé par le LT JG Frederick Nye
Moses heurta le sable et reçu NEUF coups directs de 88, tuant le capitaine
en action ainsi que plusieurs membres d'équipage.
Peu après notre seconde
tentative de débarquement, les mécaniciens purent
réparer nos avaries et nous fûmes en mesure de manoeuvrer
convenablement notre embarcation. Nous étions maintenant
à même de reprendre notre mission qui consistait à
aller chercher des troupes supplémentaires sur les Liberty
Ships ancrés au large... Ce manège devait durer
jusqu'à la tombée de la nuit.
S'il y a quelque chose dont
je me souviendrai toujours, c'est cet horrible sifflement des obus
allemands de 88 passant au-dessus de nos têtes. Croyez-moi,
il y avait un effroyable vacarme. A ce moment-là, le bombardement
avait cessé à cause de nos troupes sur la plage. C'était
un véritable tir de barrage que celui auquel nous faisions
face tout autant que celui provenant de nos navires... le secteur
Easy Red d'Omaha était directement menacé par l'artillerie
côtière. Les Allemands nous visaient avec une grande
précision, tant et si bien qu'on eût crû qu'ils
étaient juste au-dessus de nos têtes. On pensa alors
qu'ils devaient utiliser le clocher de l'église comme poste
d'observation. Alors que cela nous paraissait désormais évident,
notre commandant reçut, d'une manière ou d'une autre,
un message provenant d'un chef de char débarqué et
demandant si nous pouvions les aider en transmettant une demande
d'appui naval aux navires : il devaient détruire le clocher
de Vierville. Je fus chargé de transmettre le message et
fis signe au bâtiment le plus proche, qui était le
destroyer Harding, afin de le lui transmettre. Cela pris quelques
temps avant que le commandement approuve la demande mais dès
que l'accord fut obtenu, nous vîmes les canons se diriger
vers ce fameux clocher, et un tonnerre de feu s'abattit sur celui-ci.
En moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, le clocher avait
été pulvérisé. Peu après nous
constatâmes que le tir des canons allemands était devenu
très irrégulier et désordonné : ils
n'avaient plus la même précision que quelques instants
auparavant seulement... Nous apprîmes par la suite que
le bombardement de l'église avait causé des pertes
américaines. Il semble que des éléments aient
pénétré à l'intérieur des terres
et atteint la zone, commençant à tirer sur le clocher.
Tandis que la nuit tombait, il devint évident que nos troupes
terrestres avaient suffisamment infiltré les terres pour
sécuriser la plage.
Ce témoignage a été
écrit par Albert J. Berard, Signalman 3rd Class sur le LCT
538.
Paris
Après la prise du
port de Cherbourg, réaménagé par l'Armée
américaine, notre mode de travail changea de manière
drastique. Cela devint rapidement ennuyeux car nous n'avions plus
à débarquer de matériel sur les plages. Les
choses devinrent si ennuyeuses que quelques hommes de notre bateau
et de ses sisterships décidèrent d'aller faire un
tour à Paris.
Il y avait un convoi de ravitaillement
allant de notre zone à la ligne de front, où les combats
continuaient. Cette route était appelée la Red Ball
Express et le passage des camions était permanent. Un chauffeur
nous fit monter et nous partîmes ; nous étions désormais
en route pour Paris ! Bon, la nuit était bien avancée
lorsque le convoi s'arrêta à proximité de la
ville, et c'est là que nous descendîmes. Nous étions
donc là, en plein nuit, dans une ville appelée Neuilly-sur-Seine,
à la recherche d'un endroit plus vivant. Après avoir
déambulé quelques temps, nous nous dirigeâmes
vers un bâtiment d'où provenait un léger rai
de lumière. Nous frappâmes à la porte et quelqu'un
finit par arriver. Il ouvrit la porte et nous invita à entrer
rapidement. Comme nous portions tous notre uniforme bleu de sortie,
il dût se demander ce que diable nous venions faire ici. Il
parût plus détendu lorsque je m'adressai à lui
en français. Je commençai à lui expliquer comment
nous étions arrivés ici et que nous recherchions un
endroit où passer la nuit. A cause de l'heure tardive, il
était presque certain que nous ne trouverions plus nulle
part où dormir, et nous dit que nous pouvions rester ici
si cela ne nous dérangeait pas de dormir sur des lits de
camp. Au point où nous en étions, nous étions
prêts à dormir n'importe où. Il nous mena donc
dans cette grande pièce aux murs en béton et dont
le plafond était à au moins seize pieds au-dessus
du sol. Le seul aménagement consistait en une douzaine de
lits de camp. A ce moment-là, nous n'en menions pas large
et nous nous demandions bien dans quel guêpier nous nous étions
fourrés. La cellule comportait deux portes mais aucune fenêtre
; l'éclairage était très faible, tout juste
suffisant pour faire quelques pas. Nous entrâmes par une grande
porte en acier. Là, il nous dit que nous pouvions dormir
sur les lits de camp, qu'il serait de retour le lendemain matin,
et de ne pas nous inquiéter car nous serions en sécurité
dans cet endroit. Après ça, l'impressionnante porte
d'acier se referma ; il nous sembla qu'elle était fermée
à clé. Nous ne dormîmes pas vraiment cette nuit-là
ne pouvant nous ôter de l'esprit que nous avions été
menés dans une sorte de chambre à gaz et que notre
fin était proche.
Eh bien le lendemain matin,
à 6h, la cellule fut inondée de lumière ; au
même moment le Français qui nous avait guidés
jusqu'ici était dans l'encadrement de la porte, me demandant
si nous avions une idée de l'endroit dans lequel nous nous
trouvions. Je répondis : " Non. " Il dit alors
: "Suivez-moi, je vais vous montrer. " Nous nous exécutâmes
donc, passant par la seconde porte, vers un couloir qui débouchait
sur une autre porte et ouvrant sur une gigantesque usine. Juste
en face de nous se trouvaient les chaînes de production de
petits avions de reconnaissance utilisés par les Allemands.
Il nous fit descendre dans cette autre partie, semblable à
un énorme magasin de moteurs où il y avait de nombreuses
machines Milwaukee et Brown and Sharp -toutes fabriquées
aux Etats-Unis ! Nous restâmes ébahis. Ensuite, après
le petit-déjeuner, l'homme nous indiqua la direction à
prendre pour aller à Paris. Nous suivîmes cette grande
avenue terminée par l'Arc de Triomphe. Que de choses à
voir ! Nous restâmes quatre jours à Paris, rencontrant
des gens merveilleux. Nous logions chez, eux, et ce fut fantastique.
La famille qui m'accueillait alla même jusqu'à écrire
une lettre, brève, à mes parents. Tout le temps que
nous restâmes ici, ce ne fut que fêtes après
fêtes.
Au départ, alors que
nous suivions l'Avenue de Neuilly jusqu'à l'Arc de Triomphe,
nous avions décidé d'entrer dans une pharmacie afin
d'acheter quelques fournitures dont nous avions besoin. Etant donné
que je parlais français presque couramment, je fus tout de
suite sympathique à la pharmacienne. Elle nous indiqua où
trouver un endroit pour dormir. En fait, nous étions entrés
dans la première boutique venue à la recherche de
telles informations. Ainsi nous partîmes à la recherche
de cet endroit, qui était l'équivalent d'un YMCA en
Amérique. Nous nous y inscrivîmes et nous pûmes
avoir une chambre. Le même jour, nous retournâmes à
la pharmacie, où la femme me tendit une enveloppe avec frappée
dans le coin supérieur gauche du logo Pharmacie du Pont de
Neuilly avec l'adresse suivante : 174 Avenue de Neuilly, Neuilly-sur-Seine.*
En-dessous, le nom de J.Juillard, pharmacien de première
classe*, était indiqué. L'enveloppe était adressée
" A quatre amis américains "*. Je l'ouvris et commençai
à lire :
" Nous serions très
heureux mon mari et moi, si vous vouliez nous faire le plaisir d'accepter
à souper avec nous demain soir mardi -je vous prie de bien
vouloir venir demain matin à la pharmacie donner votre réponse
et chercher mon adresse.
Un cordial souvenir.
Blanche. "*
Il s'avéra que c'était
une invitation à dîner chez eux.
Nous acceptâmes et
ce qui ne devait être qu'un souper s'avéra être
un véritable banquet en notre honneur. Ces gens semblaient
craindre de ne jamais pouvoir en faire assez pour nous.
Une autre invitation arriva
bientôt de la part d'un couple qui était là
le matin suivant. Ce fut un autre festin et nous passâmes
là aussi une soirée formidable.
Voici ce qui était
écrit sur une carte envoyée à ma mère
par ces gens :
" Paris, 6 Oct. 1944
H. Chevalier
142 Ave. de Neuilly
Neuilly (Seine)
France
Madame,
Nous avons le plaisir d'avoir ce soir près de nous votre
fils Albert avec trois de ses camarades. Nous vous en faisons compliment,
car il parle agréablement le français, est correct,
gentil et de la meilleure éducation. Sans vous connaître,
nous espérons que vous avez de très bonnes nouvelles
de tous vos enfants et que vous et votre famille êtes tous
en bonne santé.
Ce soir, une famille française a passé une très
agréable soirée et communié sincèrement
avec vous par delà l'océan. Nous avons bu plusieurs
coupes de Champagne à votre santé et votre honneur.
Que Dieu vous protège. "*
Elle fut signée par
tous les invités.
Les autres personnes présentes
qui signèrent la carte étaient essentiellement des
Français résistants, dont deux hommes membres des
F.F.I. L'un d'entre eux insista pour me décerner une médaille.
La seule que nous avions sous la main était une médaille
décernée à son père par le gouvernement
français pendant la Première Guerre mondiale, et il
insista pour que je la prenne. Je la garde toujours précieusement
aujourd'hui avec d'autres souvenirs.
Nous passâmes le reste
de cette journée à visiter Paris et à être
présentés à quelques personnes importantes
du gouvernement, dont Charles De Gaulle. Il me fût présenté
lors d'une visite au Palais de Justice. C'était un homme
très grand, quatre fois ma taille qui était de 5 pieds
trois pouces et 53 kilos.
Je pourrais raconter encore
beaucoup de choses sur notre escapade à Paris, mais je crains
que cela ne prenne trop de temps. Elle est elle aussi une ville
qui ne dort jamais. Il y avait une boîte de nuit où
nous fûmes reçus comme des rois, " le Chat noir
"*. Cet endroit était fantastique.
Cependant, après quatre
jours de " permission ", nous décidâmes de
retourner sur la côte. Nous rentrâmes de la même
manière que nous étions partis, par les camions de
la Red Ball Express. Comme nous approchions de la côte, nous
commençâmes à nous demander ce qu'il allait
nous arriver. Après avoir tout raconté au pilote et
à l'officier, on décida qu'on statuait sur notre sort
plus tard. Nous apprîmes par la suite qu'ils décidèrent
d'emprunter une Jeep pour aller à Paris ! Je l'ai su avant
notre départ d'Omaha pour l'Angleterre, le reste de l'équipage
avait fini par aller lui aussi à Paris. Il n'était
dès lors plus question d'une punition quelconque. Cet épisode
eut lieu courant octobre. Le navire dût finalement repartir
à South Hampden, en Angleterre, en décembre 1944.
Nous avions quitté l'Angleterre au mois de juin, Plymouth
si ma mémoire est bonne.
Une autre anecdote dont je
me rappelle, c'est que peu après notre retour en Angleterre
nous dûmes préparer le navire pour une inspection.
Nous le remîmes donc dans le meilleur état possible,
malgré les dégâts qu'il avait subits. L'inspection
se déroula très calmement car elle fut faite par le
Roi d'Angleterre, George VI. Le capitaine, M. Hamilton, reçut
une médaille, le reste de l'équipage la Navy Unit
Commendation, et je reçus mon galon définitif de signalman
third class. Peu après, l'équipage fut dissous et
nous fûmes renvoyés aux Etats-Unis. La traversée
de retour fut très mouvementée, l'océan étant
agité à cause de la tempête. Je rentrai finalement
chez moi un mois après Noël pour une permission de trente
jours avant ma réinsertion.
Albert J. Berard (21
juillet 2003)
* En français dans le texte Traduction réalisée par François Oxéant
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