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Roger Lecheminant
Houesville - Manche
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J'avais 20 ans en 1944. Nous
étions cultivateurs et nous vivions à Houesville dans
la Manche. Les conditions de vie n'étaient pas faciles. Nous
avions des vaches qui nous donnaient du lait, nous faisions du beurre
que nous pouvions échanger auprès du boulanger contre
du pain. Nous faisions divers échanges comme ça pour
survivre.
Depuis 1942 j'étais
requis à l'organisation Todt et j'étais employé
à la construction des blockhaus sur Cherbourg. La ville étant
bombardée je me suis enfui une première fois mais
les allemands sont venus arrêter mon père. Je fus obligé
de retourner à Cherbourg pour me représenter aux allemands.
Ils m'ont fait signer un papier me considérant déserteur
de l'armée allemande. Ils pensèrent un moment m'envoyer
travailler en Allemagne mais finalement je suis resté sur
place.
J'ai été envoyé au fort du Roule où
nous creusions un tunnel sous le fort. Ce tunnel servait à
abriter des canons sur rails qu'ils pouvaient sortir ou abriter
suivant le besoin.
Au moment où nous travaillions pour les allemands nous étions
payés 48 francs par jour, nous recevions aussi une demi boule
de pain, 40 grammes de saucisson et 40 grammes de beurre. Nous logions
dans l'hôtel sud-amérique à Cherbourg, 40 par
chambre dans des lits superposés.
Il y avait également des femmes russes qui travaillaient
avec nous. Elles étaient à la gare maritime à
décharger les trains de ciment qui arrivaient. Le soir elles
faisaient le trajet entre la gare maritime et l'hôtel, encadrées
par les gardes allemands. Ils les obligeaient à porter pendant
le trajet une pierre sur la tête. Il nous était interdit
de leur parler.
Vers la fin du mois de Mai les bombardements se sont intensifiés
et cela allait vraiment mal. Les avions survolaient Cherbourg en
rase-mottes, la DCA allemande tirait et comme certains canons étaient
situés sur la montagne bien souvent les tirs finissaient
dans les cheminées ou les maisons tellement les avions passaient
bas. Je me suis enfui une seconde fois et cette fois ils ne m'ont
pas retrouvé. J'ai décidé un ami à s'enfuir
avec moi, nous avons mis 9 heures à pied pour faire le chemin
entre Cherbourg et Houesville, empruntant toutes les petites routes.
Je me suis caché près de notre ferme et comme les
évènements se sont précipités, les allemands
ne sont jamais revenus à la ferme pour me récupérer.
Au début du mois de
juin il y eut une augmentation de l'activité aérienne,
nous voyions de nombreux avions d'observation et je pensais que
quelque chose se préparait mais sans idée précise.
Mon oncle m'avait prévenu en me disant, que si jamais il
y avait un débarquement anglais par ici, de dire aux soldats
"Be welcome". Je me rappellerais toujours de ces premiers
mots.
Le 5 juin au soir, à
la tombée de la nuit, nous avons vu les premiers avions.
Ils volaient très bas et ont largué les premiers parachutistes.
Leur nombre s'est intensifié pendant la nuit et nous avons
retrouvé des parachutes partout, sur Blosville, Houesville,
Angoville. Des parachutes de toutes les couleurs suivant ce qu'il
y avait d'accroché au bout.
Nous, nous sommes tous restés à la ferme et nous n'avons
pas bougé de la nuit. Nous entendions de la mitraille, des
explosions et des fusées illuminaient le ciel. Nous n'avons
pas dormi de la nuit et un peu plus tard sont arrivés des
avions remorquant des planeurs. Ils se posaient autour de Hiesville.
Au lever du jour des parachutistes sont venus frapper à la
porte de la ferme en nous demandant où se trouvaient les
allemands. Ils ont passé un moment dans la cour de la ferme
avant de repartir. Ils faisaient partie de la 101ème Airborne.
Le lendemain matin, nous avions des bêtes qui se trouvaient
dans les champs près de la ferme et je suis allé les
soigner. Les haies étaient remplies de parachutistes. Ils
me demandaient tous où se trouvaient les allemands. Nous
étions jeunes et inconscients, nous nous promenions partout
dans le pays.
Au cours de la matinée des allemands, qui étaient
restés bloqués dans les herbages, ont essayé
de s'échapper en traversant le marais. Je me trouvais au
bord du marais et j'ai vu des parachutistes américains arriver.
Je leur ai signalé les allemands qui s'enfuyaient. Ils les
ont visé mais sans tirer directement sur eux. Les allemands
ont fait demi-tour, les mains en l'air, et se sont rendus. Les parachutistes
les ont emmenés et les ont abattus en arrivant au village,
leurs corps sont restés dans le fossé.
Le village a été
libéré le 6 juin au matin, seuls restaient quelques
allemands qui essayaient de se sauver comme ils pouvaient. Impossible
pour eux, il y avait les marais et trois rivières à
traverser.
Dans les semaines qui suivirent
le débarquement j'avais l'habitude d'aller me promener sur
la route qui allait du grand vey à la madeleine. La mer était
couverte de bateaux et les dukws faisaient la navette entre eux
et la plage pour décharger le matériel. Je suis allé
me promener jusqu'à la plage ; il fallait juste faire attention
à la police militaire, ils se méfiaient de tout le
monde.
A Houesville le maire hébergeait
un officier américain. Celui-ci s'occupait du courrier et
faisait la navette en jeep entre les troupes et la plage où
des vedettes le transportait vers l'angleterre. Un jour le fils
du maire et moi sommes partis avec lui. Pendant qu'il livrait son
courrier nous sommes allés nous promener sur la plage. La
police militaire est passée et nous a emmenés dans
une tente installée dans les dunes. Après avoir discuté
entre eux pendant environ une heure ils nous ont fait monter dans
une vedette rapide et nous nous sommes retrouvés en Angleterre,
à Southampton ; La mer était couverte de bateaux prêts
au départ. Pendant ce temps l'officier américain avait
fait des recherches pour nous retrouver, je ne sais pas comment
il s'y est pris mais le lendemain nous faisions le chemin inverse
pour revenir en France. L'officier américain nous attendait
sur la plage avec sa jeep. Lorsque nous sommes revenus à
la maison mes parents lui ont offert une lampe en cuivre qu'il a
emportée avec lui.
J'ai ensuite travaillé
pour les américains, nous étions employés à
la construction de hangars préfabriqués que nous montions,
cela a duré quatre mois environ et cela faisait du bien car
il n'y avait pas de travail dans la région.
Roger Lecheminant (29
Janvier 2004)
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