Men of D-Day


    
 Troop Carrier
Michael N. Ingrisano
Robert E. Callahan
Benjamin F. Kendig
John R. Devitt
Arthur W. Hooper
Ward Smith
Julian A. Rice
Charles E. Skidmore
Sherfey T. Randolph
Louis R. Emerson Jr.
Leonard L. Baer
Robert D. Dopita
Harvey Cohen
Zane H. Graves
John J. Prince
Henry C. Hobbs
John C. Hanscom
Charles S. Cartwright
 
 82nd Airborne
Leslie Palmer Cruise Jr.
Marie-T Lavieille
Denise Lecourtois
Howard Huebner
Malcolm D. Brannen
Thomas W. Porcella
Ray T. Burchell
Robert C. Moss
Richard R. Hill
Edward W. Shimko
 
 101st Airborne
John Nasea, Jr
David 'Buck' Rogers
Marie madeleine Poisson
Roger Lecheminant
Dale Q. Gregory
George E. Willey
Raymond Geddes
 
 Utah Beach
Joseph S. Jones
Jim McKee
Eugene D. Shales
Milton Staley
 
 Omaha Beach
Melvin B. Farrell
James R. Argo
Carl E. Bombardier
Robert M. Leach
Joseph Alexander
James Branch
John Hooper
Anthony Leone
George A. Davison
James H. Jordan
Albert J. Berard
Jewel M. Vidito
H. Smith Shumway
Louis Occelli
John H. Kellers
Harley A. Reynolds
John C. Raaen
Wesley Ross
Richard J. Ford
William C. Smith
Ralph E. Gallant
James W. Gabaree
James W. Tucker
Robert Watson
Robert R. Chapman
Robert H. Searl
Leslie Dobinson
William H. Johnson
 
 Gold Beach
George F. Weightman
Norman W. Cohen
Walter Uden
 
 Juno Beach
Leonard Smith
 
 Sword Beach
Brian Guy
 
 6th Airborne
Roger Charbonneau
Frederick Glover
Jacques Courcy
Arlette Lechevalier
Charles S. Pearson
 
 U.S.A.A.F
Harvey Jacobs
William O. Gifford
 
Civils
Philippe Bauduin
Albert Lefevre
René Etrillard
Suzanne Lesueur
Marie Thierry
 

 

René Etrillard
Périers - Manche

Je suis né le 5 Juin 1938 dans le passage à niveau N° 14 sur la ligne de chemin de fer Cherbourg / Coutances qui filait ensuite vers le sud et la Bretagne. Ma maison, en pleine nature, était distante de Périers d'environ 1500 m à vol d'oiseau. Ce gros bourg du centre du département de la Manche était le carrefour de plusieurs routes : vers Valognes et Cherbourg au Nord, Carentan et St Lô à l'Est, Coutances au Sud...
J'ignorais tout cela le 6 Juin 1944, dans l'insouciance de mes 6 ans, tout comme je ne savais rien de l'occupation allemande, des restrictions et des difficultés de la vie.
Ce n'est que plus tard que je comprendrai que le carrefour de routes à Périers et la ligne de chemin de fer étaient des axes névralgiques pour le débarquement des armées alliées. Je n'ai aucun souvenir de ma petite enfance. Tout cela, mes parents, mes proches me l'expliqueront. J'étais un enfant choyé, vivant dans ses rêves et ses jeux. Je ne sais même pas si le 5 Juin on a fêté mon anniversaire.

Mon cerveau s'est ouvert à la réalité le 6 Juin 1944! Et s'y est inscrit mon premier souvenir vrai, à moi, que je n'ai jamais oublié :
En début de matinée, nous nous retrouvions dans le lit de nos parents, Janine, 12 ans, ma soeur aînée et moi pour jouer avec notre petite soeur de 2 ans, Marie-Cécile.
Soudain un énorme bruit, la maison tremble, les vitres de la fenêtre tombent en morceaux sur le lit : Une bombe est tombée à 10 m de notre maison, sur le jardin de Papa. Maman nous a rapidement fait sortir pour nous cacher derrière un vieux hangar, sous les orties. Je m'en souviens, sans doute parce que les orties : ça pique!
Puis elle nous a emmenés à 200 m de là, chez nos seuls voisins : la famille Leroussel. Des fermiers comme on disait alors : la mère Julia, le père Auguste qui avait perdu un bras en 14/18 et leurs 3 enfants, déjà adultes, Augustine, Pierre et Marie.
Très vite, tout le monde s'est retrouvé dans un fossé derrière la ferme. Je prendrai petit à petit conscience que, lors des bombardements, il faut quitter les maisons et se terrer dans la nature. Mais ce jour là, de ce fossé, j'ai vu des avions lâcher des bombes. J'ai découvert que les bombes tombent obliquement, alors que, quand je laissais tomber un caillou de ma main, il descendait tout droit vers le sol.
Plus tard, j'apprendrai qu'en quelques minutes, près de 10% des 2000 habitants de Périers avaient été tués.

Après, peut-être le lendemain, j'ai découvert le chemin des Cornons à 1 ou 2 Kms de là. Des adultes avaient hâtivement construit un immense abri dans ce chemin creux typique du bocage normand, en disposant au dessus des talus de 2 à 3 m de haut, un toit de rondins, de planches, de tôles, recouvert de paille et de terre. Plusieurs familles des environs s'y regroupaient, peut-être 50 ou 60 personnes.
Je n'ai pas été très marqué par ce court séjour, sans doute parce que c'était, pour mon esprit d'enfant, une aventure merveilleuse. Il m'en reste cependant un souvenir violent, horrible. Dans la nuit, j'ai été réveillé par un bruit inconnu, comme si des bêtes malfaisantes passaient au dessus de notre abri, des sifflements, suivis de longs hurlements : c'était un tir d'artillerie, une nuit claire de Juin!

Nous sommes alors partis pour l'exode vers le sud. Pierre Leroussel et Papa sont arrivés avec la charrette à foin bleue de la ferme. Dessus, des objets hétéroclites pour moi : des matelas, des sacs de pommes de terre et je ne sais quoi. Attelé à la charrette, dans les timons, un très vieux cheval gris, usé par les travaux des champs, précédé du grand âne brun, mon ami Lubin.
En cours de route, je ne sais où, charrettes et carrioles se suivaient sur une longue ligne droite, un avion est passé au dessus en lâchant une bombe. J'ai entendu des cris, je me suis retrouvé avec tous les autres, dans le fossé et j'ai constaté une deuxième fois que les bombes tombent obliquement... celle-là est tombée plus loin.
Au bout de combien de jours notre exode s'est il terminé? Je n'en sais rien, à six ans le temps ne compte pas. On vit au jour le jour, protégé par les "grands". Nous nous sommes retrouvés dans une belle ferme (je saurai plus tard que c'était à La Selle en Coglès, près de Fougères).

Le seul souvenir très fort que j'ai de ce séjour peut paraître étonnant : le fermier nous apportait de temps en temps un très gros pain rond, cuit dans son four à bois. Il était beau ce pain tout doré et sentait bon (une odeur qui m'était inconnue). Et quand Maman l'a coupé, j'ai vu qu'il était blanc à l'intérieur. Mais en plus, il était délicieux : un vrai gâteau!
Je me dis aujourd'hui que ce jour d'été 44, j'ai découvert en quelques instants tout le bonheur du monde : un homme généreux qui vient offrir en même temps trois plaisirs des sens, la beauté, le goût et l'odeur. Et en plus : le fruit de son labeur quotidien.

Nous avons fait le voyage de retour, sans doute en Août, après le passage des armées alliées. Je n'ai de ce trajet que deux souvenirs très différents. Quelque part, en haut d'une côte, des cadavres de soldats allemands dans le fossé. Une puanteur. Deux ou trois hommes ont essayé de prendre leurs bottes. Pierre Leroussel et Papa s'y sont opposés, avec un seul argument "on ne vole pas les morts". C'est resté dans ma tête, et c'est sans doute ce jour là, que j'ai découvert que Pierre et Papa étaient des "hommes bien" mais que d'autres ne l'étaient pas.
Le soir ou le lendemain, nous avons été accueillis dans une autre ferme. Il m'en reste un extraordinaire souvenir visuel: 4, 5 ou 6 chevaux de labour qui descendaient, l'un derrière l'autre, vers l'abreuvoir, pleins de muscles et de sueur.

Puis nous avons retrouvé notre maisonnette, le passage à niveau N° 14!
Je ne sais pas comment elle a été réparée. J'y ai retrouvé, au fil des jours, ma vie calme et insouciante, dans mon petit monde, au coeur de la nature.
En attendant le 1er Octobre, jour de ma première rentrée scolaire, l'occupation principale des enfants était d'aller voir passer les convois de ravitaillement américains, au bord de la route nationale, à 400 m de notre maison.

J'ai failli y perdre la vie :
D'énormes camions d'un vert bizarre passaient à vive allure. A leur bord, des soldats noirs qui mangeaient tout le temps. Ils nous lançaient des friandises, barres de chocolat, bonbons et surtout les fameux "chewing-gum" qui me feront comprendre leur mastication perpétuelle. Nous nous jetions avec insouciance vers ces cadeaux magnifiques. Je me suis, moi aussi, précipité vers l'un de ces trésors : un petit bonbon au milieu de la route. Un camion arrivait à vive allure et j'ai eu le temps de voir, dans les yeux du conducteur noir un immense effroi. Quelqu'un m'a happé au dernier moment. L'image que j'avais jusqu'alors des noirs était celle de sauvages ou d'hommes inférieurs. C'est peut-être à cause de ce regard rempli de peur que s'est gravée dans mon inconscient, cette idée qu'ils étaient nos égaux et, comme nous, capables du meilleur comme du pire.
J'ignorerai toute ma vie, le nom de ce soldat américain noir qui a eu cette peur atroce de tuer un petit français blanc. Mais je n'oublierai jamais ses grands yeux blancs sur un visage très sombre : c'était aussi une découverte.

Nous allions aussi faire nos emplettes dans un grand champ, derrière notre maison. Il avait été un camp de base américain. Nous y retrouvions les restes de la riche Amérique : des boites de corned-beef (les adultes appelaient cela, curieusement, du singe), Maman l'accommodait à sa façon. On trouvait aussi du chocolat, et surtout du dentifrice : encore une nouveauté! Quelle saveur le matin en se lavant les dents. Un jour, ma soeur aînée et moi, nous avons ramené une boite de conserve ronde de 5 kg. C'était lourd, Maman l'a ouverte, c'était de la marmelade d'orange avec des petits morceaux de peau. Un régal!

Tout doucement... notre vie paisible s'est reconstruite. Des nouveaux produits ont été mis en vente, un matin avant de partir à l'école, Maman m'a dit "René, ce matin, avec ton lait, tu vas goûter du vrai café. Tu vas voir comme c'est bon !". Non seulement c'était bon. Mais cette odeur... je la retrouve, chaque matin avec mon café au lait, 60 ans plus tard.
Les trains ont recommencé à circuler. Mes parents, employés de la SNCF, bénéficiaient de quelques billets gratuits qui nous permettaient d'aller voir la famille en Bretagne. Lors d'un retour, j'ai fait une autre découverte. Notre omnibus Dol - Coutances s'arrêtait plusieurs minutes en gare de Folligny pour laisser passer l'express Paris - Granville. Maman en a profité pour faire le "4 heures" comme on disait alors. Elle a beurré nos tartines. Puis, avec un brin de mystère, elle a sorti et ouvert une petite boite métallique plate, ensuite elle a écrasé 3 ou 4 petits poissons sur nos tranches de pain. C'était la première fois que je voyais et dégustais des sardines à l'huile...

Les souvenirs d'enfant sont étranges. Ils s'accrochent à des émotions parfois violentes, parfois simples et douces. Mais s'incrustent éternellement dans notre mémoire.
Tout en apprenant à lire et écrire dans la petite école, je redécouvrais mon univers, surtout le bosquet à 100 m de la maisonnette. J'y regardais sauter les écureuils, j'écoutais les oiseaux ou cueillais des fraises des bois au pied du talus. Pendant plusieurs mois, une grenade allemande à manche est restée bien visible en haut de ce talus : il nous était interdit d'y toucher. C'était comme un symbole des années noires et de la peur!
C'est un prisonnier allemand, travaillant dans une ferme du coin qui est venu l'enlever. Elle n'était pas dégoupillée, il s'en est chargé et l'a jetée pour qu'elle explose. Ça a fait un énorme bruit, provoquant la fuite des écureuils et oiseaux... mais j'ai pensé quand même qu'il était gentil... il nous débarrassait de l'angoisse qu'elle nous inspirait.

Juste retour des choses, le trou de la bombe du 6 Juin a fait plusieurs années ma joie et celle de mes copains. Elle avait ramené l'argile en surface, nous y avons creusé des galeries et cachettes pour nos trésors enfantins.
Nous y avons créé un univers imaginaire comme tous les enfants du monde, en attendant de devenir adultes pour découvrir que la haine et la guerre sont toujours présentes.

René Etrillard     (08 Juillet 2004)