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John Hooper
Omaha Beach - 115th Infantry Regiment, 1st Bn, Hq Co, A&P
Platoon
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Je m'appelle John Hooper,
peloton de pionniers, compagnie QG, 1er Bataillon
du 115e Régiment de la 29e Division d'infanterie. C'est une
opportunité inhabituelle pour moi de relater le moment ancré
dans ma mémoire le plus excitant et le plus effrayant de
ma vie : cette première journée d'action sur la côte
normande dans le secteur nommé Easy Red.
Bien qu'étant en 1991,
je peux toujours me rappeler précisément ces jours
de 1944, l'interminable préparation en Angleterre et cette
journée de terreur le 6 Juin. Je venais d'avoir 19 ans trois
mois avant et j'avais été affecté au 115e régiment
de la division en tant que remplaçant après mon arrivée
en Angleterre via l'Ecosse en Janvier. Nous, les remplaçants,
passions inaperçus dans une division qui était au
Royaume-Uni depuis fin 1942. Visiblement nous étions là
pour compléter le tableau d'organisation de la division pour
quelque chose d'important sur le point d'arriver. Les rumeurs de
caserne voulaient qu'une invasion de la France soit imminente mais
toute la question était de savoir où et quand elle
aurait lieu ?
Notre chef de bataillon était
le Lieutenant Colonel Richard Blatt, un grand et imposant officier
sortit de West Point qui, lorsqu'il réunissait le bataillon
pour faire un discours, s'adressait à nous les types de la
compagnie QG en disant : " vous les spécialistes ".
Chaque bataillon avait dans sa compagnie QG un peloton de reconnaissance
ou de renseignement, un peloton anti-char et un peloton de pionniers auquel j'étais assigné. La tâche
de ce dernier consistait à poser des mines, trouver et enlever
les mines ennemies, poser des obstacles en fils barbelés,
réapprovisionner le bataillon en munitions, détruire
des obstacles et en général faire le même travail
que celui des troupes du génie.
Nous n'étions pas
autorisés à tenir des journaux ou à avoir des
appareils-photos. Vers la mi-Mai, on nous dit de renvoyer chez nous
toutes les choses qui n'étaient pas essentielles, que nous
ne pouvions ou ne voulions pas emporter. A ce moment nous rendîmes
nos uniformes HBT fatigués. Nous ne les porterions plus.
Il y avait beaucoup d'activité dans le camp mais on ne nous
ordonna rien de particulier. Allions-nous vraiment partir ou pas
? Un matin nous embarquâmes dans des camions pour parcourir
la quinzaine de Kms nous séparant de Plymouth et rejoindre
une base navale appelée base Sir Walter Raleigh. Une fois
les portes refermées, plus personne n'était autorisé
à sortir. Nous étions cantonnés dans les casernes
de la Navy et un détachement de la 5e Division blindée
préparait en grande quantité le genre de repas que
nous n'avions pas pu apprécier auparavant. On nous servait
des steaks et de délicieux menus que nous n'avions pas vus
depuis notre départ des Etats-Unis. Les blagueurs disaient
qu'on nous engraissait avant que nous nous fassions tuer. Là-bas
on nous donna des manuels de français et on paya l'équivalent
de quatre dollars en "monnaie d'invasion". On nous emmena
à l'extérieur au rythme d'un peloton à la fois
dans un bâtiment spécialement grillagé où
de grandes cartes de la côte française étaient
exposées, et on nous dit que l'invasion aurait lieu dans
les semaines à venir. Le Colonel Blatt pointa l'objectif
du régiment, un petit village situé à 2kms
ou plus de la côte. Il l'appela "Saint Laurent sur Mer".
La carte révélait le tracé que nous allions
essayer d'emprunter pour quitter la plage. Notre chef de peloton
avait reçu l'ordre d'installer ses hommes sur une portion
de route menant au sud, situé juste à l'est du village.
On nous dit que notre régiment ne serait pas en tête,
ceci était réservé au 116e régiment
de la division avec quelques éléments de la 1e Division
d'infanterie. Nous serions de la deuxième vague et serions
débarqués avec des munitions et des explosifs supplémentaires.
Nous avions été entraînés intensivement
à débarquer sur la côte anglaise alors je suppose
que nous nous considérions aussi prêts que nous ne
le serions jamais. Nous vérifiâmes nos masques à
gaz dans le bâtiment prévu pour et on nous donna de
nouveaux uniformes OD imprégnés d'un produit chimique
huileux résistant au gaz.
C'était durant les
derniers jours de Mai sous un beau soleil printanier et je regardai
le vaste port de Plymouth, le soleil brillait sur les centaines
de bateaux bercés silencieusement dans leur mouillage. Cette
nuit là un avion allemand solitaire survola Plymouth. Les
grands projecteurs s'allumèrent et révélèrent
l'avion durant un moment pendant que le feu de l'artillerie anti-aérienne
remplit le ciel. Je fus stupéfait qu'aucune bombe ne fut
larguée et que l'avion disparut dans la nuit. Nous pensions
à la cible formidable que représentaient tous ces
bateaux d'invasion ancrés dans le port. Il reviendrait sûrement
et cette fois avec pleins d'amis mais le principal souvenir de cette
nuit là est un inquiétant souvenir.
Le jour suivant nous fûmes
conduits de la base navale aux docks où des rangées
entières de bateaux attendaient. Ils semblaient neufs, lisses
et brillants, pas comme ces petites embarcations ressemblant à
des boites, avec lesquelles nous nous entraînions. Ces bateaux
avaient l'apparence de yachts privés. Longs et minces mais
hérissés de canons de 20mm. Nous embarquâmes
par des rampes juste assez larges pour une seule compagnie. Je crois
qu'il pouvait contenir notre compagnie entière moins les
armes anti-char. Le capitaine du navire nous accueillit depuis un
pont miniature et nous dit que son bateau était un Landing
Craft Infantry (LCI), de grosses lettres blanches étaient
peintes sur sa coque : LCI 455. Je pris note de ceci et écrivit
à mes parents en mentionnant ce chiffre au cas où
ils verraient ce bateau dans les journaux qui couvriraient sûrement
l'invasion.
Une fois à bord et
assignés dans nos quartiers, nous étions libres de
nous relaxer, de lire quelques papiers des forces armées
ou d'écouter des disques avec le tourne disque portable prêté
par la Navy. Les rations étaient préparées
par les cuisiniers de la Navy. Un marin apporta une caisse remplit
d'inhabituelles boîtes de soupe. C'étaient des boîtes
grises, fabriquées en Angleterre, environ deux fois plus
grosses que les boîtes conventionnelles avec l'unique caractéristique
de posséder un mécanisme auto chauffant activé
par un piston en fer. J'en pris deux. Nous quittâmes Plymouth
et plusieurs heures après nous nous rassemblâmes dans
un autre port, quelqu'un dit que nous étions à Weymouth.
Le Jour-J était prévu pour le lendemain matin, lundi
5 Juin 1944. Des prospectus contenant un message d'Eisenhower expliquant
la grande tâche à venir furent distribués. Je
pliai soigneusement le prospectus et le mis dans la poche de ma
chemise. Je l'inclurais dans ma prochaine lettre pour mes parents.
Je l'aurais pour toujours dans le livre de souvenirs que mes parents
avaient commencé à assembler.
Des offices religieux avaient
lieu cette nuit du 4 Juin. J'étais de garde ce qui ne signifiait
rien de plus qu'être debout sur le pont scrutant la nuit toutes
les deux heures. Cela me paraissait une chose assez insensée
à faire à cause des centaines de bateaux ancrés
ici. Notre équipement fut revérifié. Nos masques
à gaz, qui incluait un large sac en plastique vert se terminant
par du plastique transparent, formant un carreau de vision à
360°, étaient pliés dans un paquet de 4x8 inches.
Une fois ouvert cela couvrirait entièrement le soldat et
devrait le protéger contre n'importe quel type de produit
chimique que les allemands pourraient utiliser.
En plus des tenues anti-gaz
précédemment mentionnées, je portais une paire
de chaussures en cuir lisse, tout comme celles de la première
guerre mondiale. Les autres avaient les chaussures régulières.
Tout le monde portait des pantalons de toile et les vestes de combat
brunes ou kakis. Nos paquetages étaient quasiment les mêmes
que ceux de la grande guerre. Des pelles de tranchée pliables
du nouveau modèle étaient sanglées dans leur
étui de toile. Dans mon paquetage il y avait six boîtes
(des rations K pour deux jours) en plus des deux boîtes britanniques
de soupe auto chauffantes que j'avais ramassées plus tôt.
Nous avions aussi un imperméable, une paire de chaussettes,
un change de vêtements ainsi qu'un sac de tissu contenant
un nécessaire de rasage et une brosse à dent. Ma gaine
contenait un compartiment avec deux chargeurs pour ma carabine M-1.
Celle-ci était attachée le long de la gaine avec l'habituelle
trousse de premiers soins. J'avais deux grenades à fragmentation
attachées aux sangles de mon paquetage. A ce moment là,
on nous donna des gilets de sauvetage gonflables. Ils se gonflaient
lorsqu'on pressait des pinces.
Ce soir là nous commençâmes
à naviguer sur la Manche. La mer était assez houleuse
et notre petit bateau tanguait et rebondissait inconfortablement
mais nous fîmes demi-tour en direction du port de Weymouth.
On nous prévint que l'invasion avait été reportée
de 24 heures. Nous apprîmes que le temps n'était pas
favorable pour ce que nous avions à faire. Nous nous relaxâmes
encore et songeâmes au lendemain. Je m'assis sur ma couchette
et écrivis une autre lettre. Il me semble que je dormis un
peu aussi. Ensuite le lieutenant du peloton des communications fit
une annonce assez surprenante. S'adressant au sergent de son peloton
et à tous ceux qui étaient à portée
de sa voix :
-"Sergent je veux que vous compreniez que vous avez ma permission
pour exécuter chaque ordre que je donne ici."
Je pensais que c'était une annonce pompeuse et inutile. Nous
étions soldats et les soldats sont conditionnés à
l'obéissance. Pourquoi faire une telle remarque ? (Je reviendrai
sur ce lieutenant plus tard).
Tard dans l'après-midi
du 5 Juin, les moteurs du bateau redémarrèrent et
nous prîmes la direction de la France. Comme notre petit bateau
approchait de la côte normande nous entendions le martèlement
lourd des explosions. Une annonce fut faite plus tôt disant
qu'aucune personne n'était autorisée sur le pont alors
nous imaginâmes ce qu'il pouvait arriver comme le bateau s'ébranlait
à chaque explosion, faisant résonner la coque comme
si elle était une sorte de cloche géante étouffée.
La tension montait et le silence était omniprésent
lorsque quelqu'un grâce au haut parleur nous avertit de nous
accrocher à quelque chose de solide car le navigateur était
sur le point d'approcher le bateau aussi près du rivage que
possible. Il dit aussi que nous étions à une centaine
de mètres ou plus du point de débarquement assigné
et qu'un marin tenterait bientôt de patauger jusqu'à
la plage avec une corde attachée à une ancre que nous
pourrions utiliser pour nous stabiliser dans le ressac. Il nous
souhaita bonne chance et nous nous dirigeâmes vers le pont,
notre section passa par-dessus la rampe tribord. Enfin sur le pont,
il n'y avait plus aucun doute : nous étions en pleine guerre.
D'énormes explosions semblaient venir de partout. Je me demandai
si elles provenaient de mines ou d'obus. Alors que je descendais
rapidement, je jetai rapidement un coup d'oeil à ma montre.
Il était 8h20.
J'avais de l'eau jusqu'à
la taille, j'actionnai le système de gonflage de mon gilet
de sauvetage, juste au cas où l'eau fut trop profonde. Nous
transportions tous des munitions en abondance. J'avais deux bandes
de cartouches pour fusil en plus de ma propre réserve de
cartouches et vingt livres de TNT dans un paquet imperméable
que nous appelions " satchel charge ". Je ne pouvais pas
utiliser ma carabine, qui était dans son enveloppe imperméable
verte, avant d'avoir atteint la plage ce qui m'inquiétait
quelque peu. En pataugeant dans l'eau je me rappelle avoir essayé
de faire une plaisanterie ridicule, simplement pour dissiper la
tension montante je suppose. Il me semble que ce fut quelque chose
comme :
-"Hé les gars on ferait mieux de foutre le camp d'ici,
on dirait qu'ils ne veulent pas de nous !"
Je ne voyais pas grand-chose au-delà de la plage car une
fumée épaisse recouvrait les hauteurs devant moi.
Elle recouvrait la zone entière d'ouest en est.
Avançant sur la plage,
je m'accroupis, pas sur du sable comme je m'y attendais, mais sur
des galets, je rampai entre deux chars au bord de l'eau. Celui qui
était sur ma gauche semblait être en feu mais les deux
tiraient avec leurs canons de 75mm. Des morts et des blessés
étaient éparpillés partout. Mon dieu je découvris
que j'étais en train de ramper sur des galets ruisselants
de sang, et à ma droite un type semblait être coupé
en deux ; ces deux parties tenant seulement grâce à
ses vêtements. Arrachant le plastique protégeant ma
carabine, je détachai immédiatement ma bouée
de sauvetage ce qui me permis d'être plus près du sol
de quelques centimètres. Je pouvais voir des obus éclater
en ligne devant moi par intervalles de cinq secondes. Je décidai
de m'éloigner et me redressant je courus sur environ 60m
lorsqu'un obus éclata derrière moi. Me retournant
à cet instant, j'en vis un frapper la rampe du LCI que j'avais
quitté quelques moments plus tôt. La confusion la plus
complète s'ajoutait à cette situation effrayante.
Prenant conscience qu'il se pourrait que je ne quittasse pas la
plage vivant, ma confusion en fut encore plus grande. Les explosions
presque ininterrompues provenant à la fois des obus ennemis
et du feu de la Navy étaient terrifiantes ! Dans quelle direction
devais-je aller ? J'aperçu le sergent de mon peloton, à
cent mètres ou plus en avant, qui nous ordonnait de le rejoindre.
Là bas, où un trou avait été creusé
dans les fils barbelés, nous tentâmes d'atteindre un
coin plus abrité dans le versant surplombant la plage.
Mes pensées suivantes
furent pour les mines, passant dans un petit trou d'obus j'en vis
une, à demi exposée, alors je sautais par-dessus elle.
Un autre sifflement d'obus en approche me fit plonger au sol. Il
explosa terriblement près, derrière moi. Alors que
j'essayai de me relever, je me rendis compte que je ne pouvais bouger
un muscle. Je réalisai que j'étais complètement
paralysé. Je pouvais seulement entendre quelqu'un hurler
:
"- Quelqu'un est blessé ?"
Mais ne sentant aucune douleur, je pus me relever en quelques secondes.
Continuant d'avancer, toujours recourbé, quelque chose sembla
tirer sur mon paquetage. Me retournant, je vis que personne n'était
près de moi alors je continuai d'avancer (je reviendrai là-dessus
plus tard). Jetant un coup d'oeil vers la plage je vis d'énormes
explosions et des débris fumants tomber du ciel. J'étais
content d'être loin de la plage. Notre régiment d'assaut,
le 116e d'infanterie, semblait avoir été décimé.
J'avais l'impression que l'armée allemande tout entière
me tirait dessus. Certaines des salves nous frappant provenaient
directement de positions statiques situées à l'intérieur
des terres.
Nous faisions des prisonniers
dans les réseaux de tranchées que nous rencontrions
mais ils n'étaient manifestement pas allemands. Ils avaient
des traits orientaux et auraient pu être japonais. Ils se
tenaient en petits groupes sur ce versant de la colline. Un destroyer,
non loin de là sur la Manche, tira sur leurs retranchements
et les défenseurs se rendirent après que des grenades
leur aient été lancées. Ce fut à ce
moment que je réalisai que ma main droite était trempée
de sang. Je ne sentais rien et je ne pouvais imaginer ce qui avait
causé ça. Je vis une entaille entre le pouce et l'index.
J'enroulai mon mouchoir autour d'eux et continuai ma progression
le long de la pente raide. Il y avait sur notre droite un défilé
assez profond et certains d'entre nous essayaient de le prendre
pour éviter les obus, mais celui-ci était sous le
feu de l'artillerie à l'intérieur des terres. Je remarquai
un énorme trou d'obus fait apparemment par les gros canons
de la Navy dans lequel se trouvait, partiellement enterré,
le nez fondu de ce qui avait du être un obus de 16 pouces.
Je réalisai ensuite combien j'aurai aimé l'avoir pour
collection une fois de retour à la maison. Mais comme les
obus allemands tombaient dans cette zone je me désintéressai
de lui. Quelqu'un d'autre aurait plus tard un joli souvenir.
Traversant le défilé
à droite, nous atteignîmes une crête remplie
de fumée, aussi brumeuse qu'épaisse, provenant des
feux d'herbes. Nous ne voyons aucun allemand alors notre sergent
tenta d'organiser notre groupe. Le chef de peloton était
absent et je pensai qu'il était blessé. C'était
alors le milieu de l'après midi. Avançant très
prudemment, je trébuchai sur une mine sauteuse "Betty". Elle bondit et je m'aplatis au sol m'attendant à
être réduit en morceaux. Elle retomba au sol dans un
bruit sourd sans exploser, ce disfonctionnement était probablement
dû au fait qu'elle avait passé plusieurs années
en position. Nous étions bien dispersés, à
20 ou 30 mètres, les uns des autres et j'hésitai à
bouger dans quelque direction que ce soit. Quand, encouragé
par un autre, je me relevai et le suivis dans ses empreintes jusqu'à
ce que nous crûmes être en dehors du champ de mines.
Les gars avec les détecteurs de mine étaient toujours
en train d'avancer sur la pente raide. Nous nous baissâmes
et commençâmes à creuser pour attendre le regroupement
du peloton.
Bien que sporadiquement,
les obus allemands continuaient de tomber, passant au dessus de
nos têtes en direction de la plage. D'où j'étais
j'avais une bonne vue de celle-ci et je vis un bateau en feu ainsi
que quelques chars en avançant vers la colline. Il y avait
beaucoup d'avions semblant boucher le ciel, des chasseurs avec leurs
bandes noires et blanches, juste tel que l'on nous avait dit qu'ils
seraient marqués pendant le briefing en Angleterre. Il paraissait
y en avoir des milliers faisant des allers-retours au dessus des
plages et c'était une vision rassurante.
C'était difficile
de tenir ma pelle pour creuser alors un infirmier me banda la main
tout en me demandant ce qui c'était passé. Je lui
dis que je n'en avais aucune idée et il s'en alla. Des sapeurs
commençaient à marquer des passages à travers
le champ de mines avec des bandes blanches alors que les choses
commençaient à se calmer. Je n'aimais pas la façon
dont mon bandage blanc se recouvrait de mon sang. Grandement fatigué,
je m'allongeai simplement là où j'étais me
demandant si la guerre durerait très longtemps. En un court
instant nous étions debout avançant vers l'intérieur.
Notre lieutenant surgit de nulle part. Notre peloton semblait toujours
intact mais la confusion régnait et la communication avec
nos chefs n'existait apparemment pas. Nous atteignîmes un
corps de ferme entouré par un verger de pommiers. Les compagnies
de fusiliers, dispersées de chaque côté, ne
trouvèrent aucun allemand alors nous coupâmes par la
ferme en direction d'une route menant au sud. Nous avancions le
long de celle-ci lorsqu'un chasseur piqua en direction d'un endroit
en le mitraillant et en le bombardant.
Approximativement une demi-heure
plus tard nous arrivâmes près d'un char allemand qui
avait été brûlé, son équipage
était éparpillé au sol. Ils semblaient tous
morts et salement brûlés. Parmis les corps il y avait
sur la route un pied nu et blanc posé verticalement. Il était
proprement séparé de son corps d'origine et n'était
pas ensanglanté. Il se passait des choses tellement horribles.
Ce char avait du être frappé par le chasseur que nous
avions vu passer. Des buissons au bord de la route un soldat allemand
appela " kameraden ". Ted Schwanke, de notre escouade,
lui parla en allemand et apprit qu'il avait été salement
blessé et demandait de l'aide. Nous ne pouvions rien pour
lui. Schwanke lui dit que les médecins seraient bientôt
dans les parages. Des coups de feu provenant d'un peu plus loin
sur la route firent que nous nous abritâmes dans des bois
ce qui nous empêcha de savoir d'où ceux-ci étaient
tirés exactement. Les munitions commençaient alors
à manquer et les bandes de cartouches que nous portions furent
rassemblées et distribuées.
Ce fut là, sous un
grand arbre poussant dans la haie que le lieutenant du peloton prit
le fusil et les jumelles du sergent en disant qu'il allait grimper
dans l'arbre pour avoir les salauds. Je me relevai pour le retenir
en lui disant :
"-Ce n'est pas une bonne idée lieutenant" ou quelque
chose dans le genre.
Me lançant un regard furieux il continua et trouva une bonne
position de tir, il tira deux ou trois balles.
Il cria :
"- Mon dieu, je suis touché !" et tomba de l'autre
côté de la haie.
Avec le sergent je plongeai dans celle-ci et le ramenai à
l'abri. Il était touché à la poitrine, nous
appelâmes un infirmier qui lui donna un peu de morphine. La
compagnie se remit en route et nous dûmes laisser le lieutenant
à d'autres. "Quel gâchis" pensais-je. Tout
l'argent dépensé pour engager et entraîner ce
gars qui voulut agir comme un Sergent York ! Quel terrible gâchis.
Il mourut cette nuit là.
Il était tard dans
l'après midi, nous longions une haie en colonne escouade
par escouade. Nous étions tous très fatigués.
Ca avait été une journée épuisante et
nous n'avions rien mangé, bien que je ne me rappelle pas
avoir eu faim. Une explosion à l'arrière de l'escouade
provoqua un plaquage au sol devenu instinctif. Après une
minute ou plus nous nous remîmes en route, la rumeur disait
qu'une grenade pendant du paquetage d'un homme avait perdu sa goupille
de sûreté. Suivirent immédiatement plusieurs
victimes et un appel aux infirmiers. "Mon dieu" pensais-je,
ils étaient arrivés si loin sans une égratignure
et maintenant un stupide accident avait probablement tué
quelqu'un. Il y avait un calme impressionnant alors que nous avancions
le long d'une route sombre bordée de hautes haies. Le crépuscule
se rapprochait et nous nous reposâmes quelques minutes. Le
commandant de notre bataillon arriva en indiquant à notre
lieutenant qu'il cherchait un endroit pour installer la compagnie
de mortiers. Ils passèrent par un trou dans la haie et pendant
qu'ils allèrent en reconnaissance dans le champ adjacent,
les obus de mortier allemands tombèrent là où
ils étaient. Le colonel fut mortellement blessé. Nous
avions alors progressé de 5km vers l'intérieur et
on nous dit que notre colonel avait été emmené
sur une civière vers la plage où il mourut cette nuit
du 6 Juin.
Il faisait maintenant sombre
et notre compagnie rampa vers une sorte de fossé à
côté des haies qui nous camouflaient car elles étaient
envahies d'arbres et de buissons. Mort de fatigue, je m'y allongeai
mais le sommeil ne venait pas. Où menait cette route à
côté de laquelle nous étions allongés
? Les boches l'utiliseraient-ils pour nous attaquer ? Je m'attendais
à entendre un char à tout moment et mis à part
le fait que mes camarades étaient proches de moi dans ce
fossé, je me sentais très seul dans cet endroit horrible.
Quelques uns avaient passé leur veste par-dessus leur tête
pour pouvoir fumer. Le son familier d'un obus arrivant rompit le
silence et je me préparai à recevoir l'explosion.
Je ressentis l'impact quand celui-ci percuta la terre, je fus soulagé
car il n'explosa pas. C'était peut être un obus saboté
par les travailleurs forcés dont nous avions entendu parler.
Cet obus serait sûrement suivi par d'autres, mais il n'arriva
rien et le silence complet retomba.
Mon dieu, quelle merveilleuse
sensation après une journée si misérable. Le
sommeil arriva petit à petit alors que la nuit avançait.
Des avions allemands volaient bas en direction de la plage, leurs
bombes laissant supposer que celle-ci allait se prendre une sacrée
saucée. Mieux valait être ici le long de la ligne de
front pour le moment. Puis un avion solitaire longeant la route
près de laquelle nous étions largua un lot terrifiant
de bombes anti-personnel qui explosèrent dans un horrible
rugissement, ne touchant apparemment personne car je n'entendis
pas d'appels à l'aide. Une fois encore le silence retomba.
Plus tard des bruits de pas me firent sursauter. J'imaginai que
c'étaient des bottes allemandes qui martelaient la route.
"Pour l'amour de dieu" pensais je "tout le monde
dort ?" Quelqu'un ou peut être l'armée allemande
tout entière marchait sur la route. Je remuai certains de
mes compagnons :
"- Vous entendez ça ?"
On me répondit :
"- Oh zut, c'est probablement un foutu français dans
ses sabots de bois."
Oui, c'était le son de deux pieds, rien de plus. "Comment
était-ce possible ?" La plus grande invasion de l'Histoire
avait eu lieu et maintenant un fermier français se promenait
nonchalamment le long du bitume comme il le faisait probablement
depuis des années.
C'est ainsi que se termina
mon premier jour de combat en tant que fantassin, essayant de trouver
le sommeil dans un fossé à quelques kilomètres
d'une plage connu plus tard comme Omaha.
Maintenant, comme promis
plus haut je reviens sur l'impression que j'eus que quelqu'un tirait
sur mon paquetage lorsque j'essayais de quitter la plage. Quelques
jours plus tard, la pluie me fit ouvrir mon paquetage et retirer
mon imperméable soigneusement plié. Quelle surprise
! Il avait été réduit en lambeaux. Apparemment
deux ou trois balles avaient pénétré par le
haut presque parallèlement à mon corps. Entrant juste
en dessous de mon compartiment à gamelle où je rangeais
mes rations K et passant à travers le plis de mon imperméable.
Oui, il y avait des trous de la taille d'un stylo juste en dessous
le clapet protégeant le compartiment à gamelle. Nous
avions mis de coté des sacs avec des couvertures et une paire
de chaussures supplémentaire dans nos cantonnements en Angleterre
qui devaient être amenés par camion par les gars du
QG du bataillon. Je pris alors l'imperméable d'un homme qui
n'en aurait plus besoin.
Ceci met fin à mes
souvenirs concernant la longue préparation pour que je sois
l'un des milliers qui furent présents à Omaha Beach
ce matin du 6 Juin 1944.
John Hooper (18
Juin 1991)
Traduction réalisée par Guillaume Ferey
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