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James H. Jordan
Pfc, 1st platoon, L Co, 3rd Bn, 16th Infantry Regiment,
1st Division
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Le 6 Juin 1944, j'étais
un Soldat de Première Classe âgé de 22 ans membre
de la First Division, 16th Infantry Regiment, 3rd Battalion, L Company,
1st Platoon. Je faisais partie de la première vague d'assaut
débarquant sur Omaha Beach.
Aux environs de 4 heures
du matin le 6 Juin, nous avons commencé à embarquer
dans les péniches de débarquement qui devaient nous
emmener à terre (la nôtre était un LCA). Chacune
contenait 30 hommes. Pour l'assaut je transportais 15 kilos de TNT,
20 chargeurs de munitions, une veste de combat, des médicaments,
des rations de combat, une tenue de protection contre les attaques
au gaz et tout un tas d'équipement dont je ne me souviens
plus. L'ensemble du matériel pesait environ 35 kilos alors
que j'en pesais 80. On nous avait dit que nous aurions à
courir pendant 300 mètres sur la plage à découvert,
sous le feu de l'artillerie et des mitrailleuses. Nous avions conscience
que les pertes seraient élevées. J'étais membre
d'une équipe de démolition constituée de 5
soldats, notre mission était de détruire les bunkers
installés à proximité de la plage, et à
partir desquels les mitrailleuses allemandes tiraient.
Après l'embarquement,
notre LCA fut descendu dans l'eau qui était très agitée.
Un des LCA de notre navire chavira en atteignant l'eau et 6 hommes
furent noyés. Une fois notre bateau mis à la mer,
il se dirigea vers la zone d'assemblage en formation d'assaut, où
nous avons tourné en cercle pendant plus d'une heure en attendant
que toutes les péniches soient prêtes.
Une fois tous en ligne, l'ordre
d'invasion fut donné et nous avons fait route vers la plage.
A droite comme à gauche, et aussi loin que je puisse voir
les péniches fonçaient à pleine vitesse vers
la côte de Normandie. Une vue impressionnante sous le soleil
levant !
Presque immédiatement, on a commencé à nous
tirer dessus.
En quelques minutes, pour
une raison inconnue, notre bateau commença à prendre
l'eau, nous contraignant à rester à la traîne
derrière les autres. Parvenus avec notre péniche en
train de couler à environ 75 mètres du rivage, notre
Chef de Section, le Lieutenant Kenneth Klink, donna l'ordre d'abandonner
le navire. A l'instant où il donna cet ordre, nous avons
reçu un coup direct en plein milieu du bateau : un obus d'artillerie
qui tua instantanément plusieurs hommes. La rampe fut abaissée
et ceux qui en avaient la possibilité commencèrent
à sortir. Plusieurs périrent ou se noyèrent
en sortant par l'avant. Quelques autres escaladèrent les
parois latérales. Assis à l'arrière du bateau
pour la traversée, je tentais de sortir par l'avant. Pour
l'atteindre je devais enjamber les corps de mes camarades, soldats
et amis, qui étaient maintenant étendus morts sur
le plancher du bateau. En approchant de la rampe je fus frappé
par une grosse vague qui me projeta jusqu'à l'arrière
du bateau. Je refis laborieusement le chemin vers l'avant et parvins
à quitter le navire alors qu'il coulait derrière moi.
Je fus le dernier à me jeter à l'eau.
En prenant pied, une nouvelle
vague me déséquilibra en me submergeant. Avec le poids
de mon équipement dans le dos, je commençais à
couler rapidement et compris que j'allais me noyer. Heureusement,
je réussis à me débarrasser de mon sac et atteindre
la surface. Puis, je nageais jusqu'au rivage. Les choses avaient
mal débuté pour moi, une fois à terre, ce fut
pire !
La plage était un
vaste champ de massacre. Les tirs d'artillerie et de mitrailleuses
explosaient tout autour de moi. Morts et blessés gisaient
sur le sable. Comme j'avais perdu mon fusil en même temps
que mon sac, j'en récupérais un, abandonné
sur le sol, et commençais à courir avec la ferme intention
d'atteindre une digue d'environ 1 mètre de haut, distante
de plus ou moins 200 mètres. N'étant plus handicapé
par mon sac, je pouvais me déplacer rapidement. Au milieu
de ma course à travers la plage, les balles commencèrent
à siffler autour de moi, puis touchèrent le sol à
quelques centimètres de mes pieds. Convaincu qu'un mitrailleur
me prenait pour cible je plongeais au sol. Je restais immobile,
espérant que le tireur estimerait m'avoir tué et cesserait
de tirer dans ma direction. Apparemment la ruse fonctionnât,
car les balles n'atterrissaient plus à mes cotés.
Après quelques secondes, je me relevais et repris ma course.
J'étais à environ 6 mètres du muret lorsque
j'entendis un obus passer au dessus de ma tête et atterrir
juste derrière moi. Je plongeais au sol immédiatement,
les éclats projetés par l'explosion passèrent
au dessus de moi, mais touchèrent 5 soldats qui venaient
d'atteindre la digue. 2 furent tués instantanément
et les 3 autres blessés, parmi eux notre commandant de compagnie,
le Capitaine John Armellino, qui perdit une jambe suite à
cette explosion. Je me relevais et courus la distance restante pour
atteindre l'abri relatif du muret. D'une manière ou d'une
autre j'étais parvenu à traverser cette plage, des
30 hommes embarqués sur ma péniche, il en restait
seulement 12 valides. L'invasion n'était commencée
que depuis 1 heure !
Je découvris alors
que le fusil récupéré sur la plage était
inutilisable, probablement encrassé par le sable, je m'emparais
d'un autre à proximité du mur, grippé également,
après en avoir inspecté un troisième hors d'usage,
je réalisais qu'il me faudrait, pour disposer d'une arme
en état de fonctionnement, procéder à son nettoyage.
Derrière la digue, j'entrepris de démonter le M1 et
nettoyer son mécanisme de percussion avec une brosse à
dents que j'avais toujours dans l'une de mes poches. J'obtenais
enfin une arme en état de marche !
Le Lieutenant Klink, qui
était également parvenu à traverser la plage,
pris le commandement des rescapés de la section, et nous
commençâmes à grimper la colline pour tenter
d'accomplir notre mission. Après avoir parcouru une courte
distance, nous fûmes contraints de battre en retraite vers
la plage, à cause des flammes ce versant de la colline était
infranchissable. Rebroussant chemin, je signalais au Lieutenant
Klink un endroit où j'avais aperçu la 2ème
Section du Lieutenant Montieth, également de la Compagnie
L, parvenir à sortir de la plage. (Le Lieutenant Montieth,
fut tué quelques heures plus tard. Il fut récompensé
à titre posthume, recevant la Congressional Medal of Honor
pour son héroïsme ce jour là). Le lieutenant
Klink décida que nous suivrions la même direction.
Comme nous commencions à
grimper notre cheminement fut stoppé par un enchevêtrement
énorme de fil de fer barbelé. Je redescendis jusqu'à
la plage et réussis à trouver une torpille Bangalore
que je ramenais à notre position. Nous utilisâmes la
torpille pour faire sauter l'obstacle, puis, une fois notre chemin
dégagé, nous continuâmes notre progression.
Peu après que nous
ayons repris notre avance, une bataille de grenades à main
s'engagea avec les allemands placés au sommet de la crête.
En raison de la pente abrupte la majorité de leurs grenades
dévalaient la colline derrière moi avant d'exploser.
Sauf une malheureusement, qui roula à moins de 3 mètres
de moi et dont l'explosion me projeta en hauteur, je voltigeais
dans les airs et atterris durement sur le dos. En me relevant, j'entendis
le Lieutenant Klink donner l'ordre de fixer les baïonnettes
au canon. Reprenant l'ascension au pas de charge, nous avons éliminé
les allemands au cours d'un bref combat. Notre position sécurisée,
j'ai découvert que j'avais été blessé
à la jambe gauche, par des éclats de la grenade. Un
infirmier soigna ma blessure. La nuit je fus évacué
de la plage normande et transféré à bord d'un
navire hôpital.
A l'aube ma compagnie comprenait
187 hommes. Au crépuscule il n'en restait plus que 79. Pour
moi cette journée avait été effrayante, exténuante
et douloureuse par bien des manières. Toutefois, j'étais
beaucoup plus chanceux que nombre d'autres, j'avais survécu
!
James H. Jordan (28
Mars 2003).
P.S. à Patrick
Elie : Merci, je suis honoré que quelqu'un de France prenne
le temps de s'informer sur mes expériences de cette journée.
James H. Jordan.
Addenda de Jackson H. Jordan
: Pour ses actions en Normandie le 6 Juin 1944, mon père
reçu plusieurs médailles : Silver Star, Bronze Star
et Purple Heart.
En Juillet 1944, après avoir récupéré
de ses blessures, il rejoignit son unité à St Lô
en France où il fut de nouveau blessé, très
sérieusement cette fois. Il fut évacué en Angleterre,
puis renvoyé aux Etats-Unis où il resta environ un
an en convalescence à l'hôpital de Richmond, Virginie.
Aujourd'hui, il vit à Pittsburgh, Pensylvanie.
(Mis à disposition
par Jackson Jordan le 28 Mars 2003)
Traduction réalisée par Alain
Legoubé.
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