Men of D-Day


    
 Troop Carrier
Michael N. Ingrisano
Robert E. Callahan
Benjamin F. Kendig
John R. Devitt
Arthur W. Hooper
Ward Smith
Julian A. Rice
Charles E. Skidmore
Sherfey T. Randolph
Louis R. Emerson Jr.
Leonard L. Baer
Robert D. Dopita
Harvey Cohen
Zane H. Graves
John J. Prince
Henry C. Hobbs
John C. Hanscom
Charles S. Cartwright
 
 82nd Airborne
Leslie Palmer Cruise Jr.
Marie-T Lavieille
Denise Lecourtois
Howard Huebner
Malcolm D. Brannen
Thomas W. Porcella
Ray T. Burchell
Robert C. Moss
Richard R. Hill
Edward W. Shimko
 
 101st Airborne
John Nasea, Jr
David 'Buck' Rogers
Marie madeleine Poisson
Roger Lecheminant
Dale Q. Gregory
George E. Willey
Raymond Geddes
 
 Utah Beach
Joseph S. Jones
Jim McKee
Eugene D. Shales
Milton Staley
 
 Omaha Beach
Melvin B. Farrell
James R. Argo
Carl E. Bombardier
Robert M. Leach
Joseph Alexander
James Branch
John Hooper
Anthony Leone
George A. Davison
James H. Jordan
Albert J. Berard
Jewel M. Vidito
H. Smith Shumway
Louis Occelli
John H. Kellers
Harley A. Reynolds
John C. Raaen
Wesley Ross
Richard J. Ford
William C. Smith
Ralph E. Gallant
James W. Gabaree
James W. Tucker
Robert Watson
Robert R. Chapman
Robert H. Searl
Leslie Dobinson
William H. Johnson
 
 Gold Beach
George F. Weightman
Norman W. Cohen
Walter Uden
 
 Juno Beach
Leonard Smith
 
 Sword Beach
Brian Guy
 
 6th Airborne
Roger Charbonneau
Frederick Glover
Jacques Courcy
Arlette Lechevalier
Charles S. Pearson
 
 U.S.A.A.F
Harvey Jacobs
William O. Gifford
 
Civils
Philippe Bauduin
Albert Lefevre
René Etrillard
Suzanne Lesueur
Marie Thierry
 

 

  Arlette Lechevalier
Merville

Depuis le 20 avril 1944 et les semaines suivantes, notre côte, et notre village de Merville étaient bombardés par les alliés ; et les morts, les maisons détruites se multipliaient, ma mère Madame Lechevalier, ayant peur pour les siens à savoir : ses deux petits fils, Christophe (5 ans) et Foucauld (3 ans 1/2), leur mère, son fils Noël et moi-même décida de quitter Merville pour nous installer plus à l'abri dans les terres à Bréville dans la belle et vieille maison de la propriété de famille de nos grands-parents Gautier-Lévêque.

Après une semaine d'installation les évènements devinrent de plus en plus graves, sur la côte : bombardements répétés depuis Le Havre, les troupes Allemandes se renforcèrent et après la visite éclair d'un officier Allemand, notre maison devint un campement militaire de premier plan. Nous n'avions plus rien à dire, ils occupaient toutes les pièces principales et l'aile gauche de la maison, nous, nous avions juste le droit de rester dans l'aile droite et de voir chaque jour le démantèlement du mobilier. Je me souviens, avec tristesse, de la vieille et belle armoire normande de ma bonne-maman transformée en niche à chiens, et nos beaux vieux petits lits d'enfants mis en morceaux pour alimenter le feu de l'énorme soupente de l'armée Allemande.

Cette pénible et destructive cohabitation devait durer les deux dernières semaines de Mai avant la nuit du 5 au 6 Juin 1944, elle nous montrait chaque jour que des évènements devaient arriver. L'activité des hommes de troupe grandissait, ils creusaient des tranchées dans le jardin potager, faisaient des abris dans le joli bois derrière la maison, et après y avoir installé des pièces d'artillerie, emplissaient les petits fossés de caisses de munitions.

La dernière semaine avant le débarquement nous avions reçu l'ordre de ne pas sortir de la maison et de fermer nos volets, nous ne devions pas apparaître. C'était l'arrivée massive et bruyante du corps d'élite des officiers SS et gardes d'honneur du Feld Maréchal Rommel.
C'est donc derrière les volets que nous avons pu voir dans la grande entrée du jardin de notre propriété le Maréchal : Ce petit homme en grande tenue de parade militaire venu passer en revue les troupes de combat d'Hitler.

Quelques jours après cet épisode, le mauvais temps s'installa sur notre Normandie, la côte était battue par la pluie et le vent, et la mer très mauvaise. Et pourtant c'est à partir de 11 heures du soir dans la nuit du 5 au 6 Juin 1944 que nous avons réalisé le grand évènement tant attendu : 'Le débarquement des alliés' avec les grenades au phosphore lancées des avions anglais et écossais. On y voyait comme en plein jour et du ciel descendaient par centaines des hommes barbouillés en noir et prêts au combat. Quelle panique parmi la population, et les allemands surpris par l'inattendu, incapables de se regrouper pour recevoir des ordres. Alors la mêlée du corps à corps et de la mitraillette à bout portant commença sur les parachutistes pris dans les branches des arbres. Les morts ; soldats et civils tombaient rapidement. Ainsi au petit jour tous les arbres et toitures éventrées avaient des parachutes vides flottant au vent comme des cocons. Les champs pareils à des aérodromes étaient recouverts de planeurs d'où étaient sortis toute la nuit les soldats entraînés depuis des mois en Angleterre à se battre immédiatement, ce qu'ils faisaient sans attendre.
Quand à nous parqués dans une chambre au premier étage que pouvions-nous faire avec les deux enfants de ma sœur : Foucauld si fragile des bronches, sortir dans la mêlée ou attendre la délivrance rapide du village promise par les alliés ? Mais à ce moment de réflexion, la providence aidant sans doute, ma mère vit arriver en hâte le vieux jardinier de notre grand-mère ; il nous suppliait de sortir bien vite de la maison où les hommes se battaient, les murs s'écroulaient sous le choc répété des obus de marine tirés de la mer, de Ouistreham sans doute. Les avions rasaient le village, détruisant toutes les habitations avec des obus traçants et des grenades qui mettaient le feu. C'est donc avec les enfants dans nos bras que tous, nous avons quitté la chambre pour nous planquer à quelques mètres de la maison dans un petit fossé creusé en bordure de haie. Pendant des heures sous la pluie, au milieu de la bataille infernale, bruit des avions, des canons, des fusils mitrailleurs, nous sommes restés là serrés les uns contre les autres sans rien dire en essayant de protéger au mieux Christophe et Foucauld.

Entre deux vagues de bombardements un jeune soldat égaré sans doute s'approcha de nous, et vida ses cartouches dans l'herbe. Il nous fit comprendre qu'il était polonais, enrôlé de force et ne voulait pas se battre pour les allemands. Il nous donna généreusement la couverture de son paquetage pour couvrir les enfants et nous quitta : hélas pour être grièvement blessé quelques instants après, juste à l'entrée du portail de la propriété ; l'horreur de la guerre était bien sous nos yeux.

C'est seulement en cette fin de matinée du 6 Juin qu'un calme relatif s'établit autour de nous, plus de soldats en vue, que des morts sous les décombres fumantes, quelques coups de feu aux alentours, il fallait retrouver notre refuge encore protégé, nous mettre au sec, manger et si possible dormir. Mon frère voyant la soupente allemande non détruite, sans personne, prit le risque d'aller jusqu'à elle et nous rapporta dans une gamelle de la nourriture à partager en famille dans la chambre au premier étage : la cuisine, située en dessous de nous était déjà à moitié éventrée par les obus de marine.

Ce repos de quelques heures n'avait pas permis aux troupes aéroportées, disséminées dans la campagne de nous délivrer des occupants allemands. Dans la soirée de nouveaux bataillons bien armés avec du gros matériel de guerre reprenaient position face aux alliés remontant la plaine depuis Ranville. Alors la mitraille, les tirs des canons placés derrière la maison reprirent avec intensité, nous étions pris entre les deux armées. Cette fois plus possible de bouger, les balles des mitrailleuses et les éclats d'obus se logeaient dans les murs de la chambre, le plâtre nous tombait dans les yeux. Voyant le danger progresser, mon frère nous installa le sommier du lit en pan incliné contre le mur et le matelas bouchant la fenêtre amortissait les balles et les éclats d'obus. Ainsi tous allongés sous le sommier nous avons résisté à un enfer de feu pendant cinquante six heures sans être atteints. Il faut vous dire que ma mère récitait son chapelet à haute voix pour nous permettre d'y répondre : le ciel veillait sans doute sur nous et nous épargnait.

Après cet assaut, Christophe, le premier commença à se manifester ; il voulait sortir et son estomac de bon mangeur réclamait, il demandait avec force : " Bonne maman, bonne maman, je veux des tartines, je veux des tartines ! "
Après réflexion, ma mère dit qu'il devait rester du pain et peut-être du beurre dans la salle à manger mais il fallait descendre pour y accéder. Elle crut le moment d'accalmie propice pour satisfaire Christophe et avec lui descendit et pénétra dans la pièce mais leur silhouette, sans doute visible du dehors déclencha un coup de feu et une balle bien tirée passa entre Christophe et Bonne-maman, elle se logea heureusement dans la vieille horloge le long du mur après avoir traversé le cartable de ma sœur accroché à un morceau de fenêtre. La peur les fit remonter précipitamment pour se remettre en ligne avec nous sous le sommier. Un bout de pain allemand fut la seule nourriture trouvée !

Durant une semaine environ la vie reprit sous le contrôle allemand avec des tirs de canons et de gros obus de marine, la mer démontée ne pouvait permettre de débarquer le gros matériel et les munitions indispensables aux alliés pour continuer le débarquement. Ma sœur et ma mère se hasardaient de temps en temps à sortir pour le ravitaillement à la ferme toute proche de notre propriété.
Elles entreposaient ce qui pouvait encore servir dans notre cuisine éventrée ouverte à tous vents et servant d'abri précaire aux soldats allemands qui pourchassaient les parachutistes anglais et écossais disséminés dans la campagne environnante.

Un après-midi, mon frère ayant aperçu dehors deux bicyclettes allemandes abandonnées dans la tourmente d'une fusillade les rentra vite dans la cuisine pensant qu'un jour elles nous seraient peut-être utiles. Encore une fois cette heureuse perspective devait s'évanouir. Le soir même de cette trouvaille inespérée, mon frère se trouva face à face avec deux allemands dans la cuisine ; une discussion s'engagea entre eux : " Monsieur, volé bicyclettes allemandes, parachutistes cachés ici " Entendant de la chambre les paroles devenir violentes, ma sœur descendit dans la cuisine et pour tirer mon frère de ce mauvais pas dit aux allemands : " C'est moi qui ait rentré les bicyclettes abandonnées dehors ". La discussion s'arrêta mais revolver au dos, mon frère avec l'un des allemands dû passer dans les pièces de la maison où des parachutistes auraient pu se cacher. Heureusement ils n'en trouvèrent pas, mon frère fut relâché. Pendant ce temps, le deuxième allemand s'empara des bicyclettes et les mit dehors contre le mur, presque aussitôt une rafale d'obus s'abattit juste sur l'angle du mur réduisant en miettes les deux engins convoités ! … L'affaire était réglée !

Notre espoir de voir finir ce cauchemar n'était pourtant pas près de se réaliser. Dans la nuit suivante les deux enfants se mirent à pleurer, à nous appeler : mal au ventre et à la tête, tous deux semblaient fiévreux, et quand le jour nous permit de les voir il était clair qu'ils commençaient la rougeole. Nous ne savions comment faire ?

Les allemands à nouveau maîtres du terrain circulaient partout dans la maison délabrée et soudain un bruit de bottes dans l'escalier ne pouvait nous rassurer ! en effet après quelques minutes nous vîmes trois allemands entrer dans la chambre et stupéfaits de nous trouver ainsi en ces lieux nous dirent : " Raoust " il en fut de même dans la chambre à côté pour le très jeune soldat polonais blessé que nous avions recueilli pensant pouvoir le sauver par les anglais. Qu'est-il devenu ??
Quant à nous, très vite et avec fusils dans le dos, les enfants dans nos bras, ils nous mirent dehors en nous disant : " Si vous allez vers la mer, tous Kappout ". Alors après avoir installé tant bien que mal les deux petits malades dans leur vieux landau de bébé avec ses quatre roues encore bonnes, nous quittâmes pour toujours la chère vieille demeure de Bréville, berceau de famille où tant de générations avaient vécu des jours heureux de jeunesse, d'adultes et d'âges mûrs.

Nous voilà donc partis errant sur la route vers Gonneville (15 Juin) cherchant des passages entre les énormes trous d'obus et un refuge pour nous abriter la nuit.
Le mauvais temps sévissait toujours nous avancions difficilement. Après un arrêt forcé par la mitraille nous étions à moitié assis dans un gros trou de bombe, quand soudain nous vîmes venir à nous deux hommes exténués par la bataille, dépourvus de tout, sans armes, ne sachant où aller ? Ils étaient anglais, séparés de leur bataillon ; alors apercevant quelques petites maisons de maraîchers donnant sur les herbages de Gonneville, nous leur fîmes comprendre que nous y allions espérant trouver là un abri pour nous et pour eux une cachette afin d'échapper aux mitrailleuses allemandes.
C'est dans la soirée que l'une des petites granges abandonnées nous donna refuge : rien que de la paille et du foin pour dormir à terre. Christophe et Foucauld très fiévreux furent installés sous la mangeoire des animaux, ils seraient ainsi plus protégés des tirs mitrailleurs et des obus. Quant aux deux parachutistes, ils trouvèrent proche de nous un grenier garni de bon foin où ils pouvaient se cacher plus facilement et nous de leur monter quelque ravitaillement sans être vus des allemands.
La nuit était venue, nous commencions à préparer notre lit de paille quand nous entendîmes que dehors on parlait français, quelle surprise ! C'était un brave paysan ayant fui l'enfer de Bréville, le père Bouillaut, avec son petit-fils et la seule vache qui leur était restée en vie. Elle n'avait pu être traite depuis deux jours, une fois de plus le bon lait chaud et crémeux d'une vache normande apaisa la faim des nos estomacs vides.
Quant aux deux petits malades, ma mère n'eut comme remède à leur donner que du gros cidre resté dans un vieux tonneau : était-ce mieux que rien ?? Personne ne le saura !
Le lendemain et bien des jours suivants encore nous vivions entourés de soldats allemands, cette fois des SS, fouillant avec force la campagne et les villages. Ils arrivèrent jusqu'à nous, nous demandant si nous avions vu des parachutistes, bien sûr notre réponse fut négative ; et pour s'en assurer, ils entrèrent dans notre misérable installation, ensuite ils enfoncèrent leurs baïonnettes en travers dans la meule de paille restée debout devant la petite étable.
Leur visite n'était pas terminée, ils entrèrent cette fois dans la maison éventrée où les parachutistes vivaient cachés dans le foin du grenier. Cette fois nous pensions que notre dernière heure était venue, nous nous regardions en silence, les allemands prirent l'escalier et au premier étage entrèrent dans les pièces délabrées ouvertes à tous vents et là, par miracle, ils s'arrêtèrent devant le pauvre escalier du grenier et redescendirent ! Quel soulagement incroyable ! Dieu soit loué, une fois de plus nous étions tous vivants !! Mais il devenait clair que notre séjour ici ne pourrait durer longtemps : les bombardements incessants de Bréville sur nous s'intensifiaient, nous empêchant de faire du feu pour cuisiner les légumes crus que les éclats d'obus arrachaient des plantations maraîchères, les avions alliés jetaient leurs obus dès la moindre colonne de fumée aperçue du ciel. Nous ne pouvions donc manger que des salades, des carottes crues, des artichauts parfois quelques fraises mûres et des morceaux de poires de Juillet.
Quant à nos vêtements de corps, hélas très réduits, ils demandaient à être nettoyés aussi, un matin avec une accalmie subite et un peu de soleil, maman et moi avons lavé à l'eau froide, sans savon, deux chemisettes de corps, nous espérions qu'étendues sur une petite haie elles seraient sèches dans la soirée. Mais la faim sans doute et le désarroi régnant sur les bêtes comme sur les hommes firent qu'une vache errante passant devant les ombrages les trouva à son goûte et les mangea sans que nous puissions intervenir !! Quant à nos chaussures à semelles de bois, elles prenaient l'eau et la boue comme des éponges : ma sœur et moi-même ne pouvions envisager de prendre la route en marchant pieds nus, c'est alors qu'après une inspection dans une petite cave nous aperçûmes sous les décombres les sabots des maraîchers, malheureusement ils n'existaient plus par paire, il fallut donc se contenter d'assortir au mieux ceux qui pouvaient nous chausser avec du foin à l'intérieur.

Notre vie devenait donc chaque jour plus pénible, la rougeole des deux petits n'arrangeait rien, il nous fallait gagner un centre encore équipé avec des médecins, la direction du bourg de Troarn encore épargné par les bombardements fut notre décision. Il fallut mettre nos parachutistes au courant des raisons de notre départ. Ils nous comprirent, ce fut avec regret que nous les quittâmes en espérant que la chance favoriserait leur jonction avec les leurs soit par Merville ou Bréville…Ainsi vont les destinées.
Ce matin là, l'arrière de Gonneville, vide de toute population semblait calme et bravant de nouveau le danger le départ se fit avec les deux petits remis dans leur vieux landau. Nous traversâmes tant bien que mal avec nos sabots aux pieds les champs labourés par les obus jusqu'à la route de Troarn. C'est là qu'après des heures de marche interrompues par les coups de feu des mitrailleuses et des fusils allemands tirant sur les soldats anglais coupés de leurs bataillons, une rencontre providentielle vînt à nous sur la route : Monsieur le curé de Troarn ancien vicaire à Notre-Dame reconnut maman et s'écria : " Madame Lechevalier, je vous reconnais, venez au presbytère vous reposer et manger, nous avons encore du pain " Quelle merveille, nous en avions perdu le goût depuis des semaines ! Cet homme de Dieu nous reçut avec beaucoup de chaleur et de charité, il nous réconforta, nous avions perdu la notion du temps et avions deux jours de retard sur la semaine. Il nous donna des vivres à emporter. Voyant les allemands arriver par camions et prendre possession de la commune, il nous conseilla de repartir et de gagner comme beaucoup de gens de Troarn le village de Janville, petite commune située plus à l'arrière dans les terres. Son conseil était juste, la bataille ne se fit pas attendre, les premiers bombardements commencèrent sur Troarn dans la nuit de notre arrivée à Janville où nous étions hébergés au premier étage de la petite école transformée pour recevoir les nombreux réfugiés.
Mademoiselle Quintaine l'institutrice, vivait avec sa mère ; toutes les deux nous aidaient très aimablement. Elles se méfiaient beaucoup d'un groupe d'allemands détachés de Troarn et installés dans l'une des classes dont la cloison de bois les séparait seulement du petit bureau de travail de Mlle Quintaine. Cette dernière très active dans la campagne, avait trouvé un petit poste émetteur récepteur abandonné sans doute par un parachutiste tombé dans la nuit sur la commune. Cet objet précieux nous rendait grand service pour écouter clandestinement les nouvelles des opérations menées par les alliés et, pour ne pas éveiller l'attention des allemands cantonnés juste derrière la cloison nous mettions la musique assez forte des disques qui servaient aux enfants de l'école. Ainsi les allemands n'ont-ils jamais su que nous savions la bataille sur Caen, Ouistreham, et la progression anglaise malgré les très nombreuses pertes humaines.

La fin Juin allait devenir encore une fois pour nous très préoccupante, Christophe faisait sans doute une complication de rougeole, il s'affaiblissait chaque jour, et un matin voyant qu'il ne répondait plus à son nom, ma sœur désemparée nous quitta sur le champ pour trouver du secours à Troarn malgré la bataille engagée et la route bombardée. Après des heures d'inquiétude et d'attente la porte de la chambre s'ouvrit brusquement. Ma sœur apparut avec une veste allemande sur les épaules et un calot sur la tête. Le médecin allemand qui l'accompagnait lui avait imposé ce costume pour pouvoir passer avec, elle inaperçue, dans la petite voiture de guerre découverte. Sans rien nous dire, il s'approcha du petit malade, l'examina soigneusement puis, de sa trousse médicale tira une petite pilule blanche qu'il coupa en deux et avec difficulté pour parler français nous dit : " donner le soir une première moitié, l'autre le lendemain matin après avoir enveloppé le corps de l'enfant dans un linge trempé d'eau froide ! " il ajouta " C'est une petite pneumonie centrale ", il reprit son matériel et nous quitta rapidement.
Qu'allions nous faire après son départ ?
Etait-il vrai médecin voulant sauver une vie ou comme d'autres de ses semblables était-ce l'occasion pour lui d'abréger les jours d'un enfant ? Les remèdes qu'il nous avait prescrits nous paraissaient si étranges à nous français !
Une solution à risques s'imposait à nous, mais voyant l'état inquiétant de Christophe la décision fut prise : ma mère l'enveloppa dans un morceau de drap trempé dans l'eau froide, ma sœur lui fit avaler la première moitié du petit comprimé blanc et sans rien dire il s'endormit. La nuit nous parut longue mais au petit matin Christophe ouvrit les yeux, il était moins fiévreux et nous regardait à nouveau comme soulagé. Nous aussi nous commencions à reprendre confiance et sans hésiter notre petit homme eut à avaler la deuxième moitié de la pilule miracle.
Et pour nous, la surprise de cette guérison rapide devait se confirmer, quelques heures plus tard des pas d'homme dans l'escalier puis quelques coups frappés à la porte : elle s'ouvrit et le médecin allemand de la veille entra dans la chambre et vit avec satisfaction que son petit malade était bien vivant. Il nous fit comprendre que la petite pneumonie centrale était enrayée, il nous salua et redescendit pour repartir dans sa voiture.
Il y avait donc à Troarn un vrai médecin allemand auquel Christophe, petit français, devait la vie.

Un autre grand évènement libérateur de nos peurs et tristesses des jours meurtriers devait apporter à ma mère en premier, à moi et à ma sœur une très grande joie : le retour inattendu de mon frère à Janville au petit matin. Il faut vous dire que nous étions sans nouvelles de lui depuis nos tristes jours passés à Gonneville, où il avait été arrêté et embarqué avec deux autres jeunes dans un camion allemand pour une destination inconnue. Qu'étaient-ils devenus ? Les allemands ne s'encombraient pas longtemps de leurs prisonniers réfractaires pour le travail en Allemagne. Combien en avaient-ils fusillés au bord des chemins et dans les bois. Pourtant sans rien nous dire, nous pensions au fond de nous-mêmes qu'ils étaient vivants quelque part et reviendraient. Cet espoir se réalisa avant le lever du jour car il ne fallait pas alerter les allemands, nos proches voisins dormant dans l'école. Aussi est-ce sans bruit que la porte de la chambre s'ouvrit et que nous vîmes apparaître deux formes d'hommes aussitôt reconnus : mon frère Noël, et Jean Bouilleaut de Bréville, émotions, joies intimes et profondes se confondaient, nous étions à nouveau tous réunis et vivants. Mais leur épuisement était tel après leur traversée nocturne des marais de Varaville inondés par les allemands qu'ils s'allongèrent sur nos matelas mis à terre ; les pieds nus et meurtris de Jean n'étaient plus que des boules de sang ! De toute la journée ils n'ouvrirent pas les yeux, leur sommeil profond en disant long !

Pendant plusieurs jours, ils restèrent parqués dans notre gîte, impossible de les faire sortir au milieu des allemands qui les auraient repris immédiatement. Leur sort une fois de plus devenait critique, nous cherchions une solution : elle fut trouvée grâce à un bon camarade de mon frère, membre actif de la résistance de notre coin normand. Les deux rescapés furent planqués sans bruit et sans être vus des allemands en un lieu sûr qui ne nous fut pas révélé.

Les jours suivants devenaient de plus en plus dangereux à Janville, les obus tirés de Troarn arrivaient jusqu'à nous, nous étions déjà en Juillet, un bon mois après la fameuse nuit du 6 Juin 1944. Nous nous demandions comment ne pas retomber dans un enfer de feu et de mort avec nos deux petits hommes, Christophe à peine remis de sa grave maladie demandait des soins. Le dénouement devait arriver providentiellement au cours d'une sortie de ma mère pour le ravitaillement. Elle fit la rencontre inattendue de monsieur Brillard, notre couvreur de Merville qui avait pu sauver des destructions de notre petite commune un camion et de l'essence. Il voulait fuir à tout prix les combats et les bombardements qui recommençaient à faire des morts dont beaucoup de civils. Il proposa donc à ma mère de partir avec lui dans la direction du département de l'Orne. Pour nous la perspective des retrouvailles définitives nous paraissait merveilleuse. Notre grand-mère habitait La Ferté-Macé où son fils Pierre Gautier le notaire, vivait avec sa femme et ses trois filles, et peut-être aurions nous la joie de retrouver ma sœur Anne restée à Caen depuis le mois de Juin pour faire passer les examens de troisième à ses élèves. Nous ne savions rien d'elle… Sans doute avait-elle assisté et supporté les terribles bombardements sur Caen où tant de civils trouvaient chaque jour la mort par centaines écrasés sous les amas de décombres des immeubles ou murés dans les caves des vieux hôtels particuliers et maisons bourgeoises de la vieille ville.

Notre départ accepté se préparait activement mais sans donner aucun éveil aux troupes allemandes patrouillant le secteur, mitraillettes et fusils toujours braqués pour tuer. Monsieur Brillard très conscient des dangers de notre passage sur la route de Falaise nous prévînt que nous partirions de bon matin par temps nuageux et couvert afin d'éviter la mitraille des avions en rase-mottes.
Les conditions météorologiques souhaitées se réalisèrent la deuxième semaine de Juillet et au jour dit ; mon frère étant de retour parmi nous pour le départ, la petite équipe familiale au complet s'installa à l'arrière du camion découvert avec plusieurs autres réfugiés. Le ciel très sombre avec de gros nuages semblait nous dire que le moment était propice pour prendre le chemin de la libération. Un morceau de drap blanc attaché en haut d'un grand manche en bois et agité tout au long de la route devait permettre aux avions mitrailleurs de nous reconnaître comme simples civils fuyant les combats. Ainsi équipés, brandissant à tour de rôle, aussi haut que possible notre drapeau blanc nous atteignîmes la route de Falaise. Là, un nouveau spectacle de guerre nous était réservé ; des deux côtés de la route la bataille des blindés des deux armées faisait rage. Dans la riche plaine de Caen à Falaise, au milieu des blés en flammes, nous ne voyions de ce brasier que des gerbes de feu, des chars tordus achevant de brûler. Il fallait faire vite pour échapper à un nouveau massacre de civils. Heureusement le camion roulait aussi vite que possible sans s'arrêter un instant, bravant toutes les intempéries imprévues de la guerre. Notre morceau de drap blanc flottait bien haut au-dessus de nos têtes, il devait nous différencier assez facilement des quelques voitures militaires qui passaient peu nombreuses heureusement.
C'est ainsi qu'après quelques heures de route qui nous parurent très longues nous atteignîmes Falaise déjà bien détruite par les bombardements aériens. Nous traversâmes sans ennuis la moitié de la rue principale, ma mère indiqua aussitôt à Mr Brillard la route sur la droite pour gagner le département de l'Orne et la ville de La Ferté-Macé ; région encore épargnée par les horreurs de la guerre.

Pour la première fois depuis le 6 Juin nous nous sentions soulagés, les jolies routes ombragées par les grands et beaux arbres de cette région forestière nous faisaient un peu oublier les massacres des hommes et de la nature de notre Normandie côtière.
C'est au cours du déjeuner de midi que notre chauffeur improvisé s'arrêta avenue Thiers devant la maison de notre grand-mère. Au bruit du camion, tous les convives se levèrent de table, mon oncle Pierre le premier près de ma bonne-maman accourut aussitôt et s'écria : " Enfin les voilà et tous sont vivants ". Quelles retrouvailles de joies indescriptibles, inoubliables après tant de souffrances, d'insécurité perpétuelle et la mort au quotidien.
La famille cette fois se retrouvait au complet, ma sœur Anne aussi était là, grâce à une vieille bicyclette elle avait réussi, après les bombardements sur la ville de Caen, à rallier La Ferté-Macé par étapes.

C'est là que grâce à notre grand-mère, à la douceur de la vie familiale retrouvée que nos tragiques épisodes dus au débarquement prirent fin.
Très vite la petite cité désertée par les allemands en fuite fut délivrée par les américains. Nous avons eu la grande joie de les voir arriver nombreux, joyeux, montés sur leurs chars et nous, de mettre à la fenêtre le drapeau bleu, blanc, rouge, emblème de la France libérée.

Arlette Lechevalier