Le 508th PIR quitta les USA peu
de temps après Noël 1943. Nous débarquâmes
à Belfast, et installâmes un camp quelque part en Irlande
du Nord, entre Coleraine et Port Stuart, où il pleuvait tous
les jours, sauf le dimanche. Après un mois environ, nous
avons traversé l'Angleterre afin de nous installer dans la
belle région de Nottingham aux alentours de février
1944. Le temps s'était amélioré.
Nous fîmes des sauts d'entraînement, toujours de nuit,
et durant l'un d'entre eux, je traversai le toit en chaume d'une
ferme, et me blessai en roulant dans la chambre du fermier, lequel
dormait avec sa femme.
En avril ou en mai, en plus de
mes responsabilités de chef de peloton, je fut nommé
Officier de liaison avec l'Air Force. Ceci signifiait que j'aurai
la charge d'organiser les sauts à venir pour le 3ème
bataillon.
Vers la fin du mois de mai, l'officier commandant le bataillon me
demanda de me rendre à un certain aérodrome (dont
je ne me rappelle pas le nom), afin de préparer l'arrivée
des troupes. Puis, avant que je ne parte, l'officier commandant
me dit, après m'avoir fait jurer de garder le silence, "C'est
le grand saut. Nous y allons."
D'après mes souvenirs, le régiment quitta Nottingham
dans des bus britanniques a deux étages, de la compagnie
Whitsundide ou WhitSunday, se rendit sur le terrain et coucha dans
un hangar que j'avais préparé pour nous. Il était
fermé par des fils barbelés, et seules quelques personnes
pouvaient aller et venir. Je pouvais sortir, mais je n'avais nulle
part où aller !
Nous fûmes prêts à partir le 4 juin, mais le
mauvais temps fichu tout en l'air. De la pluie, de fortes rafales,
mais rien de ressemblant aux régions côtières.
L'aube du 5 juin 1944 fut claire
et radieuse. Tard dans l'après-midi, nous commençâmes
à charger notre équipement dans les avions (le 1er
et le 3ème bataillon étaient sur le même terrain).
Il faisait jour très tard chez les Britanniques, et dans
cette région du Nord il fallait attendre minuit pour que
tout soit absolument sombre, c'est pourquoi il faisait encore jour
au moment où nous avons décollé (je ne me souviens
pas de l'heure exacte).
Nous volions vers le sud et l'ouest au-dessus de l'océan.
Il faisait sombre et les formations d'appareils avaient de minuscules
lumières bleues à l'extrémité des ailes
et sous le fuselage, disposées de sorte à ce que seuls
les autres appareils puissent les apercevoir. Nous nous orientâmes
à l'aide d'un sous-marin, tournâmes en direction du
sud pour un moment, puis de l'est avant de franchir la cote occidentale
Normande à l'azimut 113 degrés.
Apparemment il nous restait quelques minutes avant d'arriver à
la zone de largage, et la lumière rouge d'avertissement s'alluma.
Tout le monde se leva et se mit en position de saut. De nuit, la
défense anti-aérienne ressemble à un vol au-dessus
de feux d'artifices. L'avion commença a être secoué
par les chocs, mais il ne me semble pas que nous fûmes touchés.
Nous avons continué à voler, voler, voler. Nous savions
que quelque chose ne tournait pas rond. Je ne distinguai plus les
feux des autres avions de la formation. Les gars commencèrent
à s'énerver, et la file de parachutistes pressait
et poussait. Certains commencèrent à jurer, il me
semble.
Puis le chef d'équipage vint à moi et me dit : "
Lieutenant, nous ne parvenons pas à trouver la zone de largage.
Nous sommes perdus. Voulez-vous retourner en Angleterre ? "
Dieu tout puissant.. Retourner en Angleterre ? Les gars m'aurait
jeté par la porte et auraient sauté de toutes façons,
ou m'auraient tué au moment du retour en Angleterre. "
Sommes-nous en France ? " Il répondit " Oui ! "Je
lui dis alors " Allumez-nous la lumière verte, nous
y allons."
J'avais un grand et affûté
couteau de GI dans un fourreau fixé à ma botte, une
carabine (calibre .30), et un pistolet calibre .45 qui était
chargé et prêt à faire feu dans un étui
de poitrine. Ainsi je quittai ce bon vieux C-47. Je savais dès
lors qu'il avait quelque chose qui clochait au sol, mais cela ne
m'inquiéta pas particulièrement. J'étais heureux
d'avoir quitté cet avion, et ce sentiment était partagé
par tous les paras.
Mon parachute s'ouvrit de façon
normale, je vérifiai les oscillations toutefois. Une forte
brise soufflait et je savais que je volais plutôt vite dans
une direction. Je ne descendais pas réellement. Ce qui s'apparentait
à un pâturage en dessous de moi était en réalité
une partie inondée de la rivière Merderet. J'enlevai
alors mon parachute de réserve et le larguai aussitôt
afin d'éviter tout problème au moment d'enlever mon
parachute principal au sol. Je sais que nous avons sauté
à une altitude comprise entre 700 et 800 pieds, ce qui est
plutôt bien. Puis je réalisai que j'étais en
train de reculer, j'aurais pu me tourner pour aller vers l'avant,
mais ce fut impossible, et je me laissai aller, là où
Dieu voulait bien me guider.
Le " pâturage " était loin derrière
à présent et je pouvais voir des maisons au-dessous.
Je réalisai que j'arrivais très vite, et selon un
mouvement horizontal, beaucoup plus que vertical.. Puis " WHAMMMM
".
J'étais entraîné à cela, depuis l'épisode
du toit de chaume.. Je me balançais au coin d'une chambre,
contre le mur droit, puis le mur gauche. Par la suite, je me suis
aperçu que j'avais traversé le toit d'une ferme en
pierres. J'ai aperçu les poutrelles, espacées de 60
cm environ, jusqu'au sommet du toit, comme dans n'importe quelle
maison.
Je sortis le couteau de ma botte et coupai les suspentes nylon qui
vont des épaules jusqu'au parachute. Je me balançais
maintenant, suspendu à mon épaule gauche, cognant
toujours les murs, droite-gauche-droite-gauche...
Puis j'entendis des voix et reconnu
la langue. Ils n'étaient pas Français. Un Schmeisser
(pistolet-mitrailleur allemand, balles plus petites que nos pistolets-mitrailleurs)
commença à faire feu à travers la porte et
à travers la fenêtre de la grange, mais je me balançais
derrière la fenêtre et suffisamment loin de la porte,
c'est pourquoi il me manquèrent. Je distinguais deux personnes
en dehors de la grange, et ils se rapprochaient. Je sortis mon .45
de son étui. Ma détente était très légère
et le coup partit à ce moment là. J'ai eu la chance
de ne pas m'arracher le bras - je continuai à tirer (reflex
nerveux je suppose), et quand l'Allemand franchit la porte en tirant,
une balle de mon .45 le toucha et le projeta dans un coin. Le .45
est une arme sacrément costaud : Je n'ai pas revu bouger
cet homme à nouveau. J'attrapai la sangle de mon couteau,
le tirai, et coupais les suspentes sur le coté gauche, et
touchais enfin le sol. Je me couchais alors sur le sol et rampai
jusqu'à la porte. Je vis le deuxième homme se tenir
à 2 mètres de moi, et lui tirai dessus. Il tourna
alors sur lui-même, recula, tomba et s'immobilisa sur place.
Toujours à quatre pattes, je rampai sur le pas de la porte
(il n'y avait pas de porte) au coin de la grange jusqu'à
un chemin menant à une route derrière la ferme. Je
pouvais entendre des coups de feu, mais pas à proximité.
Je traversai rapidement la route, jusqu'à un verger, et m'arrêtai
afin d'évaluer la situation dans l'obscurité. Je ne
pouvais pas voir au-delà de 25 mètres.
Reconnaissance - c'est un terme
militaire, qui vient du front - patrouille - et c'est ce que j'ai
fait. Il y avait 17 ou 19 hommes dans mon avion, et nous avions
sauté approximativement en ligne droite. Je ne savais rien
sur la rivière à ce moment là. Je me trouvais
dans le village de Chef du Pont, mais je ne savais pas où
je me trouvais.
Je passai environ une heure à
parcourir de long en large cet endroit qui semblait parsemé
de champs et d'endroits dégagés le long d'un canal
principal. Aucune lumière, aucun signe d'habitation. Les
habitants locaux dormaient à poings fermés. Je ne
trouvai aucun de mes gars. Combien de temps s'est écoulé
je ne saurais le dire, mais j'étais prêt à quitter
le village et à me rapprocher de la fusillade qui avait éclaté
à une distance inconnue. D'après le son, je pouvais
dire que nos fusils tiraient.
En fait, je me couvrais derrière
des clôtures, des poteaux, des buissons, comme tout bon soldat
a appris à le faire. Mais c'était la partie facile.
De retour dans le verger, j'entendis quelqu'un bouger. Les herbes
arrivaient à hauteur de genoux. Un pas normal pouvant faire
du bruit, et j'étais suffisamment alerte pour entendre tomber
une épingle.
Je m'abaissai, amena ma carabine en direction de l'arrivant - pourquoi
n'ai-je pas fait ce carton parfait, Dieu seul le sait. Quelque chose
retint mon doigt et je lançai " Halt!". Immédiatement
vinrent les mots suivants " Lt. Moss." Je répondis
" Bon sang, Svenson, que faites-vous à marcher ainsi?
C'est la meilleure façon de se faire tuer! " L'officier
instructeur que j'étais continuait de former ses hommes.
A partir de ce moment-là
nous étions deux, renforcés et prêts. Nous approchâmes
de la rivière et du pont. Le pont me rappela quelque chose
: il devait être tenu coûte que coûte. Notre mission
consistait à isoler les plages, nous commençâmes
ici.
Notre armement était constitué d'un fusil M-1, une
carabine, deux grenades à main chacun, des munitions en abondance,
de la poudre de sulfamides et un pansement chacun, et surtout, chacun
de nous avait dans sa musette une mine de 5 livres. Nous pouvions
empêcher de traverser n'importe quel char qui aurait essayé.
Svenson et moi avions trouvé une position sur la berge afin
de prendre le pont par les flancs. Cette position était cachée
par les arbres, mais nous aurions pu clairement voir dès
que le jour se serait levé. Mieux que tout, le son des coups
de feu était étouffé, les flashs et les fumées
eux aussi dissimulés. Nous étions prêts à
tenir ce pont sans nom.
Le soleil n'était pas
tout à fait levé et Svenson regardait la rivière,
j'avais reculé de quelques pas pour surveiller nos arrières
quand je l'aperçu. Il se trouvait à environ 50 pieds
de moi, et regardait juste derrière nous. Nous étions
désormais trois et plus confiants encore. C'est pourquoi
nous ne mesurions absolument pas la situation.
Quand le jour se leva, je sentis
un mouvement derrière moi et interpellai un Français.
Je pouvais le voir essayer de contourner un poulailler. Pour la
première fois, je me rendais compte que nous nous trouvions
derrière une maison ayant une arrière cour qui s'étendait
jusqu'à la rivière. Je lui montrai le drapeau américain
sur mon épaule, ce qui sembla le rendre heureux. Il me parla
en français, je lui répondis en anglais. Nous ne nous
comprenions absolument pas, il me salua puis disparut et revint
avec une bouteille contenant du " Ceeeeda ", le fameux
cidre normand que nous allions apprendre à aimer, ainsi qu'un
uf dur pour chacun d'entre nous.