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John H. Kellers
GM 3/c on LCT 539 - Omaha Beach
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Je m'engageai dans la Navy en juin
1943 à l'âge de 17 ans, et fut intégré à
l'équipage n° 5126, constitué de douze hommes et formé
à Little Creek, en Virginie, sur le LCT(5) 443. Nous embarquâmes
sur le transport de troupes Frederick Lykes en mars 1944 à New York
à destination de Glasgow, en Ecosse. Nous prîmes ensuite le train
pour le Royal Naval College de Darmouth, dans le Devon.
Là nous fûmes séparés
en deux groupes de six et assignés aux LCT déjà à
l'entraînement. Je fus assigné au LCT(5) 539. Nous nous déplaçâmes
dans plusieurs ports au cours de l'entraînement amphibie - le dernier
fut Plymouth, où nous nous préparâmes pour l'invasion
de la Normandie.
Nous avions à bord
des éléments du 16th Infantry de la 1st Division et
du 37th Combat Engineers. La nuit du 4 juin fut calme car seule
une minorité des hommes avaient combattu en Italie. Les autres
n'avaient aucune idée de ce qui les attendait, n'ayant jamais
connu le combat.
D'après le journal
de bord du LCT-539, notre capitaine, le Lt. (JG) Linwood Rideout
ordonna de mettre les moteurs en marche à 03h00 le matin
du 5 juin. Nous étions prêts mais nous dûmes
rebrousser chemin à cause des conditions météorologiques.
La nuit précédent l'invasion fut très tendue
à bord car nous avions déjà dû embarquer
la veille à la même heure. Le matin du 6 juin, nous
étions en route vers la Normandie. D'après le journal
de bord, le LCT-539 se dirigea vers Easy Red, sur Omaha Beach, prenant
part à la huitième vague escorté de chasseurs
de mines.
Nous touchâmes la plage
à 07h30. En tant que servant de pièce, j'étais
assigné à la 20mm de bâbord, avec Howard Ledford
comme chargeur, et Ira Tiller sur le crochet arrière. Nous
subissions un feu intense en provenance des falaises surplombant
la plage et reçûmes de nombreux obus de 47 et 88mm.
Notre journal de bord mentionne : "Avons reçu deux
obus de 88mm. Un par tribord, un dans les quartiers du capitaine.
Un autre de 47mm par tribord. Deux soldats tués, deux autres
grièvement blessés. Un 47mm à travers la rampe."
Nous eûmes la chance
que tous les obus soient antichar et non explosifs. Le journal de
bord continue avec la description de la situation sur Omaha Beach
ce matin-là :
07h34 : Demi-tour.
08h00 : Recherche d'un secteur plus sûr.
08h30 : Tentative pour rester hors d'atteinte du feu allemand.
10h00 : Chasseurs alliés au-dessus de nos têtes.
11h00 : Bombardement naval.
12h00 : Les destroyers recherchent les batteries.
13h00 : Destruction des derniers emplacements d'artillerie.
13h30 : L'infanterie débarquée détruit les
obstacles antichars.
15h00 : Débarquement de véhicules.
Après avoir débarqué
nos troupes, nous dûmes nettoyer le pont du sang des tués.
Ce fut une expérience terrible. Puis nous chargeâmes
les hommes blessés sur la plage - un photographe de la Navy
prit des clichés de nous portant les civières mais
je n'ai jamais pu retrouver ces photos. Nous prîmes également
deux prisonniers allemands blessés de 16 ans, puis nous continuâmes
notre tâche.
Dick Rung, un mécanicien
du 539, a eu l'opportunité de retourner en Normandie à
l'occasion du 50ème Anniversaire. Il a contemplé la
plage de la falaise surplombant Easy Red et m'a fait remarquer plus
tard que c'était un miracle que certains d'entre-nous en
aient réchappé. Dans une de ses lettres, il décrit
qu'il "avait peur de mourir là-bas." Il y dit
aussi : "Tu te souviens du son des impacts de balles sur les
fantassins. Je n'oublierai jamais ce sang lorsque nous avons dû
nettoyer le pont."
Toujours d'après notre
journal de bord, nous perdîmes quatre hommes, deux tués
et deux blessés. Notre XO Ensign Slager fut lui aussi blessé
mais le journal ne le mentionne pas. Il embarqua peu après
notre départ d'Angleterre et fut évacué le
jour-même, aussi n'eûmes nous pas le temps de faire
connaissance. Après toutes ces années je peux toujours
entendre le son, semblable à un grognement, émis par
les hommes qui étaient touchés. Un des soldats tués
fut touché à la tête-qui explosa littéralement-,
des morceaux de crâne et de cervelle faisant une sorte de
douche rosâtre qui nous recouvrit. Ce fut une expérience
horrible que je ne pourrai jamais oublier.
Le jour suivant, le 7 juin,
nous pûmes mettre pied à terre. Je me souviens des
rangées de cadavres et des tas de bras et de jambes. Il y
avait encore des blessés sur des civières qui s'étaient
noyés lorsque la marée était montée.
Il y avait tant de morts et de blessés qu'une autre fois,
nous recueillîmes un soldat britannique qui avait dû
dériver depuis le secteur britannique. Nous dûmes sécuriser
son corps avec une corde jusqu'à ce qu'il puisse être
récupéré lorsque la marée nous autorisa
à flotter de nouveau.
Nous passâmes les mois
suivants à acheminer des troupes, du matériel et des
véhicules des navires de ravitaillement à la côte
et à se souvenir, les matins calmes, du sifflement des obus
passant au-dessus de nos têtes lorsque les navires bombardaient
leurs objectifs. Je me rappelle également des vieux navires
amenés à la hâte pour constituer une digue,
et des caissons en béton apportés d'Angleterre pour
assurer une meilleure protection.
Le LCT-539 fut hissé
à bord du LST-309 par une grue pour son retour aux Etats-Unis.
Après révision, il fut acheminé sur le théâtre
du Pacifique à bord du LST-309. Nous étions dans le Golfe
de Leyte, toujours sur le 309, lorsque les Japonais se sont rendus.
Etant rattachés au LST-309, nous transportâmes les
troupes d'occupation vers Otaru, au Japon.
D'autres ports vinrent par la suite : Enitewok, Ulithi, Cebu et
Samar (Philippines), Saipan et Guam. Le LCT-539 était toujours
en service en 1974 (renommé LCU-539), utilisé pour
l'entraînement du personnel UDT à San Diego.
Aujourd'hui, je suis toujours
en contact avec plusieurs membres de l'ancien équipage du
LCT-539 dont Dick Rung (MoMM 3/c) ; Chet Rutkowski (MoMM 3/c) ;
Millard Sipes (MoMM 2/c) ; et notre capitaine en Normandie, M.Rideout.
J'ai également gardé le contact avec M. Larry Bondi,
XO du LCT-546 en Normandie et qui devint plus tard capitaine du
539 dans le Pacifique.
John H. Kellers (02 Octobre 2004)
Traduction réalisée par François Oxéant
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