Men of D-Day


    
 Troop Carrier
Michael N. Ingrisano
Robert E. Callahan
Benjamin F. Kendig
John R. Devitt
Arthur W. Hooper
Ward Smith
Julian A. Rice
Charles E. Skidmore
Sherfey T. Randolph
Louis R. Emerson Jr.
Leonard L. Baer
Robert D. Dopita
Harvey Cohen
Zane H. Graves
John J. Prince
Henry C. Hobbs
John C. Hanscom
Charles S. Cartwright
 
 82nd Airborne
Leslie Palmer Cruise Jr.
Marie-T Lavieille
Denise Lecourtois
Howard Huebner
Malcolm D. Brannen
Thomas W. Porcella
Ray T. Burchell
Robert C. Moss
Richard R. Hill
Edward W. Shimko
 
 101st Airborne
John Nasea, Jr
David 'Buck' Rogers
Marie madeleine Poisson
Roger Lecheminant
Dale Q. Gregory
George E. Willey
Raymond Geddes
 
 Utah Beach
Joseph S. Jones
Jim McKee
Eugene D. Shales
Milton Staley
 
 Omaha Beach
Melvin B. Farrell
James R. Argo
Carl E. Bombardier
Robert M. Leach
Joseph Alexander
James Branch
John Hooper
Anthony Leone
George A. Davison
James H. Jordan
Albert J. Berard
Jewel M. Vidito
H. Smith Shumway
Louis Occelli
John H. Kellers
Harley A. Reynolds
John C. Raaen
Wesley Ross
Richard J. Ford
William C. Smith
Ralph E. Gallant
James W. Gabaree
James W. Tucker
Robert Watson
Robert R. Chapman
Robert H. Searl
Leslie Dobinson
William H. Johnson
 
 Gold Beach
George F. Weightman
Norman W. Cohen
Walter Uden
 
 Juno Beach
Leonard Smith
 
 Sword Beach
Brian Guy
 
 6th Airborne
Roger Charbonneau
Frederick Glover
Jacques Courcy
Arlette Lechevalier
Charles S. Pearson
 
 U.S.A.A.F
Harvey Jacobs
William O. Gifford
 
Civils
Philippe Bauduin
Albert Lefevre
René Etrillard
Suzanne Lesueur
Marie Thierry
 

 

Leslie Palmer Cruise, Jr
Pfc, H Co. 505th Parachute Infantry Regiment. 82nd Airborne.

Nous passâmes le Memorial Day de mai 1944 tranquillement à l'aérodrome de Cottesmore dans les Midlands. Il n'y avait nul besoin de nous forcer à nous souvenir de l'histoire passée, surtout qu'on nous avait ordonné de rassembler notre équipement de combat plusieurs jours auparavant et qu'on nous avait transporté là à bord des autobus d'une compagnie de bus locale, ainsi qu'à bord de nos camions. Nous étions là pour la dernière préparation à ce si attendu saut sur le continent Européen. Et cependant, le passé nous importait, car de nombreux soldats avaient, avant nous, subi des combats similaires et nous pouvions apprendre de leurs échecs comme de leurs succès. Je repensais à l'époque où cette journée se dénommait Decoration Day, quand les vétérans de la Guerre Civile défilaient dans le secteur de Hunting Park à Philadelphie, et que mon grand-père nous y emmenait par la route 52 et le tram N°6 de York Road au départ de Germantown.

Il devait y avoir une raison spéciale à ce que les autobus anglais concourent à régler nos problèmes de transport, mais je n'étais pas dans le secret de ce mystère. Nous avions nos propres camions de 12 tonnes américains, mais peut-être n'y en avait-il pas assez pour assurer tous ces allers et retours vers la base aérienne, car nous utilisions ces bus chaque fois que nous partions en exercice pour un saut avec tout l'équipement de combat. S'il y avait des espions allemands dans les parages, ils devaient certainement être dans la plus grande confusion face à toutes nos manœuvres. On traversa Loughbourough jusqu'à Melton-Mowbray puis jusqu'à Cottesmore. Cottesmore! nous revoilà! Nous ne savions jamais si c'était notre dernier voyage pour le saut et l'invasion de l'Europe, ou simplement un autre exercice. Il nous fallait attendre le briefing pour le savoir précisément. Nous avions fait ce déplacement plusieurs fois précédemment et chaque fois nous en étions revenus comme nous étions partis. Cette fois, nous embarquâmes dans les bus à notre camp de Quorn et nous nous traînâmes à travers la campagne anglaise. Une partie des transporteurs de troupe de la 9ème Air Force nous attendait à Cottesmore avec les C-47 prêts à nous emporter vers la destination prévue. Chaque déplacement suscitait des rumeurs en tout genre, mais cette fois, les vétérans prétendaient que c'était pour de bon. On ne leur prétait guère attention car on avait déjà entendu ce refrain dans les courants d'air autour du camps de l'aérodrome.

Nous fûmes escortés par des MP à moto très classes avec leurs brassards officiels sur leurs uniformes. Lorsque nous arrivâmes, ils nous pressèrent à l'intérieur de la base, jusqu'aux hangars qui seraient notre domicile pour les jours suivants. C'était un vrai combat pour s'extraire des bus étriqués et se mettre en formation par compagnie pour rejoindre en marchant les hangars qui nous étaient assignés. Marcher n'est peut-être pas le mot approprié, car on s'est plutôt trainé avec nos équipements jusqu'à notre emplacement.
Il y avait des lits pliants sur toute la surface du hangar et il restait à peine la place pour circuler, ce qui rendait nos déplacements difficiles. Il semblait qu'il y avait à peu près 500 lits. Je me demandais à qui ils étaient destinés. Chaque compagnie se vit assigner un emplacement et dut installer ses équipements en attendant l'heure de la bouffe. Même cela était prévu! Après le casse-croûte, on a eu droit à un premier briefing sur notre code de conduite à l'intérieur de la base et sur les règles de propreté à observer. Position des WC, gymnastique, limites, et toutes ces choses importantes qu'un GI doit savoir.

Une fois le petit-déjeuner et la gymnastique matinale terminés, nous étions prêts pour notre premier briefing concernant notre nouvelle mission. On nous livra quelques équipements nouveaux que l'on n'avait pas lors des sorties précédentes. Nous reçumes de nouveaux masques à gaz et des rations K. Après cela, on nous donna, suite à une démonstration appropriée, un nouveau type de grenades faites d'un nouvel explosif appelé "composition C" mis au point par les anglais. Une boule de matière ressemblant à de l'argile de la taille d'une balle de softball que l'on enveloppait d'une espèce de chaussette en plastique et dans laquelle on plantait un détonateur. On nous expliqua que l'on devrait emporter un de ces trucs dans une de nos poches de pantalon de saut et que cette merveille bien utilisée contre un tank pouvait y faire un trou et projeter à l'impact des éclats à l'intérieur ou simplement lui faire perdre une chenille. J'entendis ce qui ressembla à un hourrah! quelques vétérans de la Sicile qui avaient vu un Tigre en action exprimèrent quelques doutes sur la valeur réelle de ces grenades. Il nous sembla que nous devenions plus vulnérable avec ces objets dans nos poches.

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La rumeur qui se faisait insistante depuis notre arrivée à l'aérodrome a pris une tournure plus sérieuse avec la distribution des munitions pour nos armes. L'invasion était imminente. Et la touche finale nous fut apportée avec l'explication du mode d'emploi des mines Hawkins à utiliser sur les barrages par toutes les unités. Elles nous furent distribuées individuellement juste avant le décollage. On les rangea dans nos sacs à dos avec nos rations et nos vêtements de rechange. On nous conseilla d'insérer un morceau de carton entre la boîte et le détonateur pour empêcher toute explosion prématurée durant le voyage. On a bien calé la mine entre nos rations de nourriture pour qu'elle ne bouge pas. Sympa non?

Des exercices physiques nous étaient constamment proposés pour éviter que l'on se ramollisse dans l'espace confiné des hangars. Le 1er juin, après le casse-dale et la gym habituels, le hangar grouillait d'activité avec l'arrivée de soldats transportant dans l'espace briefing de grandes maquettes de la taille de tables de ping-pong, montrant des villes, des ponts et des terres d'un pays non identifié. Tous les détails apparaissaient, avec les zones boisées et les champs et dans certains cas, quelques animaux.
Nous devinâmes facilement qu'il s'agissait de notre destination finale et ce dans un futur proche. Le briefing débuta à 9 heures précises. Nos officiers nous regroupèrent par compagnie pour l'appel. On nous donna des instructions quant à quelle maquette nous devions nous intéresser et avec quel instructeur, et nous écoutâmes les explications données concernant les tâches à accomplir dans les zones indiquées. Tout le régiment était réuni et le colonel Ekman nous présenta l'Opération "Overlord" dans ses grandes lignes, sans préciser à ce moment ni le lieu ni la date, mais en passant en revue les importantes responsabilités et objectifs du 505ème, et la jonction espérée avec les forces venues de la mer dans un laps de temps donné. Il indiqua les maquettes de terrain autour de lui et précisa que nous recevrions bientôt plus d'informations concernant les objectifs par compagnie. Il nous révéla enfin qu'il s'agissait de lieux situés en Normandie, France, que nous devrions prendre et tenir jusqu'à ce que les forces venues par mer nous rejoignent, ce qui devrait se faire en approximativement 12 heures, du moins en théorie. Il ordonna ensuite aux commandants de compagnie de diriger leurs unités pour parfaire leurs connaissances des plans d'invasion. Notre indifférence du début s'estompa car la situation prenait une tournure très sérieuse.

En un instant, on nous donna l'ordre de nous rassembler autour des tables consacrées aux objectifs de la compagnie H, partie intégrante du troisième battaillon. Je m'émerveillai devant l'habileté des artisants qui avaient construit ces maquettes. La nôtre montrait un petit village en son centre, avec des routes menant dans différentes directions et des panneaux indiquant d'autres villes comme Chef du Pont et Montebourg. Le Nord, l'Est, le Sud et l'Ouest étaient indiqués comme sur des cartes.
Il n'était pas facile de tout intégrer en un seul coup d'œil et j'étais fasciné par les détails. Je voyais les rivières et les champs entourés de haies et d'autres types de végétation. Un Lieutenant du G-2 fit une première présentation à notre groupe, mettant en évidence les zones de première importance, puis passa la parole au lieutenant de notre section, Lieutenant Alexander Townsend qui insista sur notre responsabilité à appuyer le troisième battaillon dans la capture de Sainte mère Eglise. Nous devions tenir des barrages autour du village pour le sécuriser jusqu'à ce que les forces venues de la plage nous relèvent. Ce serait probablement des unités de la 4ème division d'infanterie qui devait débarquer sur la plage face à nous et dont le nom de code était "Utah". Nous apprîmes que le nom de la péninsule était "Cotentin" et qu'elle se prolongeait depuis la Normandie jusque dans la Manche.
Connaissant mal la géographie de la France, nous nous demandâmes où cela pouvait bien être. Nous n'avions jamais entendu parler du Merderet, de Ste. Marie du Mont, La Fiere, Neuville, Montebourg, Coquerie, Beuzevillle au Plain, ou Chef du Pont pour ne nommer que quelques-uns des lieux qu'on nous citait alors. Quels noms! Qui pouvait bien se rappeler toutes ces infos. J'espérais bien que tous les officiers et sous-officiers prêtaient attention. Prendre les ponts, traverser les rivières, prendre les villes, établir des barrages, faire des prisonniers pour obtenir de l'info et surtout, tenir jusqu'à ce que les forces venues de la plage nous rejoignent. Je demandai d'où venait le nom de code "Utah" mais n'obtins pas de réponse.

Finalement, on nous accorda une pause et nous eûmes le temps de ressasser toutes les informations que l'on venait de nous donner. Je ne pouvais pas me détacher des maquettes et je revins examiner chacune d'elles. Un des officiers se tenait toujours près d'une d'entre elles et il nous montra sur une carte de Normandie les zones représentées sur les maquettes. Je compris mieux à ce moment ce que j'avais entendu plus tôt. On pouvait voir le nom de tous ces endroits. "Oh" m'exclamai-je, "Voici Utah, Ravenoville, Fourcarville, St. Germain de Varreville, et St. Martin de Varreville juste à l'intérieur des terres". Il nous semblait qu'avec un rapide succès, les troupes pouraient nous rejoindre rapidement en passant par Baudienville, Beuzeville au Plain, Mezieres, Turqueville, ou Ecoqueneauville. Ce dernier nom était difficile à prononcer. Le Français était une langue difficile pour moi au Collège et avec toutes ces appellations curieuses, je commençai à m'interroger sur les français et les prononciations de ce langage. Enfin, arriva l'heure de la bouffe et nous nous dirigeâmes vers le mess avec nos ustensiles standards aux GI, après une courte visite aux latrines.

Nous finîmes notre repas, plongeâmes nos ustensiles et gamelles dans le fût de 200 litres d'eau bouillante à l'extérieur de la tente du mess et fîmes sécher le tout à l'air libre, avant de retourner vers les hangars. Des jeux de dés et de poker étaient organisés çà et là par ceux qui avaient les premiers terminés leur repas, car nous avions un peu de temps avant le prochain briefing. L'argent était étalé sur des couvertures de l'armée que nous utilisions comme table de jeu, tandis qu'une autre couverture servait pour le poker. Tous ceux qui le souhaitaient, et qui avaient le pognon, se lançaient directement dans la partie, ou pariaient aux abords des jeux de dés.

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L'aérodrome était un endroit très peuplé alors et les jeux étaient organisés en continu dans la mesure où nous avions du temps de libre depuis notre arrivée aux hangars. Parfois, des membres de l'Air Force déambulaient dans les parages pour tenter leur chance à leur tour. "Un raccourci vers la pauvreté" pensai-je. Je ne voulais en rien participer à tous ces paris, mais je commençai à regarder. J'imagine que certains soldats considéraient qu'ils n'avaient rien à perdre, car ils n'auraient pas besoin d'argent là où on allait. Peut-être avaient-ils le pressentiment d'un désastre imminent car après tout, ne nous avait-on pas répété inlassablement à l'école de parachutisme que très peu d'entre nous en reviendraient vivant. Nous avions été endoctrinés dans la croyance en la brièveté de la vie d'un parachutiste. Mais la plupart d'entre nous ne se sentaient pas concernés.

Les conditions de vie surpeuplée dans les hangars, les innombrables rassemblements pour les briefings, pour aller au mess, pour les exercices sportifs et l'attente d'un futur incertain commença à nous peser. Nous devenions de plus en plus nerveux et plus d'une bagarre éclata dans les hangars et aux alentours. Si nous pouvions reporter toute cette énergie sur nos ennemis ! Gare!!

Le 4 juin arriva, veille de notre départ pour la Normandie. Nous sauterions juste après minuit. La situation était maintenant présentée le plus clairement possible pour s'assurer des meilleures chances de succès. Toutes les villes, rivières, cours d'eau, ponts de chemin de fer ainsi que les routes étaients inlassablement passés en revue sur les maquettes et sur les cartes, en compagnie d'officiers qui coordonnaient les informations pour nous comme pour eux-mêmes. Il était fait mention de possibilité de zones inondées par les boches à certains endroits et aussi que certaines prairies étaient jonchées d'obstacles destinés à contrecarrer nos efforts. Nous devions embarquer vers 20 heures pour décoller. Tout l'équipement qui ne nous avait pas déjà été distribué le serait d'ici là. Nous nous rassemblerions alors pour rejoindre les fidèles C-47. Un peu plus tôt, on nous a distribué un peu d'argent français en cas d'absolue nécessité. Pour quelles raisons, nous n'arrivions pas à comprendre. En plus de notre parachute principal, nous transportions un parachute de secours sanglé en travers de la poitrine. En plus de cet équipement, je portais aussi :

1 fusil Garand M1, 1 ceinture garnie de munitions calibre 30, deux bandoulières de munitions calibre 30, 2 grenades à fragmentation, 1 fumigène, 1 fumigène orange, 1 corde de 6 mètres, 1 poignard avec coup de poing américain, plusieurs jours de rations K, un bidon d'eau, des vêtements de rechange, une trousse individuelle de premier secours, des tablettes pour purifier l'eau, mon nécessaire de toilette, et des petits équipements comme crayons, carnet, gamelle et ustensiles, et le brelage et la ceinture pour supporter tout ce chargement. J'ai mis mon Nouveau Testament dans ma poche supérieure, près de mon cœur. C'était un cadeau de ma mère.

Je portais mon M1 en trois parties dans une housse spéciale et que je plaçais derrière mon parachute principal. J'étais prêt à prendre tout mon équipement et à me diriger vers l'avion quant on nous donna l'ordre de nous rassembler sans notre équipement. L'invasion était reportée de 24 heures. Cette annonce fut accueillie par de nombreuses grimaces. Les conditions météos très incertaines au dessus de la Manche rendaient nécessaire d'attendre une évolution. Ceci ne fit qu'augmenter la nervosité qui dominait déjà. Cela signifiait une nouvelle période d'attente, ce qui augmentait la crainte de l'inconnu. Le 6 JUIN 1944 serait le jour de l'assaut.

Ce report nous procura un peu plus de temps pour revoir nos missions tout en concentrant nos pensées sur les événements à venir. La Compagnie H, 505 PIR, devait s'emparer de Sainte Mère Eglise, située le long de la N 13, route principale parcourant la presqu'île du Cotentin du Nord au Sud. Un objectif stratégique sur la route qui menait de Cherbourg à Bayeux en Normandie, en passant par Valognes, Montebourg, puis après Sainte-Mère-Eglise, Carentan et plus loin vers l'est. Cet axe vital, s'il était coupé, pouvait empêcher les allemands de contrôller l'ouest de la péninsule et permettre à nos troupes terrestres d'établir avec succès une forte tête de pont à partir de laquelle seraient facilités les débarquements de forces et d'approvisionnement supplémentaire. Pour que l'invasion soit un succès, il nous fallait nous emparer d'autant de terrain nécessaire à l'arrivée des troupes et de l'équipement.

5 juin 1944 : une journée pour réfléchir à notre avenir immédiat et à toutes les infos enfoncées dans nos têtes ces derniers jours. Qui allait se souvenir de toutes les choses à faire ? J'espère me rappeler les signes et les contre-signes ainsi que l'endroit où j'ai mis mon cricket à utiliser comme moyen de reconnaissance. J'espère ne pas être coupé de ma section et de mon peloton. Nous eûmes une petite récréation, et tout en revérifiant notre matériel, les omniprésents jeux de craps et de poker, les allers et retours aux toilettes puis, le soir venu, le service religieux tenu par Chappie Wood, dont la prière est toujours présente aujourd'hui.

DIEU TOUT PUISSANT, NOTRE PÈRE QUI ÊTES AUX CIEUX, AU DESSUS ET EN DESSOUS DE NOUS, EN NOUS ET AUTOUR DE NOUS, CHASSE DE L'ESPRIT DE NOS PARACHUTISTES TOUTE PEUR DE L'ESPACE Où VOUS RÉGNEZ, DONNE LEUR LA CONFIANCE DANS LA FORCE DE TON BRAS INFATIGABLE, GRATIFIE LES D'UN ESPRIT CLAIR ET D'UN CŒUR PUR AFIN QU'ILS CONTRIBUENT À LA VICTOIRE QUE CETTE NATION DOIT OBTENIR EN TON NOM ET PAR TA VOLONTÉ. FAIS EN LES SOLDATS INTRÉPIDES DE NOTRE PAYS AINSI QUE DE TON FILS, NOTRE SAUVEUR JÉSUS CHRIST. AMEN.

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Le repas du soir fut très calme autant que je m'en souvienne, chacun de nous absorbé dans ses pensées sur ce qui l'attend. Nous connaissions les risques. On nous avait prévenus il y a longtemps à Fort Benning que peu d'entre nous en reviendraient, ou que si nous survivions, ce serait fortement handicapés. Nos chances de retour étaient minces, mais personne ne pensait que cela s'appliquait à lui. Nous avions entendu toutes ces histoires à l'entrainement, mais c'était précisément cet entrainement qui nous donnait le juste état de préparation mentale et physique. Nous étions au top. Notre forme physique ne pouvait être mieux. Nous étions dans l'absolu, fin prêt. En réalité, nous avions passé juste le temps qu'il fallait sur l'aérodrome pour être dans l'état d'esprit idéal pour affronter n'importe qui. Que l'on parte d'ici et qu'on en finisse!

Et finalement on en a vu le bout! Après diner, nous avons endossé l'équipement que nous devions porter. J'avais déjà revêtu ma combinaison de saut, qui avait été imprégnée contre les attaques au gaz, et j'ai commencé à placer mes rations K dans ma poche gauche de mon pantalon, et le reste dans mon sac. J'ai mis mon brelage avec ma ceinture de munitions, et j'en ai rempli toutes les pochettes de balles de calibre .30 pour mon Garand M1 que j'emporterai en trois parties dans un sac placé derrière mon parachute principal. Ma pochette de premier secours était fixée à mon filet de casque, j'ai donc mis mes comprimés d'atabrine dans un petit sac avec d'autres articles de toilette dans mon sac à dos. J'ai accroché deux bandoulières de munition calibre .30 autour de chaque épaule, comme un bandit mexicain. La grenade Gammon était dans ma poche de pantalon droite. J'avais des doutes quant à ce type d'explosif et je le traitais avec beaucoup de soin, espérant ne pas atterrir de ce côté.

J'ai rangé un fumigène orange dans mon sac à dos en plus d'autres équipements dont je n'aurai pas besoin immédiatement. Quant on nous donna le signal de rassemblement à 21 heures, j'attrapai mon parachute et l'enfilai sur mes épaules sans l'attacher. Je finirai de me harnacher en arrivant à l'avion. Les sergents, les lieutenants et les chefs de section vérifièrent les équipements de chaque homme et nous nous traînâmes vers les avions. Mon casque me pesait, avec le liner et ma casquette de laine en plus du filet de camouflage. J'étais heureux de ne pas avoir fixé d'autres objets que mon nécessaire de première urgence sur mon casque, sinon j'aurais été bancale. Je n'étais plus qu'un dépôt de munition ambulant. Des rangées et des rangées d'avions nous attendaient et nous devions trouver celui qui nous était assigné. Il devait y en avoir des centaines alignés ainsi à se toucher.

Nous atteignîmes notre avion et détachâmes nos parachutes pour le dernier réglage de tout notre équipement. Nous eûmes tous pas mal de problèmes pour ajuster nos parachutes au dessus de tout le reste de notre équipement dont la Mae West que nous étions obligés de porter et qui génait tout le reste. Je me demandais comment je serai foutu de me débarasser de mon parachute et d'assembler mon fusil avant de me faire descendre par l'ennemi. Même les brelages si solides semblaient plier sous la charge. Etant droitier, j'avais auparavant attaché mon poignard à ma cheville droite et avant d'ajuster mon parachute, il me fallait encore placer ma mine Hawkins dans mon sac qui voyagerait placé sous mon parachute de secours. Le carton situé entre le détonateur et l'anneau extérieur me souciait. Je serais content de placer cet explosif sur notre barrage le plus tôt possible.

Je serrai ma ceinture de munitions et ajustai mon bidon et ma pelle avant de mettre en place mon masque à gaz. J'attachai le manche de ma pelle à ma jambe pour l'empécher de battre au vent et j'allais mettre mon parachute principal quand Jack Blankenship me demanda de l'aider à mettre le sien et à le sangler. Jack mesurait près d'un mètre 90 et essayer de boucler sa ceinture était un boulot d'enfer. Il dut se pencher pour me laisser la place de l'aider. Je réussis à le mettre en place et à le serrer. Quand j'eus terminé, il m'aida à accrocher le mien solidement. J'avais à présent toutes mes affaires sur le dos, à l'exception de mon casque posé près de moi. Je ne parvins pas à l'attraper. Mon M1 rangé dans son sac sous mon parachute de secours rendait ce mouvement impossible.
Quelques membres des équipages de C-47 nous aidèrent à fixer nos équipements et un sergent ramassa mon casque et le plaça sur ma tête en disant : "Tu en auras besoin, soldat !" "Merci" répondis-je, "Je peux à peine bouger avec tous ces machins accrochés à moi." Je les crois quand ils disent que le poids final d'un parachutiste une fois totalement équipé est supérieur de 50 kilos à son poids normal. Ca fait un bonhomme bien lourd! Quelques soldats marchaient et sautaient sur place, essayant de positionner tout leur chargement d'une meilleure manière. L'ordre d'embarquer tomba au moment où les moteurs commencèrent de tourner. Le bruit était assourdissant quand ils ronronnèrent tous de plus en plus fort. Je me souciais des deux grenades fixées à mon brelage. Elles me semblaient placées à un endroit bien vulnérable. C'est peut-être pour cela que je portais mon Nouveau Testament dans ma poche gauche, par dessus mon cœur. Nous allions avoir besoin du pouvoir de Dieu cette nuit, et les jours suivants. Celui qui a inventé l'étroit marche-pied qui sert à monter dans l'avion a dû entendre les jurons de milliers de parachutistes cette nuit-là. Quelle bagarre! alors que chacun prenait place sur les petits sièges placés le long du fuselage.

La plupart des soldats de mon avion venaient de la première section de la compagnie H. J'étais en 9ème position. Sgt. Buck Knauff, Norman Vance, Francis Gawan, Cpl Robert Coddington, Glen Carpenter, Richard Vargas, et Larry Kilroy étaient en face de moi, avec le colonel Krause et son assistant. Suivaient, Marshall Ellis, Hans Frey, Leon Vassar, Jack Blankenship, et d'autres dont je ne me souviens pas. Nous étions environ 21 paras à bord sans compter l'équipage du C-47. Je me souviens être le numéro 9 dans l'ordre de saut et que l'on m'avait poussé pour monter dans l'avion.

Le C-47 vibrait alors que ses moteurs toussaient et crachotaient, le pilote tentant d'avancer en douceur. Le bruit s'amplifia et l'appareil s'aligna pour le décollage. Je me demandais s'il parviendrait à s'arracher du sol avec tout notre chargement. Il était inutile d'essayer de parler à cause du bruit de plus en plus fort. C'était le moment dans toute la procédure du saut où j'étais le plus nerveux, juste avant de quitter le sol. Je pense que le bruit irrégulier des moteurs contribuait à mon anxiété. L'air était plein d'excitation, et cela ne faisait que commencer. Je mâchais du chewing-gum avec une énergie jamais égalée. Les avions étaient tous alignés et arrêtés en bout de piste, attendant leur tour pour décoller pendant que les pilotes vérifaient leurs instruments de vol. Un à un, les appareils s'alignèrent sur la piste en faisant vrombir leurs moteurs d'impatience avant la grande accélération du décollage. Nous pouvions entendre le rugissement grandissant au fur et à mesure que chaque avion, dans le sillage du leader, accélérait sur la piste et s'élevait dans les airs. Notre tour à présent. Et l'appareil tremblottant gagna de la vitesse juste dans le sillage de l'avion précédent. Entêté, il s'accrocha au sol, comme incertain de ce qu'il devait faire, puis finalement il atteignit la bonne vitesse et s'éleva doucement au-dessus de Cottesmore comme l'avaient fait les autres avions. Nous envoyâmes un baiser d'adieu à l'Angleterre. Nous savions que nous étions à présent sérieusement dans la merde et partir n'était pas facile. Tous les petits coucous se mirent en formation à l'altitude désignée et mirent le cap sur la Normandie et sur tous ces noms que nous avions appris ces derniers jours.

Nous savions depuis notre instruction que nous arriverions sur la péninsule du Cotentin par la côte Ouest, ce qui signifiait que les avions largueraient leur chargement -c'est à dire nous! - sur leur chemin du retour vers la Manche et l'Angleterre. Le soldat le plus proche de la porte donna un coup de coude à son voisin et pointa vers le bas alors que nous survolions la Manche. Nous nous penchâmes tous du mieux possible pour tenter d'apercevoir à travers les petits hublots ce qu'il y avait de si intéressant. Dans une demi-obscurité en dessous de nous, nous devinions les formes des navires, et il y en avait des milliers de toute taille et de toutes sortes. S'il nous restait le moindre doute quant à la réalité de l'invasion, il était à présent totalement dissipé par ce que l'on pouvait voir dans la faible lueur sous notre trajectoire. Je ne pouvais pas entendre ce qui se disait près de la porte restée ouverte, à cause du bruit des moteurs, et il fallait hurler pour seulement attirer l'attention de ceux assis en face de nous et leur montrer l'armada en route sur la Manche. L'invasion de la Normandie allait commencer et nous, troupes aéroportées, allions être l'avant-garde des armées. Que Dieu m'aide à donner le meilleur de moi-même dans la tâche à venir, qu'il m'aide à être un bon soldat et qu'il me protège de toute blessure.

Je vérifiais constamment mon équipement et revoyais mentalement les phases et les procédures qu'il me faudrait suivre l'intant où je toucherais le sol. D'autres soldats fumaient sans interruption depuis que le signal d'autorisation de fumer s'était allumé, alors que quelques-uns dont j'étais mâchaient du chewing gum avec la même intensité. Certains faisaient semblant de dormir. La plupart d'entre nous, si ce n'est tous, espérait quitter l'avion avant qu'il ne soit touché par la flak, en souhaitant qu'il n'y ait pas de défaut de fonctionnement à leur parachute. Toute conversation devait se hurler pour être entendue par-dessus le vrombissement des moteurs de l'appareil.

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Nous dépassâmes la partie Nord de la péninsule et virâmes une dernière fois de bord pour prendre le cap assigné vers notre zone de larguage quand nous entendîmes le bruit caractéristique de la flak. Des obus anti-aériens explosaient tout autour de nous et la réalité de notre situation nous apparue dans toute son impuissance car la seule chose à faire était d'attendre que la lumière verte s'allume pour quitter l'appareil. J'espérais que notre pilote conserverait son cap et que les cannoniers allemands seraient nerveux et ne verraient pas notre position. Tout auparavant n'avait été qu'entraînement. Le rugissement du C-47 étouffait le bruit des canons en dessous de nous, mais lorsque l'on jetait un œil par le hublot ou l'ouverture de la porte, nous pouvions voir un véritable 4 juillet à l'extérieur de l'avion. Je me recroquevillai sur moi-même, essayant de faire une cible la plus petite possible, écrasé sur mon siège de métal par le poids de mon équipement. Avec tous les projectiles envoyés vers nous, certains étaient sûrs de finir par être efficaces. L'avion bougeait et se secouait dans tous les sens à chaque explosion. Nous étions très serrés les uns sur les autres et le poids et la masse de notre équipement nous maintenaient en place. "Cet avion doit être plein de trous" pensai-je, tandis que le pilote luttait pour conserver sa trajectoire. En plus de la flak, des millions de balles traçantes s'élevaient pour nous accueillir.

Soudain, la lumière rouge clignota et l'ordre "Debout, Accrochez" fut hurlé par le Colonel Krause qui était en position de numéro 1. Comme un seul homme, les soldats se levèrent et accrochèrent leur sangle d'ouverture automatique sur le câble au milieu de l'allée centrale de l'appareil. "Vérifiez les équipements!" fut l'ordre suivant. A cause du bruit en dedans et en dehors de l'avion, on pouvait à peine entendre les réponses "21 OK, 20 OK, 19 OK, 18 OK", jusqu'à moi, "9 OK" criai-je tout en tapant sur le dos de Taylor au cas oû il ne m'aurait pas entendu. Le dernier soldat cria "OK" et l'ordre de se rapprocher de la porte fut donné alors que nous approchions de la zone de larguage. La lumière verte apparut. "Let's go" cria le colonel en sautant dans la sombre nuit Normande. Rapidement, nous suivîmes et le numéro neuf passa parfaitement la porte comme à l'entraînement, dans un ciel zébré par la flak. Le jour de l'invasion de la Normandie était à présent des plus officiels! pas moyen de faire demi tour. Pas d'excuse. Le passé n'est qu'un prologue… le présent, la réalité. Le parachute me serrait l'entrejambe, alors que les avions passaient en vrombissant au-dessus de ma tête, et je sus que mon parachute s'était ouvert, bien que je pouvais à peine lever la tête pour m'en rendre compte. J'avais brutalement ralenti avec l'ouverture totale de mon parachute et je flottais dans l'espace, en amorçant une descente plus en douceur. Douceur n'est pas le mot exact si l'on considère que des balles traçantes me sifflaient aux oreilles et je commençais à prendre conscience de tous les sons comme jamais auparavant. Attentif à chaque bruit alors que j'approchais du sol, je me demandais si j'allais être tué, blessé ou tout autre chose? Comment, où et quand allais-je atterir? Les Allemands étaient-ils en dessous de moi à me viser ? Reverrai-je mes potes de mon stick de 21 soldats? Pourrais-je assembler mon fusil suffisamment rapidement? J'apercevais au loin un incendie et je distinguais les silhouettes de parachutistes se découpant dans les lueurs du feu. Je réalisais que certains d'entre eux en étaient très proches. Le bruit saccadé d'une mitrailleuse me tira de mes pensées. Cela venait de ma gauche. Non, de ma droite car je ne cessais de tournoyer et je n'arrivais pas à situer sa provenance. Je frôlais une haie de 6 mètres de haut et atterris avec un bruit sourd en une roulade arrière, touchant la terre de Normandie avec ma tête. J'avais coincé mon casque sur mes yeux, m'aveuglant temporairement. Je ne voyais plus rien. Je devais remédier à cette situation au plus vite. "Allez démerde!" murmurai-je. Je pouvais à peine bouger. "Enlève ton parachute", me dis-je en un souffle. En me bagarrant avec la toile, je défis la boucle et dégageai l'étui de mon fusil tout en faisant glisser la fermeture. Je retirai avidement les trois éléments de mon M1 et les assemblai, glissant un clip de 8 balles dans la culasse.
Je me retournai et m'agenouillai tout en balançant en arrière mon sac à dos qui pendait devant moi sous mon parachute de secours. Je le fixai solidement à mon brelage. Je dégageai le reste de mon parachute de mon équipement et je fus alors fin prêt, écoutant attentivement le moindre bruit émanant d'autres paras avec leurs criquets, signes de soldats amis. Ce qui me parut une éternité ne dura que quelques minutes, à peine...

De ma position agenouillée, j'étais prêt à recevoir l'ennemi et du coin de l'œil, j'apercevais au dessus de moi les avions qui continuaient de passer en vrombissant dans un ciel chargé de flak. De temps à autre, une grande illumination survenait et je pouvais voir la silhouette d'un avion plonger vers la terre. "Oh mon Dieu!" pensai-je, "ainsi disparaît un avion plein de copains". Je fus brutalement ramené à la réalité autour de moi quand un à un des soldats s'écrasèrent dans les haies ou sur le sol sans cérémonie, jurant en arrivant. D'autant que je pouvais me rendre compte dans l'obscurité, je me trouvais dans un champs d'environ 1,5 hectare. A ma droite se trouvait cette haie de 6 mètres que j'avais évité de justesse. Derrière moi se trouvait une espèce de route environ deux mètres en contrebas du champ. Je distinguais les silhouettes de plusieurs hommes sortant des haies qui entouraient le pré et se dirigeaient vers moi. Je réalisais alors qu'étant au milieu du stick, il était normal qu'ils se dirigent vers moi.
C'était là la procédure normale de rassemblement vers l'homme du milieu. Je cliquais une fois sur mon criquet et entendis deux clics en retour. Quelqu'un lança le mot de passe "Flash" et je répondis "Thunder", signal et contre signal donné au fur et à mesure que les soldats s'assemblaient autour de moi par deux, trois ou plus. En un rien de temps, notre section était réunie entièrement, avec des éléments d'autres compagnies de notre battaillon. Beaucoup de soldats arrivaient, portant le précieux balot d'équipement largué par chacun des appareils. Ces approvisionnements furent distribués entre nous afin de nous aider à avoir la puissance de feu nécessaire à la réalisation de nos objectifs. Je transportais deux boîtes de munitions pour mitrailleuse en plus de mon chargement déjà bien lourd. Sur le chemin en dessous de nous, je voyais un groupe d'officiers en conversation avec un Français qui venait d'arriver et pointait le doigt en différentes directions. Il battait des bras dans différentes directions. Mais peut-être personne ne comprenait le français?

Le capitaine DeLong rassembla les officiers des sections de la compagnie H pour diffuser les ordres donnés par le colonel Krause. Le bataillon fort à présent de plusieurs centaines d'hommes en plus des paras qui avaient manqué leurs zones de larguage, devait marcher sur Sainte-Mère-Eglise dont la direction nous était indiquée par les lueurs dans le ciel, prendre la ville et en organiser la défense. On pouvait entendre des bruits de mitrailleuses et d'armes légères tout autour, mais rien ne semblait venir de notre environnement immédiat. Nous tenions notre position et attendions les ordres pour avancer. Les ordres vinrent après la discussion avec le civil qu'un autre groupe de soldats avait finalement convaincu de venir avec nous. Avec l'aide de notre nouvel ami, nous avançâmes vers Sainte-Mère-Eglise, avec Compagnie G en pointe, suivie des groupes des compagnies H et I. Des chargements entiers d'avions étaient manquants, et nous n'avions aucune idée d'où ils se trouvaient, mais nous ne pouvions plus les attendre car le facteur temps était déterminant dans le succès de notre mission.

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Il était mal aisé de se rendre compte où nous allions dans cette obscurité après avoir dévalé le talus jusqu'à la route que nous suivîmes en file indienne. Nous avions du mal à rester en ligne et à suivre l'homme qui nous précédait. Je supposais que nous allions à Sainte-Mère-Eglise et espérais que le colonel connaissait le chemin. Les arbres et les haies masquaient les silhouettes des soldats devant moi et je fus pris par surprise quand ils semblèrent soudain disparaître mais je réalisai qu'ils avaient simplement tourné à droite pour quitte la route et suivre ce qui semblait être un chemin à bestiaux qui traversait la haie un mètre en dessous de la surface de la route. J'ai failli m'étaler en trèbuchant sur le chemin couvert de bouses de vaches. "Putain! où est ce qu'on va? " me dis-je intérieurement. Cette allée ressemblait à un tunnel fait de broussailles qui se balançaient au-dessus de nos têtes tandis que nous serpentions en titubant sur l'herbe grasse. J'entendis les chuchottements des autres soldats, car parler plus fort nous aurait révéler aux yeux des ennemis qui devaient nous savoir dans le voisinnage. Aussi soudainement que nous étions entrés sur ce chemin, nous débouchâmes sur ce qui ressemblait à une route principale où nous stoppâmes pour faire le point et vérifier notre position.

L'ordre fut donné aux hommes de la compagnie H d'installer des barrages sur cette route et sur plusieurs autres tandis que chaque section se voyait attribuer une zone à couvrir. Les deux autres compagnies entrèrent en ville pour en assurer le contrôle et mettre en place un perimètre de défense. Le poste de commandement de la section fut installé quelque part près de l'intersection des deux routes et mon escouade tint le barrage en face du village appelé Chef du Pont; c'est là que nous dispersâmes nos mines, heureux de les sortir de nos sacs à dos où nous les avions placés à notre départ d'Angleterre trois heures auparavant. Trois rangées de mines furent disposées devant nos lignes de défense. Nous espérions qu'elles seraient capables d'arrêter tout blindé allemand qui essaierait de nous déloger. On nous attribua nos positions à droite et à gauche de la route ainsi que dans les fossés qui la bordaient, et quelques paras se positionnèrent dans les champs pour couvrir nos flancs.

Quelques paras creusèrent des trous d'hommes de chaque côté du barrage à environ une quinzaine de mètres des mines que nous avions posées en travers de la route. Vance, Ellis, Gawan et quelques autres de la première escouade et de la première section prirent position là et d'autres occupèrent le flanc gauche derière les haies qui faisaient face à Sainte-Mère-Eglise. Jones, Coddington, Carpenter, Beckwith, et Gamelcy étaient de ceux là. Cruise, Vargas et Larry Kilroy étaient sur le flanc droit sur un talus à environ 15 mètres en bord de route. Légèrement sur leur gauche se trouvait la seconde escouade commandée par le sergent Edward White avec Nielsen, Cusmano, Horn, Zalenski, et Davis plus d'autres éparpillés en direction de l'autre route en liaison avec les autres escouades de la compagnie H.

Aux premières lueurs du jour, Vargas, Kilroy et Cruise commencèrent à creuser leur trou d'homme, l'un d'eux aux aguets pendant que les deux autres creusaient, en altenance jusqu'à ce que le travail fut terminé. Nous étions face à une haie d'un mètre de haut qui courait perpendiculairement à la route et nous prîmes positions de façon à couvrir efficacement le champ devant nous. La haie nous offrirait un peu de protection pour communiquer avec les autres. En observant la zone, je remarquai que nous étions très proche du chemin dissimulé que nous avions emprunté pour arriver ici. Je m'étais habitué à l'obscurité et bien que le plafond fut très bas, je pouvais discerner les formes et les silhouettes des choses qui m'entouraient. Mais les hauts remblais près de la route me masquaient les hommes qui s'y trouvaient.

Nous fûmes tout à fait surpris car pas préparés à ce qui allait arriver dans notre secteur aux premières heures du jour. Après que les avions qui avaient largué les vagues de parachutistes eurent quitté le ciel depuis plusieurs heures, la seconde vague de C-47 arriva, remorquant les planeurs chargés de troupes et de pièces d'artillerie. Nous allions vraiment avoir besoin de ces canons pour défendre Sainte Mère récemment libérée, la première ville libérée par les forces alliées le Jour J apprendrions-nous plus tard. Environ une heure après avoir sécurisé notre position sur le barrage, nous entendîmes le ronronnement familier des avions. Ces C-47 devaient essayer de larguer leurs chargements près de nos objectifs, en supposant que nous contrôllions ces zones de larguage. Une nouvelle fois et comme s'ils en étaient avertis, les canons anti-aériens commencèrent à aboyer tandis que les avions arrivaient juste sur notre zone. Nous savions qu'ils s'apprétaient à lâcher les planeurs pour atterrir près de nous.
Le bruit des avions s'éloigna et nous entendîmes de loin en loin le bruit des planeurs qui s'écrasaient, percutant les arbres et autres obstacles parmi lesquels des bâtiments de ferme que les pilotes ne pouvaient discerner clairement. Un de ces planeurs atterrit à environ 200 mètres de notre barrage. Nous pouvions entendre les soldats s'échapper tout en essayant de récupérer leurs équipements. Par dessus leurs cris, nous entendîmes le bruit d'un moteur de jeep qui démarrait. Plusieurs paras quittèrent la sécurité de notre emplacement pour les aider. Mais avant même qu'ils n'atteignirent la zone d'atterrissage, une jeep déboula de la route et les doubla. Ils leur crièrent de faire attention aux mines posées devant notre barrage. Les occupants de la jeep semblaient très pressés pour autant que nous, sur le barrage, pouvions en juger par le rugissement de leur moteur. Par dessus tout ce bruit, on entendit clairement les ordres de se planquer lancés depuis le barrage et nous plongeâmes tous dans la boue de nos trous d'hommes. Le conducteur a dû penser que nous étions tous allemands et ne fit aucun geste pour s'arrêter. Il déboula à fond dans la descente.
KAPOW ! BLOOEY ! BANG ! BOOM ! un bruit assourdissant et de plus en plus fort d'explosions retentit et plusieurs de nos mines envoyèrent jeep et occupants dans les airs. L'enfer se déchaîna sous forme d'éclairs, des morceaux de jeeps et de mines se déversant tout autour de nous. La jeep avait foncé directement au centre de notre champ de mines et était partie droit à la verticale, retombant en arc de cercle sur une haie. Nous pouvions entendre les bruits sourds des débris qui retombaient tout autour de nous. Les soldats avaient quitté la jeep dès le premier impact et étaient devenus les premières pertes de notre secteur. Ils ne devaient pas être les dernières. Du coup, nous avions perdu les trois quart de nos mines, que nous avions posé avec tant de soins, et elles nous feraient cruellement défaut en cas d'attaque des boches. Nos amis avaient vraiment foutu le bazard dans notre défense. Les paras sur le barrage contemplaient les dégâts après que tous les débris furent retombés et s'avancèrent précautionneusement hors de leurs positions. Ils devaient faire attention à ce qu'aucune autre mine n'explose parmi les débris encore fumants. Il nous faudrait trouver d'autres mines pour remplir les vides et renforcer notre défense anti-tanks. Ceux d'entre nous les plus proches de la scène se levèrent pour aller contempler les dégâts et les restes fumants de la jeep dans le fossé bordant la route. Ce fut ma première rencontre avec la mort brutale quand je vis quelques infirmiers enlever les corps pour les transporter vers l'arrière.

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On entendait tout autour de notre secteur le claquement sec des fusils et des mitrailleuses à l'ouvrage dans l'obscurité, mais après le désastre de notre champ de mines, les choses restèrent plutôt calmes aux premières heures du jour. Les forces d'infanterie devaient débarquer à 6 heures 30, et nous nous attendions à discerner le barrage d'artillerie qui précéderait le débarquement à Utah Beach. Le roulement sourd débuta à 6 heures et ressemblait à un lointain orage qui faisait vibrer le sol jusque dans notre secteur pourtant distant de 12 ou 13 kms à l'intérieur des terres. La cannonade était censée affaiblir les défenses terrestres pour permettre aux embarcations de débarquement d'approcher du rivage. Nous, dans les terres, devions empècher les allemands d'approcher et d'engager les forces de débarquement. Nous, c'est à dire ceux qui avaient pu rejoindre leurs objectifs et organiser leur défense. Je me demandais si tous les navires de guerre que nous avions aperçus durant la nuit étaient en train de tirer car le bruit de la cannonade qui écrasait les défenses terrestres était continu. Nous ignorions depuis nos positions ce qu'il advenait des autres unités aéroportées, de même que nous ignorions ce qu'il était advenu des autres soldats de notre compagnie. On nous dit que des sticks entiers n'avaient toujours pas rejoint leurs zones de rassemblement et avec le jour, nous nous attendions à les voir arriver en nombre. Notre secteur commença à être bombardé et nous pensâmes que certains de ces gros obus provenaient des mauvais réglages des canons de la flotte d'invasion.

Quelques heures plus tard, après que le bombardement eut cessé, un paysan français s'approcha de notre barrage venant de Chef du Pont. Il essaya de nous expliquer qu'un soldat allemand était planqué chez lui et désirait se rendre. Il s'était caché là après avoir été séparé de son unité durant la nuit. Cette information fut glânée par un para qui était de descendance française et qui comprenait la langue. On l'avait appelé pour qu'il vienne traduire. Le soldat Kilroy et Leslie Cruise, deux gars de Philadelphie, reçurent l'ordre d'accompagner le français pour vérifier son histoire et ramener le boche "mains en haut", ou quelque chose comme cela. Le sergent ne voulait pas qu'on le descende, ni qu'on se fasse tirer dessus.

Nous remontâmes précautionneusement le long de la route en suivant le français de par et d'autre du chemin, en restant à distance respectable du bonhomme tout en inspectant les alentours par crainte d'une embuscade. A un ou deux kilomètres de notre barrage près de Sainte-Mère, nous atteignîmes une fermette située à une trentaine de mètres de la route. Nous scrûtâmes avec inquiétude la route et les environs de la maison. Nous étions protégés du côté de la maison par un grand talus haut de deux mètres qui bordait le champ de ce côté là. Sa maison était toute blanche avec un toit de tuiles sombres. Il se tenait au milieu de la route comme s'il n'y avait personne avec lui. Nous étions aplatis le long du remblai, nous faisant le plus petit possible. Nous lui fîmes signe d'avancer vers la maison et de dire au boche de sortir vers les parachutistes américains de ce côté de la route. Nous n'avions pas confiance et restions sur nos gardes, guettant le moindre signe d'ennemis. Devant nos insistances, le français sembla enfin comprendre, avança vers sa maison où il entra.
Nous attendîmes avec impatience que se produise quelque chose, mais aucun signe ne vint pendant les 5 minutes suivantes . Nous échangeâmes nos impressions et décidâmes d'approcher de la maison un à la fois, l'autre couvrant les approches de la maison. Nous étions prêts à intervenir quand le français apparut dans l'embrasure de la porte et nous fit signe d'approcher. Il semblait que l'allemand n'était pas plus sûr de ce qu'il devait faire que nous-même. Je dis à Kilroy de me couvrir tout en gardant un œil sur ses arrières car j'allais approcher de la maison pour en faire sortir le soldat ennemi. J'aurais voulu avoir des yeux derrière la tête pour m'assurer de ma sécurité et je continuais malgré tout en me disant que j'étais couvert par Kilroy. J'arrivai rapidement à la porte de la maison où se trouvait le propriétaire. Il palabrait trop vite pour que je le comprenne avec ma connaissance limitée de mon français de collège. J'entrais en le contournant dans la pièce où se trouvait sans arme un jeune soldat en uniforme de la wehrmacht. L'ennemi redouté! Je lui fit face avec mon fusil pointé et armé de la baïonnette. Je lui fis signe de passer la porte devant moi. Alors qu'il passait devant moi, je me dis qu'il devait avoir à peu près mon âge. Il ne semblait guère avoir plus de vingt ans. Je le suivis à l'extérieur, remerciant au passage le français pour son aide. Merci! merci! dis je sans quitter du regard l'ennemi qui s'était arrêté devant la maison, indécis quant à mes intentions. Face à lui, je lui fis signe en disant dans mon meilleur allemand : "Komen sie here mit hans en haut", ou du moins quelque chose qui devait ressembler à cela. Comme il ne réagissait pas assez vite, je l'aiguillonnais un peu dans le derrière de la pointe de ma baïonnette et lui criais d'avancer.

Impatiemment, je l'obligeais à avancer de la pointe de mon fusil tenu à la hanche, baïonnette brillant dans le soleil du matin et le poussant à rejoindre Kilroy au bord de la route, en répétant constamment "hands en haut and komens sie here". Je le piquais de ma baïonnette, gentiment bien sûr. Il comprit où je voulais en venir. Je l'avais fouillé dans la maison à la recherche d'armes. Je n'avais pas peur, j'étais seulement un peu inquiet. Je continuais à lui montrer le chemin de ma baïonnette. Nous rejoignîmes Kilroy au bord de la route, saluâmes le français et partîmes vers Sainte-Mère par où nous étions venus. Nous indiquâmes à notre prisonnier la route à suivre tandis que Kilroy couvrait nos arrières et les côtés à la recherche d'ennemis. En approchant du barrage, Larry prit les devants pour prévenir nos soldats de ne pas tirer sur le prisonnier ni sur Cruise. Cette pensée en avait sûrement effleuré plus d'un.

Les hommes du barrage nous acclamèrent et chambrèrent lorsque je conduisis l'allemand au travers du champ de mines que nous avions posé un peu plus tôt. "Hé ! où l'as tu trouvé?" "Pourquoi ne l'as-tu pas descendu?" Je savais que la plupart de leurs quolibets étaient destinés au nouvel arrivant dans la compagnie, tout au moins depuis le mois de mars, date de mon arrivée au camp et qui faisait de moi un petit nouveau. "Bande d'imbéciles heureux avec tous leurs commentaires!" pensais-je en moi-même. "Il faut faire ses preuves en permanence!" m'amusai-je. Kilroy rejoignit notre poste de défense pendant que le sergent m'ordonnait d'emmener le prisonnier vers l'enclos établi à cet effet près de la mairie de Sainte-Mère. Je profitais du retour pour aller en centre ville que je n'avais pas visiter jusqu'alors. Je dépassais l'infirmerie de la compagnie et pris la route principale en guidant avec précaution ma prise de guerre parmi d'autres parachutistes vaquant à leurs occupations. Tous semblaient curieux de me voir passer. J'arrivais à l'enclos muré et remis mon trophée aux soldats en charge des prisonniers que je remerciai pour leur aide. Ils avaient chargé certains prisonniers de s'occuper de nos blessés et des leurs. J'avais remarqué les destructions provoquées en ville par nos troupes qui avaient livré bataille quelques heures auparavant. Je pensais que cela allait empirer lorsque les boches reviendraient de leur surprise initiale. Je fus bientôt de retour au barrage et repris ma position avec Kilroy et Vargas.

La surprise initiale passée, les allemands s'étaient regroupés dans la confusion des premières lueurs du jour et malgré le chaos provoqué par notre arrivée. Ils commencèrent à présent à tester notre périmètre de défense autour de Sainte-Mère-Eglise. Nous avions établi des barrages sur toutes les routes qui menaient à Sainte-Mère et dans tous les champs avoisinant, des paras du troisième bataillon couvraient nos flancs depuis les trous d'hommes creusés durant la nuit et au petit matin. Nous commencions à recevoir des obus de mortiers et de 88 et il était difficile de savoir d'où ils provenaient. Nous étions terrés au fond de nos trous d'hommes, souhaitant qu'ils fussent plus profonds. Nos différentes positions étaient attaquées de tous côtés par des escouades d'allemands mais notre barrage subissait seulement des tirs d'artillerie. Sur un autre barrage, Atchley et un autre para maniaient un canon de 57 mm. Ils stoppèrent une attaque allemande en touchant un véhicule blindé et en dispersant ses occupants et les troupes qui l'accompagnaient.

Vargas, Kilroy et moi étions occupés à observer le front, plongeant pour nous protéger et nous relevant dès que le bruit de l'artillerie s'arrêtait. Soudain, une estafette arriva, nous ordonnant de nous déplacer sur le flanc gauche car plusieurs de nos hommes y avaient été blessés ou tués par le barrage d'artillerie et qu'il fallait fermer la poche. On nous avait choisis pour ce boulot. Mais il nous fallait traverser une zone à découvert d'environ 40 mètres jusqu'au prochain barrage. Le messager avait rampé sur toute la distance, sans se faire voir de l'ennemi. Quiconque se levait serait vu dans cet espace découvert. A part la petite haie, nous n'aurions aucune protection jusqu'à la route. Nous rassemblâmes nos affaires à portée de main et les fixâmes sur nous, grenades sur les revers et sac à dos bien ajusté. Vargas et moi étions prêts en même temps. Nous attrapâmes nos fusils et commençâmes à traverser l'espace découvert le plus vite possible. Kilroy devait encore récupérer son BAR et ses munitions et prit plus de temps à démarrer.
Vargas et moi atteignîmes la route sains et saufs et escaladâmes une clôture barbelée au sommet du remblai, avant de nous laisser glisser trois mètres en contrebas dans un caniveau. Nous nous aidâmes réciproquement à tenir le barbelé mais quand vint le tour de Larry, il n'y eut personne pour l'assister et il se trouva bientôt accroché aux fils. Pendant qu'il se débattait avec le barbelé, Vargas et moi traversâmes la route. Kilroy cria en même temps que nous entendîmes le bruit de l'artillerie : "A terre!" cria t-il et sans attendre davantage, nous plongeâmes vers la barrière à l'entrée du champ de l'autre côté de la route en essayant de nous fondre avec la terre Normande au moment où les obus éclataient tout autour de nous.

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Tout en criant, Kilroy était parvenu à se libérer du barbelé et s'était aplati au fond de l'égout. Vargas et moi avions plongé tête la première, fusils et bras en avant. Nous touchâmes le sol au moment où les obus explosaient près de nous. Le vacarme était insoutenable et nous nous crispions à chaque détonation. Nous étions couverts de poussière et de débris et l'air était rempli de fragments. Nous étreignions le sol, serré l'un contre l'autre, quand, à travers le boucan, j'entendis distinctement le bruit d'un gémissement près de moi. Vargas avait été touché par l'explosion d'un obus. Il pleurait et souffrait terriblement. Dans le vacarme, je me dressai sur mes coudes et examinai son corps pour voir où il avait été touché. Jambe de pantalon droite trempée de sang! Il fallait trouver un abri pensai-je instinctivement. "Tu peux bouger?" lui criai-je. Il ne pouvait que secouer la tête négativement "Non". Je fus vite à genoux, puis debout, et je l'attrappai par les épaules pour le tirer derrière la protection de la haie. Je le mis sur le dos, visage à l'air libre. Un obus de mortier avait explosé juste à côté de lui et tout son côté gauche, de la cheville à la hanche était couvert de sang. Ses jambes de pantalon étaient en lambeaux et couvertes de sang mêlé à la poussière.
Je m'agenouillai au-dessus de lui et lui pris sa ceinture pour en faire un garrot. J'attrappai mon poignard de ma jambe gauche et déchirai son pantalon sur toute la longueur. Je faillis m'évanouir à la vue des multiples plaies le long de sa jambe. Je retins ma respiration et me dis en moi-même "Garrot! garrot! il faut que j'y parvienne!" Très vite, j'entourai sa cuisse avec sa ceinture et la serrai. Comme je me débattais avec la ceinture, Kilroy arriva en rampant par la barrière du champ. En le voyant, je lui hurlais par-dessus le vacarme des explosions de trouver un infirmier tout de suite. Roddy ou n'importe qui ! Je resterais avec Vargas et essairais de le maintenir en vie jusqu'à ce qu'il ramène de l'aide. Courant à demi penché, Larry partit vers Sainte-Mère le long d'une autre haie et j'essayais de réconforter Vargas comme je pouvais, me crispant à chaque explosion des obus qui semblaient s'éloigner.

En attendant, j'administrais une piqure de morphine dans le bras de Vargas. J'utilisais celle de sa trousse de secours et utiliserais plus tard la mienne. Il gémissait et pleurait car même la morphine semblait impuissante contre la douleur de sa jambe pulvérisée. Je commençai à douter de l'efficacité de cet antidote. J'étais effrayé à l'idée que si Roddy ou tout autre infirmier n'arrivait pas tout de suite, Vargas était perdu. Combien je me sentais inutile devant cette tâche. Pourquoi n'étais-je pas docteur. J'essayai de couvrir ses blessures avec les pansements de la trousse de secours et saupoudrai les coupures de sulfamides. J'utilisai nos deux trousses. Je vérifiai la pression du garrot. Il sembla réaliser combien sa situation était désespérée et sombra dans un état de choc. Il prit mon bras et dit doucement: "Prie pour moi ". Je tremblai du traumatisme d'avoir à me débattre face à une situation aussi ingérable et les prières au Seigneur ne me vinrent pas facilement aux lèvres. Je m'étouffais presque en les disant. Je me souvenais de ses récitations du rosaire le soir près de son lit sous notre tente à Quorn et je savais qu'étant de descendance mexicaine, il croyait en Dieu. L'expression de son regard me le confirma. J'essayais de le rassurer en lui disant que l'aide arrivait et qu'il serait OK. Kilroy arriva finalement avec un infirmier. Je lui expliquai ce que j'avais fait et il prit le relai pour s'occuper de Vargas.

Larry dit que le lieutenant nous ordonnait de rejoindre immédiatement notre nouvelle position. A contre cœur, je suivi Kilroy, réalisant que l'infirmier était plus efficace que moi et semblait savoir ce qu'il faisait. J'implorai l'infirmier de s'assurer que Vargas irait à l'hôpital.

D'une certaine manière, le restant de la journée se passa calmement, et je fonctionnais mécaniquement, insensible à ce qui m'entourait. J'enlevai mon sac à dos pour manger quelques rations K et m'installai dans mon nouveau trou d'homme. A ma grande surprise, je m'aperçu que mon sac était troué de toutes parts. C'était la preuve tangible que le danger auquel j'avais échappé était passé très près de mon propre corps. Comme je l'inspectais pour le nettoyer, je trouvais à l'intérieur un grand nombre de petites particules de métal écrasé. J'étais heureux de ne pas avoir été blessé lors de ce déluge d'obus. Quand j'eus fini de manger, je me dis que je pourrais aller à l'infirmerie prendre des nouvelles de Vargas. J'informai le sergent de mon escouade de mon souhait, et comme la situation s'était calmée, il acquiessa. Je partis pour Sainte-Mère emportant mon fusil et ma ceinture de munitions, à la recherche de l'hôpital de campagne que je trouvais selon les indications d'un para. A l'infirmerie, je demandai des nouvelles de Vargas, et l'on m'informa doucement qu'il était mort avant d'arriver ici. Il avait perdu trop de sang et le choc était trop fort pour que son organisme ne tienne le coup. En apprenant la nouvelle, je fus rempli de colère. J'avais fait de mon mieux pour essayer de le sauver. Je pensais que si nous avions trouvé un infirmier assez rapidement, il aurait pu être sauvé. Je ne pus pas apprendre ce qui s'était passé après que nous ayons quitté notre position. Personne ne put vraiment répondre à mes questions. Je voyais bien qu'ils étaient tous très occupés avec d'autres blessés.

Je fis demi tour et quittai l'infirmerie. Je traversai la rue et m'asseyai près d'un mur en pierre et me mis à pleurer. Il n'y a avait plus rien à faire pour Vargas à présent. Mes efforts avaient été en pure perte. Son corps déchiré n'avait pas supporté le traumatisme. Il y a un moment seulement, mon ami était vivant, respirant, discutant et mangeant avec moi, et l'instant d'après, mortellement blessé. Et mort à présent. Toute une vie balayée en un instant. Je me souviendrais de ce jour toute ma vie, et ces heures du 7 juin 1944 ne disparaiteront jamais de ma mémoire. Un moment plus tard, j'étais de retour sur le barrage. Comment j'y étais parvenu? Je n'en ai aucun souvenir.

La route de Chef du Pont était protégée par notre barrage et bien que nous n'apercevions aucun allemand, on pouvait sentir la morsure de leurs attaques. Leur artillerie était braquée sur nos positions et balançait des 88 par dessus la route sur notre emplacement. On entendait presque simultanément les coups de canons et les ricochets des obus sur la route suivis de la puissance de l'explosion dans les champs en dessous de nous. La vitesse de trajectoire des 88 provoquait un mélange de bruits assourdissants. On ne pouvait rien entendre, pas plus que penser. C'était comme un grand tremblement de terre continu, avec des débris volant dans toutes les directions et la terre qui tremblait à chaque explosion. On m'avait prélevé de la défense du barrage pour aider à défendre cette zone au cas où les allemands attaqueraient par ici car ils étaient tout autour de notre périmètre de défense de Sainte-Mère-Eglise. J'avais creusé un trou d'homme long et étroit à même le caniveau de la route sur environ 90 cm de profondeur et je m'y enterrais aussi profondément que possible, embrassant le fond alors que les éclats sifflaient au dessus de moi et atterissaient loin derrière moi.
Je n'avais jamais rien entendu de tel auparavant, nonobstant les cours d'infiltration et les manœuvres à Fort Benning. J'étais littéralement pétrifié par le bruit et par le danger. Pas de bravache forcée : j'avais la trouille. Qui veut se faire disloquer par un de ces obus? Je pensais à Vargas. Je n'avais aucune envie d'être mutilé. Ce bruit de plus en plus fort donnait l'impression funeste que les forces terrestres pourraient ne pas arriver ou percer comme prévu. J'étais irrité à cette idée et par mes premières expériences avec la douleur humaine.

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Nous fûmes continuellement matraqués par l'artillerie allemande et par les assauts directs tout autour du périmètre de Sainte-Mère les 6 et 7 juin. Tard dans l'après midi du 7, un de nos soldats sur le barrage fut touché par des éclats d'obus et on me donna l'ordre de trouver un infirmier, car l'homme était intransportable. Je filai sur la route vers le centre ville quand une énorme explosion de l'autre côté d'un mur de pierres de deux mètres de haut que je longeais m'envoya valdinguer au milieu des débris du mur. J'avais entendu le sifflement de l'obus et j'étais en train de plonger quand il toucha le côté du mur. J'avais touché le sol une fraction de seconde avant les pierres. Je restais étendu sur le sol, étourdi par le bruit de l'impact et par les débris qui recouvraient mon corps. Qui pouvait bien m'avoir vu depuis les lignes ennemis? Je pensais être bien masqué et hors de vue. Pourquoi essayer de me tuer avec toute cette artillerie? Peut-être ont-ils un observateur quelque part.
Cela fait des années qu'ils sont ici et ils connaissent parfaitement le terrain. Sûrement mieux que nous. Je repris mes esprits quand je vis un soldat à une centaine de mètres en bas de la route près de l'infirmerie. Je lui criai de trouver un infirmier, mais il fonça vers moi, pensant que j'étais touché. Je lui fis signe que non, en en me levant et en secouant mes vêtements. Je lui criai que j'allais bien mais que nous avions besoin d'aide pour un autre soldat. Je descendis vers lui et l'infirmerie pour m'assurer qu'ils m'enverraient quelqu'un. Une fois sur place, je redonnai l'information et repartis à toute vitesse en compagnie d'un infirmier vers le barrage pour voir ce qui pouvait être fait. Content d'avoir rempli ma mission, je revins vers ma position et m'assis sur la terre, les jambes ballant dans mon trou, près à sauter dedans le cas échéant. Mes copains me racontèrent alors ce qui était arrivé à Glen Carpenter. Pendant le dernier barrage dont j'avais pensé qu'il m'était destiné, un obus de mortier était tombé directement dans son trou. Je fus de nouveau très secoué par cette nouvelle mais heureux de ne pas avoir assisté à cette destruction.

Kilroy, Ellis et plusieurs autres soldats sur le barrage discutaient de par et d'autre de leurs trous le long du macadam à propos des événements du jour quand un soldat de la seconde escouade apparut par dessus la haie et nous annonça que le sergent Ed White avait été tué et gisait près du petit cours d'eau en contrebas de notre haie. C'était arrivé durant le même barrage qui avait tué Carpenter et m'avait envoyé en l'air. Plusieurs d'entre nous contournèrent les haies pour voir où était étendu le sergent. Là, parmi les hautes herbes près du petit filet d'eau, non loin du mur de pierre épais qui m'avait protégé, était allongé le sergent James Edward White, yeux grand ouverts vers le ciel d'où il était tombé, tué par la commotion de l'explosion de l'obus qui m'avait couvert de débris. Je restais immobile un moment, à regarder son visage aussi pâle que la blondeur de ses cheveux. Pas une trace de blessure ou de sang sur lui, et pourtant il n'y avait plus de vie en son corps. Un autre bon soldat de perdu!

Les 12 heures critiques annoncées et nécessaires aux troupes venues de la plage pour nous rejoindre étaient maintenant devenues 48 avec l'aube du 8 juin. Que s'était-il passé sur les plages? Où étaient les troupes attendues pour la soirée du mardi? La rumeur du mercredi soir indiquait que quelques paras étaient entrés en contact avec des patrouilles de l'un des régiments de la 4ème Division d'Infanterie, et qu'ils seraient bientôt là. Ce n'était pas trop tôt pour nous car nous étions à court de munitions, nombre d'entre nous avaient été tués ou blessés et nos rangs étaient clairsemés. Nous étions épuisés par le manque de sommeil et nous avions besoin que l'on nous remonte le moral. Le jeudi matin fut plutôt calme comparé aux jours précédants, et l'on commença à se demander ce que faisaient les boches.

Un peu après 11 heures du matin, nous fûmes surpris par le bruit du roulement de tanks en face de notre barrage. Quelques soldats s'aventurèrent sur la route pour jeter un œil tout en restant à couvert et, à notre heureuse surprise, il s'agissait de chars de l'avant garde de la 4ème Division qui faisait enfin sa liaison avec notre unité. Nous éclatâmes de joie. Quelques paras grimpèrent sur les tanks pour serrer la main des tankistes et pour renter en ville. La relève était arrivée. Nous nous reprîmes après notre première surprise et commençâmes à les engueuler d'avoir été si longs. "Qu'est ce qui vous a retardé si longtemps?" demandions nous, "Où étiez vous? vous vous êtes arrêtés faire le plein?" Ce n'était pas méchant et une manière de faire retomber la tension. Nous étions plus qu'heureux de les voir. Un petit moment de répit après la pression de ces derniers jours. Le temps de se réjouir de notre succès commun.

Certains d'entre nous enlevèrent les mines de la route afin que les blindés puissent entrer en ville. La jonction était à présent officielle et nous savions que le débarquement avait réussi, non sans mal. La péninsule Normande du Cotentin était libérée petit morceau par petit morceau et bientôt, renforts et approvisionnement y seraient déversés en masse pour poursuivre la bataille. Notre réunion ne dura pas longtemps et deux heures plus tard, le sergent Blubaugh désigna quatre volontaires désignés d'office de la compagnie H pour rejoindre des confrères de la compagnie G sous le commandement d'un lieutenant et former une patrouille de reconnaissance vers l'avant afin de ramener des paras perdus ou égarés. Cpl. Jones ainsi que Privates Cruise, Wands, DePalma, et Vance s'avancèrent au commandement. Le sergent précisa que nous devrions lui faire notre rapport dès que la mission serait accomplie. Il dit : "je ne sais pas où nous serons mais trouvez nous! "

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Nous quittâmes Sainte-Mère-Eglise et commençâmes la patrouille en direction du Nord-Ouest et de l'Ouest, couvrant une large bande de terrain. Nous rencontrâmes de petits groupes de paras des 507 et 508ème régiments de parachutistes qui tenaient soit un pont, soit un croisement. Il y avait beaucoup de parachutes dans ce secteur, beaucoup de bétail mort et beaucoup de paras morts, certains encore dans leurs harnais. Il y avait aussi des parachutes dans les arbres avec les harnais vides, leurs occupants partis Dieu sait où. On voyait aussi des planeurs écrasés avec toute sorte d'équipements disséminés autour, non utilisés par leurs occupants qui avaient soit été tués, soit trop pressés pour les récupérer. La campagne était couverte des débris de la guerre. Je ne supportais pas de voir notre signe All American couvert de boue et de sang. Nos cœurs et nos têtes bouillaient de haine à cette vue. Bien que la mort fut tout autour de nous, je ne pouvais me résoudre à l'accepter. Nous étions nous-même couvert de boue à force de ramper, grimper ou escalader les haies à la recherche d'amis ou ennemis.

Nous rassurâmes ceux que l'on rencontrait que le débarquement sur les plages était un succès et que les renforts arrivaient. On comprenait pourquoi les allemands avaient tant de peine à rassembler leurs forces. Avec toutes ces diversions, ils étaient très occupés avec ces parachutistes disséminés un peu partout. Je ne me souviens pas avoir rencontré le moindre soldat égaré de notre unité, mais nous en avons trouvé plusieurs d'autres compagnies.

Notre patrouille ne manquait pas de moments drôles. Nous devions franchir quelques cours d'eau en chemin dans ce pays de haies et il était difficile de rester sec. A un certain moment, nous atteignîmes un petit torrent trop large et trop rapide pour sauter par dessus même pour le meilleur de nos athlètes. Le lieutenant demanda à deux hommes de trouver une branche de bon diamètre qui pourrait nous servir à traverser l'obstacle. Ils revinrent en disant qu'il y avait une branche de bonne taille en travers du ruisseau un peu plus bas et nous partîmes en cette direction. Le tronc faisait entre 15 et 20 cm de diamètre et semblait assez solide pour nous permettre de traverser. Pas de souci! Notre intrépide lieutenant ouvrit la marche en posant une grande enjambée sur la branche et en sautant sur l'autre rive, montrant ainsi comment s'y prendre. Je couvrais les arrières et j'observais comment chaque para franchissait avec agilité le torrent. "Bain de canard" pensai je au moment où mon tour arriva. Quelqu'un avait dû graisser le poteau de bois car mon premier pas m'envoya glisser sur le tronc directement dans l'eau jusqu'à la ceinture. Fusil sale, munition mouillée, uniforme trempé et fierté blessée! mais c'était le premier éclat de rire depuis le matin du 6 juin. Ils me sortirent de l'eau en riant et me posèrent sur la berge. Nous fîmes une petite pause le temps que je nettoie mon fusil qui avait pris l'eau et la boue dans la chute. Je sècherai en marchant. Heureusement, mon uniforme avait été imprégné contre les gaz à Camp Quorn en Angleterre. J'espérais juste qu'on ne tomberait pas sur des boches car mon fusil risquait de s'enrayer.

Quand le chef de la patrouille fut satisfait de notre reconnaissance du terrain qui nous avait été affecté, et que toute poursuite était inutile, nous revînmes vers nos propres lignes. Où qu'elles se trouvent! J'étais bien content que notre lieutenant sache où il allait car il me semblait que nous avions marché en arc de cercle. Nous atteignimes les avant-postes et après les échanges de mots de passe, nous franchîmes les lignes tandis que le lieutenant cherchait le quartier général du régiment. Les soldats en première ligne lui montrèrent la voie et l'on trouva le quartier général. En passant le long d'une haie, nous vîmes 20 soldats allemands éparpillés le long de la haie dans des postures grotesques, couchés là où ils avaient été tués. Le quartier général était juste derrière planqué sous un parachute couleur camouflage tendu entre deux arbres de la haie. Nous trouvâmes là le général Ridgway et le colonel Gavin qui écoutèrent le rapport du lieutenant et interrogèrent quelques soldats de la patrouille. Il y avait tout le confort de chez nous dans cette cour de ferme française. On nous donna du café chaud provenant du quartier général et nous mangeâmes nos rations. On nous autorisa à rester là pour la nuit et à ne rejoindre notre unité que le lendemain matin. Je pus nettoyer mon fusil pour la seconde fois ce jour-là. Ce ne fut pas ma dernière patrouille, mais ce fut certainement la plus joyeuse. Ainsi se terminèrent mes premiers trois jours en Normandie.

Leslie Palmer Cruise, Jr    (04 Novembre 2001)

Traduction réalisée par Denis van den Brink.

Leslie Cruise wrote his memoirs about the 35 days he spent in Normandy in June 1944. You can download and read them in pdf format.
Juin 2014, Lors du 70è anniversaire du Débarquement, Leslie Cruise a retrouvé le C-47 à partir duquel il a sauté le 6 juin 1944. Lire l'histoire