Men of D-Day


    
 Troop Carrier
Michael N. Ingrisano
Robert E. Callahan
Benjamin F. Kendig
John R. Devitt
Arthur W. Hooper
Ward Smith
Julian A. Rice
Charles E. Skidmore
Sherfey T. Randolph
Louis R. Emerson Jr.
Leonard L. Baer
Robert D. Dopita
Harvey Cohen
Zane H. Graves
John J. Prince
Henry C. Hobbs
John C. Hanscom
Charles S. Cartwright
 
 82nd Airborne
Leslie Palmer Cruise Jr.
Marie-T Lavieille
Denise Lecourtois
Howard Huebner
Malcolm D. Brannen
Thomas W. Porcella
Ray T. Burchell
Robert C. Moss
Richard R. Hill
Edward W. Shimko
 
 101st Airborne
John Nasea, Jr
David 'Buck' Rogers
Marie madeleine Poisson
Roger Lecheminant
Dale Q. Gregory
George E. Willey
Raymond Geddes
 
 Utah Beach
Joseph S. Jones
Jim McKee
Eugene D. Shales
Milton Staley
 
 Omaha Beach
Melvin B. Farrell
James R. Argo
Carl E. Bombardier
Robert M. Leach
Joseph Alexander
James Branch
John Hooper
Anthony Leone
George A. Davison
James H. Jordan
Albert J. Berard
Jewel M. Vidito
H. Smith Shumway
Louis Occelli
John H. Kellers
Harley A. Reynolds
John C. Raaen
Wesley Ross
Richard J. Ford
William C. Smith
Ralph E. Gallant
James W. Gabaree
James W. Tucker
Robert Watson
Robert R. Chapman
Robert H. Searl
Leslie Dobinson
William H. Johnson
 
 Gold Beach
George F. Weightman
Norman W. Cohen
Walter Uden
 
 Juno Beach
Leonard Smith
 
 Sword Beach
Brian Guy
 
 6th Airborne
Roger Charbonneau
Frederick Glover
Jacques Courcy
Arlette Lechevalier
Charles S. Pearson
 
 U.S.A.A.F
Harvey Jacobs
William O. Gifford
 
Civils
Philippe Bauduin
Albert Lefevre
René Etrillard
Suzanne Lesueur
Marie Thierry
 

 

Harley A. Reynolds
Staff Sergeant, B Co, 16th Infantry Regiment, 1st Infantry Division.

Je m’appelle Harley A. Reynolds. Ma ville natale est St. Charles, Virginie, 24277. Je suis né le 2 octobre 1924.
Je m’engageai dans l’armée le 28 décembre 1940. Je fus affecté à la compagnie B du 16ème régiment d’infanterie, 1ère Division, stationnée à Fort Jay sur Governors Island, New York. Je servis ave cette unité jusqu’à ma démobilisation le 4 juillet 1945 à Fort Meade, Maryland, après la victoire en Allemagne. Nous étions évalués par un système de points. J’avais le plus grand nombre de points pour un homme en Angleterre quand la guerre prit fin. Un groupe de dix-sept hommes ayant le plus de points fut rapatrié pour tester le système et j’eus la charge de nos états de service, que nous emportions avec nous. Mon grade était Staff Sergeant pendant l’invasion de la France, et ce fut ma plus haute qualification.

En 1940 la 1ère Division d’Infanterie avait des détachements stationnés dans de nombreux camps et forts autour de New York. Début 1941 toute la division fut rassemblée à Fort Devens, Massachusetts. A Fort Devens, la division mit en scène un débarquement factice à Buzzards Bay, près de Cape Cod, Massachusetts. Nous participâmes également à un exercice comportant des troupes de nombreux Etats du Sud, dont des Marines. La 1ère Division était la force d’invasion censée débarquer en Caroline du Nord. Les entraînements commencèrent ainsi bien avant notre entrée en guerre.

Début 1942 la Big Red One quitta Fort Devens pour Camp Blanding en Floride pour subir un entraînement en climat chaud. Selon la rumeur, nous étions bons pour le Pacifique. En juin 1942 nous quittâmes Camp Blanding pour Fort Benning, Géorgie. Là nous prîmes pat à un exercice coordonné comprenant des bombardements aériens, des largages de parachutistes, et une attaque blindée soutenue par l’infanterie. Nous étions l’infanterie de soutien.

De Fort Benning nous partîmes pour Indiantown Gap, Pennsylvanie, où nous troquâmes nos uniformes kaki contre des tenues O.D. et l’équipement pour partir outre-mer. D’Indiantown Gap nous gagnâmes le port de New York où la totalité de la division d’environ 16000 hommes s’embarqua sur le Queen Mary pour appareiller le 2 août 1942 et débarquer à Glasgow, Ecosse, le 7 août 1942. De Glasgow nous prîmes le train pour Tidworth Barracks près d’Amesburry, Angleterre. Là nous nous entraînâmes avec différentes armes et fîmes de nombreuses et longues marches dans la campagne avec l’impedimenta complète et les armes.

A Tidworth, nous voyageâmes en train jusqu’à Gourock, Ecosse, et embarquâmes sur un petit navire pour un exercice de débarquement. Nous ne le savions pas encore mais c’était un entraînement sur un terrain semblable à celui que nous aurions à affronter en Afrique du Nord.

Je commençai mon service comme fusilier à Fort Devens et plus tard comme éclaireur. Ceci me donna mon premier galon : 1ère classe.

A Camp Blanding je me qualifiai comme Expert au fusil M1, à la mitrailleuse légère, à la carabine .30 et au pistolet-mitrailleur .45.

Me qualifier à la mitrailleuse avec mes 6 pieds de haut et mes 178 livres [environ 1.83m pour 81 kg] me qualifia pour un transfert à la section d’armes lourdes de la compagnie, peloton de mitrailleuses. Je fus affecté à une section de mitrailleuse comme premier porteur de munitions. Ma mission consistait à approvisionner le pourvoyeur et le relever si besoin. Les plus costauds étaient requis pour porter toutes ces munitions. Au cours de l’exercice à côté de Gourock nous fîmes une marche forcée avec tout l’équipement pour traverser ce qui devait être la plus haute montagne d’Ecosse. Nous escaladâmes toute la nuit, et la plus grande partie du jour, pour finalement revenir à notre point de départ.

Là je regrettai l’image de macho des porteurs de munitions. Nous en portions assez pour tenir trois jours. Il plut tout au long de l’exercice et ce furent les deux jours les plus misérables de ma vie. Après un bref repos sur le navire à l’équipage indien, nous eûmes droit à une nuit de permission à terre. De retour à Tidworth nous nous préparâmes pour le débarquement en Afrique. Nous débarquerions également en Sicile avant de retourner en Angleterre nous entraîner pour l’invasion de la France. Nous avions deux débarquements réussis à notre actif (Afrique du Nord et Sicile) mais devions nous préparer pour celui-là également.

Une nuit dans un pub le caporal Wm. Wilde de Vineland, New Jersey, porta un toast alors que nous prenions une bière : « A ceci, et encore à cela, si vous y allez pour le faire et que vous ne pouvez pas le faire, laissez-nous faire, nous avons l’habitude ! » Quelqu’un demandait alors : « Quoi ? » Nous criions généralement en retour « L’invasion ! » Ceci était devenu célèbre dans toute la Big Red One.

De Sicile nous retournâmes en Angleterre où nous fûmes stationnés dans la petite ville de Lyme Regis près de Torquay. La compagnie fut logée partout où une chambre pouvait se trouver pour quelques matelas ou lits de camps. Les petits hôtels, les pensions, les maisons particulières, les chambres inoccupées des bâtiments le long de la rue principale et deux ou trois « Nisson Huts » laissées vacantes par la Home Guard.

Lyme Regis était le centre d’une zone où plusieurs sites d’entraînement nous seraient utiles. Au port, à l’est, nous embarquions sur des transports de troupes et à l’ouest, près de Torquay à Slapton Sands nous faisions des exercices d’assaut. Nous prenions place dans des barges de débarquement et rendions tout aussi réaliste que possible. Nous portions de vraies munitions lors du dernier assaut et fûmes autorisés à tirer sur des cibles sur les collines face à nous. Nous ouvrîmes le feu sur les rochers, des buissons, des points plus sombres et des points de calcaire blanc, et quand les lapins sortirent soudain de leurs terriers ils nous fournirent des cibles mouvantes.

Nous restâmes à Lyme Regis de novembre 1943 à la mi-mai 1944. A ce moment j’avais le grade de Staff Sergeant et commandais la section de mitrailleuses légères. Les différentes places que j’occupai, de premier porteur à pourvoyeur, de tireur à chef de peloton, puis chef de section se sont succédé parce que les hommes situés au-dessus de moi furent soit blessés soit tués et je dus les remplacer. Pourquoi ai-je été si chanceux ?

JOUR-J : 6 JUIN 1944

L’heure de l’invasion sonna et nous embarquâmes sur le transport de troupes Samuel Chase à Weymouth, Angleterre. Nous appareillâmes immédiatement pour prendre place au sein de la flotte d’invasion. L’objectif de notre bataillon était de débarquer en réserve du régiment sur Omaha Beach, secteur Easy Red.

Ce serait notre deuxième assaut à partir du Samuel Chase. Le premier était à Gela en Sicile. Le navire participa également au débarquement en Afrique du Nord. Beaucoup d’amitiés se nouèrent à cette époque, et plus tard grâce aux associations de la division et du navire, qui sont toujours actives. Je suis membre honoraire de leur association, un groupe courageux et fier.

Nous quittâmes le Chase pour la dernière fois pour gagner la zone de rassemblement, en ligne, en suivant la petite lumière à l’arrière de la barge qui nous précédait. La lumière disparaissait et réapparaissait comme nous nous soulevions et retombions au rythme de la houle. La mer devenait mauvaise. Je crus plusieurs fois que nous allions rentrer dans la barge devant nous, comme nous leur arrivions dessus, et que nous devrions faire demi-tour. Je pouvais voir la traînée phosphorescente laissée par la barge et pensais que les Allemands devaient pouvoir la voir aussi, et nous prendre pour cible.

L’Histoire a retenu le quasi-échec de notre secteur à cause de la tempête. Il y a beaucoup de films qui décrivent ces mésaventures mais aucun n’est aussi terrifiant que ma première vision de la scène. Nous étions entraînés à garder la tête baissée jusqu’au moment de débarquer mais étant sous-officier je préférai savoir ce qui se passait autour de nous. Je regardai par dessus bord plusieurs fois et ce que je vis était terrifiant. Aucune caméra ne filma les images restées dans mon esprit. A l’entraînement on nous avait dit que tout se déroulerait dans l’ordre mais voir tout ceci était ahurissant. L’ampleur de tout cela était stupéfiante. Les émotions variaient entre peur et responsabilité.

La masse des navires et des barges commençait à se matérialiser dans l’aube naissante. Des navires et des barges de toutes sortes aussi loin que le regard pouvait porter ; les navires débarquant troupes et équipements. Les navires de guerre croisaient le long de la côte, tirant salve sur salve, parfois juste au-dessus de nos têtes, directement sur la plage. Des centaines de barges de débarquement allant et venant entre la plage et les navires. Des roquettes tirées par milliers et on apprit qu’elles étaient toutes tombées trop court. Je me sentirais plus en sécurité dans un de ces cratères d’obus plus tard.

Des avions avaient bombardé la plage plus tôt mais je n’en vis que peu de traces. Il y avait une remarquable absence d’avions au-dessus de nos têtes, même allemands, ce qui me ravit. Deux ou trois avions d’observation allemands ou des nôtres passèrent plus tard dans la journée. Je lus plus tard que nos avions étaient plus loin dans les terres pour clouer l’aviation ennemie au sol. Grâce à Dieu.

Nous tournâmes en rond pendant ce qui nous parut durer des heures dans notre zone de rassemblement. Nous étions assez près pour entendre l’action sur la plage. Il y avait peu de conversations. Nous écoutions les tirs de toutes ces armes légères et échangions des regards. Nous savions qu’une chaude réception nous attendait. Je crois que c’est là que nous ressentîmes la plus grande appréhension et la plus grande peur. L’attente est toujours ce qu’il y a de pire. L’esprit peut vagabonder. Il n’en a plus le temps lorsque l’action commence.

Je vis et entendis le pilote dire à l’autre marin : « Ca y est ! On y va ! » quand nous nous élançâmes tel un cavalier vers l’autre barge. Je me rappelle avoir regardé le pilote. Il paraissait calme posté dans son habitacle sur bâbord arrière. J’eus confiance en lui. Un marin était dans un autre habitacle sur tribord arrière avec une mitrailleuse montée pour pouvoir tirer sur d’éventuels avions. J’ai essayé bien des fois de me rappeler s’il avait ouvert le feu pendant la phase d’approche mais je ne peux pas dire s’il l’a fait. Plus tard j’ai demandé à d’autres hommes s’ils pouvaient s’en souvenir, et ils m’ont dit qu’ils ne le pouvaient pas non plus.

Je jetai un dernier coup d’œil d’inspection à l’équipe. Notre groupe était un escadron. Nous avions six escadrons dans notre compagnie et le nôtre était l’escadron de commandement, composé de moi-même et de l’opérateur radio à l’avant du bateau pour sortir les premiers. Deux pelotons de mitrailleuses, un de chaque côté, devaient suivre. Le premier chef de peloton était le sergent Deam Rummel, de Cherry Tree, Pennsylvanie. Et le second chef de peloton était le sergent James N. Haughey de Sheridan, Indiana. Venait ensuite le personnel de la compagnie de commandement ; les messagers, les radios, et notre commandant de compagnie en dernier pour s’assurer que tout le monde était descendu. Nous avions suivi ce schéma de nombreuses fois à terre à Lyme Regis. Nous formions une ligne sur le sol avec des poteaux et des rubans de la même taille que notre barge de débarquement. Ceux sur les côtés se déployaient chacun de leur côté et mettaient les mitrailleuses en batterie. C’est ce que nous faisions à l’entraînement. A présent c’était pour de bon.

Je pouvais voir que les choses tournaient mal à mesure que nous ralentissions pour débarquer. Certains bateaux revenaient après avoir déchargé, d’autres étaient en partie remplis d’eau, mais luttaient toujours. D’autres étaient bloqués, échoués, emballant leurs moteurs et n’allant nulle part. D’autres encore reculaient un peu et réessayaient. La coordination pour le débarquement à intervalles réguliers était aussi perturbée que le temps. Un fiasco. Quand nous arrivâmes, une partie de la vague d’assaut débarquait comme nous. Nous étions censés débarquer vingt minutes après la vague d’assaut. On sut par la suite que la vague d’assaut était en retard et que nous étions en avance. Le mot confusion ne suffirait pas à décrire tout ceci. Débarquer dans ces conditions qualifia notre compagnie de vague d’assaut et nous gratifia d’une autre flèche de bronze pour notre ETO Ribbon et des feuilles de chêne pour notre citation d’unité.

Je regardai souvent par-dessus bord pendant ces dernières minutes. Nous avancions lentement à cause d’une autre barrage et des obstacles que le pilote devait éviter. Je vis des coups directs frapper une barge encore loin de la plage. Je doute que ceux qui étaient à bord et qui n’étaient pas blessés aient réussi à atteindre le rivage. Je vis des barges sur le côté, retournées, et déchargeant leurs troupes dans l’eau. J’en vis d’autres sévèrement endommagées par les obus et chahutées par les vagues. J’en vis d’autres encore vides d’hommes et en partie remplies d’eau comme abandonnées dans le ressac. Des hommes étaient au milieu de tout ça, luttant pour la protection dérisoire donnée par ces barges.

Autant que je me souvienne de mes sentiments durant ces deux dernières minutes, je devins très calme et j’analysais les choses étonnamment bien. Je gardais un œil sur mes hommes, m’assurant qu’ils restaient courbés, à leur place et prêts. Je me souviens combien le pilote était calme et concentré en menant notre barge. Je ne saurais être assez reconnaissant envers cet homme. Je pense souvent qu’il m’a apaisé. Il est surprenant que si peu de balles de mitrailleuses aient atteint notre barge. Je n’avais de cesse de déceler le bruit de leur impact car elles passaient au-dessus de nos têtes et frappaient l’eau autour de nous. C’est peut-être l’approche directe vers la plage qui fit de nous une cible plus petite. Le pilote fit un superbe travail. J’appris plus tard qu’il avait été blessé en retournant au Samuel Chase.

Je ressentis quelque chose que je reconnaîtrais plus tard comme étant de la responsabilité. Je le pensais en sortant autant d’hommes que possible, en position de sécurité sur la plage, et en formation, c’était mon plus grand souci. A mon dernier coup d’œil par dessus bord quelques secondes avant que la rampe ne s’abaisse je vis de nombreux corps sans vie à la surface de l’eau. Je vis des blessés luttant contre le puissant ressac. Je vis des hommes s’agenouiller et se coucher dans l’eau ne laissant dépasser que leur tête pour la protection que ça leur procurait. Je crois que ces hommes étaient figés par la peur, incapables de bouger parce qu’ils commençaient à se rapprocher de la plage avec la marée montante. Ils étaient inutiles à ce moment là car ils n’avaient plus d’armes. Ils encombraient juste un peu plus la plage, entravant le mouvement. A ce dernier coup d’œil je décidai quoi faire quand la rampe s’abaisserait. Je dis aux deux chefs de sections de se déployer et de foncer droit devant.

Il y avait une grosse casemate à notre droite au niveau de la plage et au pied d’une falaise à pic. Devant nous une sortie qui je crois était désignée par E1 sur notre carte. A notre gauche une colline avec au pied l’étang que nous devions traverser comme on nous l’avait dit à l’entraînement.

La casemate avait de gros blocs de béton arrachés juste au-dessus de son ouverture gauche. Il y avait des volutes de fumée encore visibles. Le bombardement naval venait juste de s’achever. J’entendis les obus siffler et s’écraser tout près quand nous débarquâmes et je crois qu’ils touchèrent la casemate.

C’est par hasard que je rencontrai un homme l’année dernière à notre bureau qui était sur un destroyer à ce moment. John A. Fonner, Jr. de Largo, Floride, était observateur sur la tour de contrôle d’un destroyer assigné au support de l’infanterie ; les observateurs côtiers passèrent la plupart de leurs cibles. Ils ne pouvaient pas voir à travers la poussière et la fumée pour délivrer un feu direct mais je donne à la Marine le crédit du succès de l’invasion. Leur mission était de croiser le long de cette portion de côte ratissant la plage devant nous avec autant de puissance de feu que possible. John me dit qu’ils tiraient 38 obus de cinq pouces au rythme d’un obus toutes les quatre secondes. Je crois que ce feu nous a procuré l’assistance nécessaire pour nous organiser.

Quand la rampe s’abaissa nous étions agenouillés. Le soldat Galenti, l’opérateur radio, et moi nous levâmes pour sortir en premier. Après deux ou trois pas j’obliquai vers la droite. A cette seconde Galenti fut touché par ce que je pense être un tir de mitrailleuse car il paraissait y avoir plus d’une balle. La radio fut touchée aussi et des fragments s’envolèrent. Galenti tomba sur la rampe. Le feu semblait provenir de la gauche. J’étais peut-être à deux pieds devant lui ce qui m’évita d’être touché par la même rafale. Je ne me rappelle pas avoir eu les pieds dans l’eau. Cet épisode peut être visionné sur une cassette vidéo intitulée « True Glory ». Je croyais que cet enregistrement était de notre barge jusqu’à ce que j’apprenne récemment que le numéro de barge n’était pas assigné au Samuel Chase. L’incident tel qu’il est filmé est si proche de ce qui nous est arrivé que j’ai envoyé des copies de la cassette à deux membres de notre équipe de débarquement et ils étaient d’accord avec moi jusqu’à ce que nous apprenions une version différente. Le PFC Stephen Cicon de Coopersburg, Pennsylvanie est d’accord. Il était le deuxième homme à sortir après moi et partageait le même avis.

La rafale qui toucha Galenti passa entre Steve et moi. L’autre homme qui confirme est le soldat Arthur Schintzel de Williamsburg, Virginie. Il était le quatrième homme à sortir de notre côté et il confirme que l’enregistrement coïncide très bien avec ce qui s’est passé. L’histoire d’Arthur s’arrêta presque ici. En sortant il obliqua à droite, vers un char détruit, pensant qu’il lui offrirait une protection. Hélas ! Un tireur allemand surveillait le char. Il pense qu’il s’agissait d’un tireur isolé parce que quelques balles seulement furent tirées dans sa direction. Il fut touché et s’écroula. Il resta à terre jusqu’à ce qu’il estime qu’il serait plus sûr d’avancer. Il se releva et fut cloué au sol de nouveau. Cela se répéta plusieurs fois et il ne s’en souvient pas. Il resta inconscient un moment. Je n’ai pas revu Arthur pendant quarante ans, pensant tout ce temps qu’il était mort.

Je restais sur la droite à quelque distance, cherchant un abri. Je me dirigeai vers un obstacle fait de ce qui semblait être des rails soudés ensemble. Cela me rappela les « balls and jacks » auxquels nous jouions enfants. La plage était très lisse ici, soulignant l’absence des cratères d’obus qu’on nous avait promis. Je m’agenouillai près des obstacles pour regarder autour de moi. Entre la barge et cet endroit ma seule pensait était : « Qu’est-ce qui me fait tenir debout ? Je dois être touché. Qu’est-ce qu’on ressent quand on est touché ? » Trop de balles fendaient l’air pour ne pas être touché. En traversant la plage je sentis des impacts sur mon pantalon à plusieurs reprises. En regardant plus tard je trouvai trop d’accrocs et de déchirures pour les identifier comme des impacts de balles. Je pense qu’il est possible pour des balles de passer assez près pour aspirer vos vêtements. Des balles passant si près produisent un sifflement quand elles passent. Celles que vous entendez ne sont pas celles qui vous touchent. Il y a un autre enregistrement que j’ai vu à la télévision deux ou trois fois, en général au moment des commémorations. Je l’ai vu la première fois au 40ème anniversaire présenté par Walter Cronkite. J’ai essayé de vain de louer cet enregistrement ou de le copier au format VHS. Il illustre encore mieux l’agenouillement près des obstacles. Ce film montre mes actions comme je m’en souviens et j’aimerais savoir si, en fait, il s’agit bien de moi. Je ne suis pas resté longtemps près de l’obstacle. Les balles pleuvaient et frappaient le sable à mes pieds. Qu’est-ce qui me tenait debout ? Je pouvais voir les balles frapper le sable en gerbes et ricocher devant et autour de moi. Je pense que les balles étaient tirées de loin car elles semblaient avoir perdu de leur énergie et je pouvais difficilement entendre leur sifflement.

J’avisai les galets, une sorte de levée parallèle à la plage. Beaucoup d’hommes étaient couchées derrière. Semblant être la seule couverture, nous nous dirigeâmes vers elle également. Dès que j’atteignis la sécurité des galets j’appelai les sergents Rummel et Haughey et ils répondirent très près sur ma droite. Je leur demandai si eux et les hommes étaient OK et ils répondirent oui sans mentionner le soldat Schintzel, je ne sus donc pas qu’il manquait à l’appel avant quelque temps.

Je ne crois pas que la durée des évènements serait très précise, donc je vais narrer les faits comme ils se sont passés. Nous avions directement foncé vers les galets sans perdre de temps. Nous passâmes devant des hommes dans l’eau qui furent remontés jusqu’aux galets par la marée. C’était presque marée basse lorsque nous débarquâmes et presque marée haute quand nous quittâmes la plage. Nous atteignîmes l’abri temporaire des galets et nous nous blottîmes entre les autres déjà là. Comme la marée montait d’autres arrivaient pour se blottir avec nous. Notre secteur de plage semblait relativement plus sûr, mais seulement si vous restiez couchés derrière les galets.

Plusieurs fois après des rafales de mitrailleuses ou des obus s’écrasant tout près j’appelai Rummel et Haughey, demandant s’ils étaient OK et ils répondaient oui. Une fois j’eus la réponse de Donald A. Heap d’Atlanta, Géorgie. Dale était le comique de notre section. Son commentaire était sérieux, mais risible à n’importe quel autre moment. Il dit : « Sergent, combien de temps on va rester accrochés à cette merde ? On va se faire tuer ici. » Comme si je pouvais y faire quelque chose.

La plupart du temps derrière les galets nous gardions face contre terre. Les galets sont de petites pierres qui ressemblent aux cailloux des rivières et qui ont été dressés comme un talus. Ils étaient lisses et surtout plats, idéaux pour faire des ricochets sur un ruisseau en rentrant à la maison. Mais ces pierres éclatent comme des grenades quand elles sont frappées par une balle et nous devions nous protéger le visage des éclats.

Au sommet de la levée de galets, il y avait du câble. Il faudrait le faire sauter. C’était un autre échec des roquettes tombées trop court.

Nombre de fois des appels résonnèrent à l’adresse des membres de la compagnie. Des efforts étaient faits pour se regrouper sans vraiment de succès. On ne pouvait pas juste répondre « Ici ! », se lever et rejoindre celui qui vous appelait. Vous ne pouviez même pas rouler au-dessus de l’homme à côté de vous. Vous auriez été trop haut et vous étiez sûrs d’être touchés. Il fallait ramper en arrière et sur le côté comme un crabe en gardant la tête vers la levée de galets. Cela ne vous donnait pas beaucoup de protection, car beaucoup d’hommes furent touchés en essayant de se déplacer latéralement pour se regrouper. Tout mouvement perçu au-dessus de la levée de galets attirait le feu ennemi, à la fois des fusils et des mitrailleuses. La marée nous léchait maintenant presque les pieds. Des cadavres surnageaient et je pensai : « C’est le moment de faire quelque chose, mais quoi ? » Relever la tête déclencherait le feu ennemi. Des tirs sporadiques d’artillerie s’intensifiaient. Il n’y avait à l’évidence aucune issue en arrière, uniquement devant. Je commençai à lever et abaisser la tête par à coups pour jeter quelques coups d’œil très rapides. Je pouvais voir une étroite mare devant avec des herbes de marais. Entre la mare et nous il y avait le fil tendu sur le talus, et au-delà il y avait une clôture de trois rangs de fil. Après l’étang il y avait une autre clôture. Il y avait un panneau sur la clôture qui était en allemand, mais je compris deux mots : « Achtung Minen ».

La colline arrondie devant nous s’élevait distinctement depuis l’autre rive de l’étang, presque en forme de boule, se terminant sur notre droite vers l’intérieur des terres. Sur la droite il y avait un haut plateau aussi loin que l’œil pouvait voir, et qui ressemblait de plus en plus à une falaise avec la distance.

Il semblait à ce stade que je pouvais sortir la tête sans attirer le feu venant de notre droite, comme nous en avions reçu du haut de la falaise et des tranchées au-dessus de la grosse casemate. Il n’y avait que des tirs sporadiques. Cela s’était calmé. Le pied de la colline devant nous commençait à paraître sûr et engageant. Je pensais que ce serait juste une petite course dans l’étang à travers un léger feu ennemi latéral en provenance de la casemate de droite pour nous mettre hors de vue. Cela fonctionna comme dans les manuels, mais avec une aide inattendue et en étant au mauvais endroit au bon moment. Ces faits peuvent être corroborés et j’ai la conviction que c’est la première fois qu’ils sont révélés.

L’aide inattendue vient d’un homme de petite taille, poussant une longue torpille Bangalore sous le câble du talus. Je ne sais pas d’où il venait ; soudain il était là à quelques pas sur ma droite. La torpille était en deux parties. Il s’exposa pour placer la première sous le câble. Je réalisai ce qui se passait et appelai Rummel et Haughey qui répondirent. Je criai « On y va ! » Ils ont dû comprendre pour répondre aussi rapidement.

L’homme à la torpille s’exposa de nouveau pour fixer la seconde moitié de la Bangalore. Puis il inséra avec précaution le détonateur, tourna la tête à gauche (dans ma direction) puis en arrière pour voir s’il pouvait reculer. Il tira la ficelle du détonateur et bondit en arrière. Je me préparai pour le sprint en avant mais rien ne se passa. Le détonateur n’avait pas fonctionné. Après quelques secondes l’homme rampa calmement vers l’avant s’exposant de nouveau. Il retira le détonateur défaillant, le remplaça par un autre et commença à répéter les premiers mouvements.

Il tourna la tête dans ma direction, regarda en arrière, tira la ficelle et fit seulement deux mouvements en arrière quand il tressaillit, et ferma les yeux comme il regardait dans les miens. La mort fut si rapide pour lui. Ses yeux semblaient questionner ou implorer. Sa tête était peut-être à trois pieds de l’explosion mais ne fut pas touchée. Aucun tir des Allemands pendant deux ou trois minutes avant et si seulement deux secondes après, qui sait. Ma tête était à trois ou quatre pieds de la torpille et j’étais près du passage qu’elle ouvrit dans le câble. Mes hommes furent derrière moi mieux que jamais auparavant à l’exercice. Je fonçais à travers les câbles en sautant juste comme ne le faisions à la course d’obstacles. Je courrais tellement vite que je ne savais pas quoi faire de la clôture avant de me retrouver devant. Je plongeai littéralement à travers dans un plongeon latéral. Difficile à croire, j’évitai complètement ces fils. Aucun n’arracha ni ne déchira mes vêtements ni ma peau. J’étais dans la mare en l’espace de dix secondes avec tous mes hommes sauf Schintzel et Galenti. Les troupes sur la plage semblaient se retenir mais plus pour longtemps. Ils nous battirent presque au sommet de la colline.

L’étang était plus profond que je ne le pensais, mais nous avions été entraînés à ne pas jeter nos bouées gonflables dans cette optique. Je n’eus pas besoin de gonfler la mienne, mais quelques hommes le firent. Je me sentais plus en sécurité avec seulement la tête et les bras au-dessus de l’eau. J’étais le premier à sortir de l’étang et comme je m’arrêtai pour enlever la bouée, je regardai vers l’arrière pour voir comment les hommes s’en tiraient. J’entendis appeler mon nom et je me retournai pour voir Dale Heap à peu près à mi-parcours de la traversée de l’étang. Dale était premier tireur d’une des mitrailleuses. Il tenait son bras au-dessus de la tête et montrait son trépied de mitrailleuse. Il disait « Regardez ! Je n’ai pas lâché le trépied non plus ! » Toujours le comique, il était en train de rire. Il avait été touché dans le haut du bras, une bonne blessure dans la chair.

Il tendit le trépied à son deuxième tireur, le premier porteur de munitions prit la mitrailleuse et nous avions une promotion au combat juste ici au beau milieu de l’étang. Dale nous salua avec le bras et fit demi-tour vers la plage. Nous avions maintenant trois hommes de la section hors de combat. Ce fut la dernière fois qu’on entendît parler de Dale jusqu’à ce qu’en 2001 je retrouve son fils Dale Jr. qui vivait près d’Atlanta, Géorgie. Son fils me dit qu’il avait reçu deux blessures sur la plage, ce qui voulait dire qu’il avait été touché de nouveau avant d’être évacué. Il était mort depuis trois ans quand j’ai finalement retrouvé son fils.

Je passai la clôture et pénétrai dans le champ de mines. Je ne vis pas le panneau. Il était cloué sur un poteau de la clôture nous tournant le dos. Cela nous ralentit mais pas trop. Les mines avaient été placées depuis si longtemps que l’herbe au-dessus était morte, facilitant le repérage des plus grandes. Il y en avait de plus petites comme des tabatières plus difficiles à trouver et des mines avec des câbles tendus.

Le meilleur chemin menait à gauche le long de la clôture. J’ouvrais la marche et avais pris peut-être 50 yards d’avance [environ 45 m] quand un homme que je ne connaissais pas passa en courant. Il me dépassait d’environ 15 yards [environ 14 m ] quand il déclencha une mine placée à hauteur de poitrine sur un poteau de la clôture. Elle le coupa en deux et m’éclaboussa. Je fus malade chaque fois que j’y repensais pendant des jours. Cela nous ralentit encore. Tout le monde semblait ravi de me laisser choisir le chemin pour le moment, aussi je décidai d’obliquer vers la colline. Aux deux tiers environ de l’ascension des hommes que je reconnus comme étant de la compagnie B commencèrent à passer et à se déployer sur la gauche. Un autre homme de la compagnie B passa devant moi. Après quelque distance, il marcha sur une mine qui lui explosa le talon. Les infirmiers ne l’avaient pas encore rejoint et il essayait de retirer ce qui restait de sa chaussure quand je repris la progression. Son nom était William Boyd, et à cause de sa taille, nous l’avions surnommé Wee Boy [Petit Garçon]. Il était estafette à la deuxième section, et pensant que son chef de section était devant, il essayait de le rejoindre. Il ne savait pas qu’il n’y avait simplement personne devant nous.

Une autre pause me permit de me retourner vers la plage. Les hommes se ruaient désormais à travers la brèche par laquelle nous étions passés. Par hasard je regardais à notre gauche quand une seconde torpille fit sauter le câble à 300 ou 400 yards [d’environ 274 à 366 m] de l’endroit où nous étions. Les hommes commençaient à progresser par cette brèche aussi rapidement que nous l’avions fait. Je crois qu’il furent les premiers à passer la clôture dans cette zone. Les rapports des Gardes-Côtes ne mentionnent qu’une seule explosion dans ce secteur. Je pense que c’est là que le lieutenant Spaulding est passé, ce qui est enregistré dans une interview avec lui. Moi et mon sergent de section vîmes l’explosion de cette sortie depuis le somment de la falaise.

Je ne peux expliquer pourquoi j’obliquai légèrement à droite à ce moment, mais je suivais un meilleur chemin au milieu des mines. Au bord de la colline le chemin menait à des tranchées. Remarquant des pistes en bas je les considérai comme sûres et m’y engageai pour voir où elles menaient. J’étais armé d’un fusil muni d’un lance-grenade. Je poussai le cran de sûreté, car je savais que si je tombais face aux Allemands je n’aurais certainement pas le temps de le faire avant de tirer. Avec la grenade pointée vers les tranchées, je me penchai au-dessus des tranchées et allai jusqu’au bout sans voir un Allemand.

Les tranchées suivaient le bord vers l’intérieur des terres. En très peu de distance on pouvait regarder de l’autre côté et en contrebas dans les tranchées surplombant la grosse casemate. En revenant aux hommes que j’avais laissés pendant mon repérage des tranchées nous remarquâmes du mouvement dans celles qui se trouvaient de l’autre côté. Les Allemands sortaient ce qui semblait être des caisses et des cartables d’un abri sous-terrain au bord de la falaise surplombant la gosse casemate. Ils utilisaient les tranchées menant vers l’intérieur des terres, loin de l’abri. Ils posaient les choses au bout de la tranchée, en prenant d’autres pour les ramener à l’abri. Ils semblaient échanger des choses ; peut-être des caisses de munitions vides contre des pleines, je ne savais pas.

Je fis mettre une mitrailleuse en batterie et fis ouvrir le feu sur eux. C’était hors de portée pour une grenade à fusil et j’enlevai la mienne pour tirer également. Je vis plusieurs Allemands tomber, la surprise était totale et les autres couraient vers l’abri. A ce moment un homme que je reconnus comme étant l’un des nôtres surgit juste derrière la tranchée et jeta une grenade dans l’abri. Il était arrivé par la falaise sur le côté ouest de l’abri. Je crois que l’homme réalisa que nous tirions sur les Allemands et non pas sur lui parce qu’après avoir jeté la grenade il fit signe à d’autres hommes qui apparurent et jetèrent des grenades également. Les Allemands commencèrent alors à sortir avec des drapeaux blancs et les mains en l’air. Un des pelotons de mitrailleuses avait continué d’avancer pendant ce temps et le peloton qui avait ouvert le feu cessa de tirer pour le rejoindre, car le premier peloton était hors de vue. Je leur ordonnai de les rattraper et m’arrêtai un instant, regardant la scène en contrebas. Les hommes fouillaient l’abri et les tranchées. Soudain des Allemands surgirent par derrière là où ils avaient échangé les caisses. J’ouvrai le feu sur eux et ils bondirent, levèrent les bras et se dirigèrent prestement vers les hommes qui nettoyaient les tranchées. Ces hommes ne savaient pas que les Allemands étaient là. Ils s’empressèrent de vérifier s’il y en avait d’autres.

La situation sur la falaise que j’avais suivie depuis l’autre côté, semblait être sécurisée et comme je partais pour rattraper ma section, un mouvement attira mon attention. De nulle part surgit un véhicule. Il fonçait vers les terres avec ce que je supposai être deux soldats allemands courant après pour le rattraper. D’après ce dont je me souviens un soldat conduisait, un autre était juste derrière lui, et un autre qui se cramponnait mais qui était surtout drogué ; essayant de monter à bord, avec un autre qui les rattrapait quand je les vis. Il semblait que le dernier homme allait être abandonné, mais le véhicule dût ralentir pour négocier un virage à droite, et le dernier homme put se rapprocher suffisamment pour attraper la main tendue par celui qui venait juste de monter. L’homme à bord avait une jambe à l’intérieur et une en dehors du hayon pour pouvoir atteindre l’autre. L’homme derrière le conducteur paraissait juste regarder. Celui à l’arrière réussit à saisir le dernier homme et l’aida à monter partiellement à bord, l’agrippant et étant lui même agrippé par l’autre tandis que le véhicule disparaissait dans les broussailles.

Le véhicule était un semi-chenillé qui fonçait vers les terres quand je l’aperçus. Une chose qui reste marquée dans mon esprit est un arbre solitaire haut de peut-être 15 à 20 pieds, et dont le véhicule semblait provenir. Il y avait très peu de broussailles entre les tranchées sur la falaise et cet arbre. Les Allemands qui avaient tenté de prendre par surprise nos hommes nettoyant les tranchées quelques secondes auparavant étaient arrivés du même endroit.

Le semi-chenillé était plus petit que les nôtres et autant que je m’en souvienne n’avait pas un compartiment profond. Il me semble qu’il n’y avait pas de séparation derrière le conducteur, mais je ne m’en rappelle plus très bien. Je ne me souviens pas si le hayon s’abaissait, mais il semble que les côtés du compartiment étaient de la même hauteur, mais je ne peux pas le jurer. J’eus juste le temps d’épauler mon fusil. La scène ne dura en tout que quelques secondes et je ne tirai aucun coup de feu. Cela n’attira pas l’attention des hommes qui avaient investi les tranchées. J’ai établi depuis que les hommes qui prirent le sommet de cette falaise étaient de la 29ème division.

Je commençai à suivre le peloton mais ils étaient hors de vue et je ne pouvais voir personne devant. Il semblait que tout le monde s’était évanoui. Je rebroussai chemin jusqu’à ce que j’aperçoive de nombreuses troupes obliquant vers ma gauche. Ils quittaient la plage à vive allure. Je pouvais maintenant voir la plage. Elle était encombrée de véhicules et de troupes. Les troupes pénétraient dans les terres. Un tir sporadique d’artillerie allemande se déclencha et je crois que c’était du 88 mm.

Un camion de 2.5 tonnes chargé de bidons d’essence qui roulait le long de la plage reçut un seul obus d’un canon tirant au hasard. A une ou deux secondes près il l’aurait manqué. Il y eut une énorme explosion. Les plus gros morceaux restant étaient la carcasse carbonisée dans le sable et une seule roue, continuant de rouler sur la plage comme si rien ne s’était passé. Ce fut mon dernier regard vers la plage car je me dirigeai vers les terres.

J’allai vers les hommes qui avançaient et leur demandai où était la compagnie B. Ils me répondirent devant, mais il me fallut presque 24 heures pour les rejoindre.

Je débouchai sur une route non pavée et demandai où étaient la compagnie B ou le Premier bataillon et on m’indiqua une route sur la droite. Je n’étais pas engagé très loin sur la route quand je réalisai qu’il n’y avait personne dessus. Je pris à gauche à la route suivante et là la route était complètement déserte. Il commençait à faire sombre et soudain au milieu de la route je tombai nez à nez avec ce que je crus être un char Tigre. J’ai appris depuis que c’était plutôt un canon automoteur. Je me figeai. Il me fallut quelques secondes pour réaliser qu’il était hors d’état de nuire. Je dus réagir bizarrement car j’entendis un gloussement provenant du fossé le long de la route. C’était un avant-poste de parachutistes, juste cinq ou six hommes de garde pour la nuit. Le gros de leur effectif était plus loin sur la route. Ils dirent que des gars à eux avaient détruit le char. Ils me suggérèrent de ne pas aller plus loin, car ils avaient encore des hommes sur la route et ils n’utilisaient aucun mot de passe. Ils utilisaient le désormais célèbre criquet. Je passai la nuit dans le fossé avec eux. Plusieurs fois dans la nuit j’entendis des échanges de criquets quand d’autres éléments les rejoignaient. Je fus surpris de la proximité de certains appels. Ce sont les troupes les plus silencieuses que j’ai jamais entendues.

J’appris que j’avais passé la nuit à portée de voix de ma compagnie quand je la rejoignis. Je rattrapai la compagnie juste au sud de Colleville. Nous passâmes l’essentiel des cinq premiers jours en réserve du bataillon. Je me souviens avoir pris la direction d’une zone boisée pour la nuit et qui je crois était près de Balleroy. Au milieu du secteur nous trouvâmes un homme et femme d’âges mûrs avec une jeune femme d’environ vingt ans. Ils étaient allongés sur le dos, les pieds se touchant presque, et les têtes tournées vers l’extérieur, comme une étoile à trois branches. Ils étaient en tenue de cérémonie. Lui en costume, elle en robe noire, et la fille portait une robe blanche brodée de fleurs roses sur le devant. La moitié des trois corps était envolée. Les autorités locales, du village que nous pouvions voir un peu plus loin, furent amenée sur place et tout ce que nous pûmes en tirer c’était qu’il s’agissait d’un suicide. Ils s’étaient simplement serrés tous les trois avec une grenade à manche allemande au milieu. Le manche de la grenade était encore par terre. Ils étaient soupçonnés de collaboration avec les Nazis. Il y avait aussi une fille plus jeune grièvement blessée mais encore en vie. Le sergent Haughey la pansa de son mieux avec son propre nécessaire de premier secours. On appela les infirmiers et ils l’emmenèrent.

En supposant que ces déclarations soient exactes et qu’il n’y avait aucune troupe américaine devant notre équipe, nous fûmes les premiers à franchir le câble dans cette zone et un important élément de contribution à la reddition des retranchements à l’ouest de E1. Ces emplacements contrôlaient la plage là où nous débarquâmes et nous causèrent le plus de pertes.

Le film Le Jour le plus long montre la destruction du câble comme je l’ai racontée, mais le film la situe à un endroit bien différent de la plage. Il la situe au milieu des falaises et des rochers avec un tronc d’arbre comme protection. Notre plage était différente avec du sable et des galets. Cela m’a déconcerté, car j’ai vu le film. Deux évènements aussi similaires sont difficiles à accepter pour moi. Je sais que les films sont dramatisés mais je n’ai entendu aucun nom mentionné dans le film que j’ai reconnu. Peut-être ont-ils utilisé des noms fictifs, mais les nôtres sont réels ! Ma seule excuse est que j’ai toujours pensé que l’histoire ne serait pas acceptée et que je serais embarrassé. Je n’ai jamais cru bon de le dire jusqu’à présent.

Le film Il faut sauver le soldat Ryan illustre bien la scène où le premier homme franchit le câble, en suivant une torpille Bangalore qui ouvre une brèche dans le câble, et notre dernier livre d’histoire régimentaire du 16ème d’infanterie (Blood and Sacrifice) me désigne comme étant cet homme.

Addition ; 20 mars 2005
J’ai commencé cette histoire en 1990, avant d’entamer des recherches sur Omaha Beach. Les films mentionnés n’identifiaient pas à mon sens les unités concernées. J’ai depuis identifié l’unité comme étant la 29ème Division d’infanterie dans les deux films. Cela se passa sur Dog Green. Un événement très semblable eut lieu sur Easy Red. Ceci est mentionné dans le livre du 16ème d’infanterie intitulé The Fighting First. Voilà qui explique la situation.

Harley A. Reynolds     (20 mars 2005)

Traduction réalisée par François Oxéant.