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Philippe Bauduin
Caen - Calvados
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Le 5 juin 1944 je passai
mon certificat d'études sans qu'aucun signe extérieur
ne puisse nous donner une indication sur les événements
qui allaient survenir. La nuit du 5 au 6 juin ne fut pas très
bonne pour moi car je n'étais pas sûr d'avoir reussi
mon examen. Au matin nous avons entendu un grondement sur la côte,
j'ai regardé un peu dans la rue et j'ai vu, remontant de
la place des petites boucheries par la rue guillaume, un char gazogène.
J'ai trouvé cette chose assez extraordinaire et futile du
fait de cet étrange équipement qu'une seule balle
aurait suffi à arrêter.
A 13h30 nous avons vu les premières escadrilles d'avions
arrivant de l'Ouest. Ils avaient dû passer au dessus de Carpiquet
et de la position où nous nous trouvions, rue Saint Martin,
nous les voyions commencer à larguer leurs bombes au dessus
de Saint Etienne. Tout le centre ville était visé
et bombardé. Là nous avons commençé
à nous cacher et à chercher des abris dans la maison.
Nous avons subit un deuxième bombardement au cours de la
journée, identique au précédent.
Le soir nous avons couché
dans un abri construit par mon père au fond du jardin. Ce
n'était pas très confortable et le temps n'était
pas très chaud.
Journal de la Bataille de
Caen.
Les premières pages,
aujourd'hui disparues, de ce journal relataient d'abord les journées
vécues dans l'abri de fortune installé au fond du
jardin rue St Manvieu. Elles faisaient état du séjour
de la famille à l'Abbaye aux Hommes. Après qu'un tir
d'artillerie eut provoqué la chute de pierres de la voûte
de Saint Etienne, entrainant la mort d'une femme et que Mgr DesHameaux
eut administré une absolution collective, les parents estimèrent
qu'il était nécessaire de trouver un refuge plus sûr
pour nous tous. Nous traversons donc la ville en partie détruite,
passant par la place de la République où la mairie
éventrée laisse apparaître les beaux livres
de la bibliothèque, puis nous traversons la place Courtonne
en nous frayant un chemin à travers les cratères repmplis
d'eau pour arriver enfin à l'Hopital dans un abri situé
sous la clinique. Cet abri avait été utilisé
dès le 6 juin comme antenne chirurgicale par les allemands.
Les alliés s'étant trouvés si près de
là ce premier jour que cet abri fut abandonné en hâte
par ses occupants qui laissèrent sur place des membres meurtris
dans des lambeaux d'uniformes.
.....C'est ainsi toute la
journée. Je fais maintenant la corvée de la soupe.
J'ai fait une belle trouvaille: 20 cigares et 8 cigarettes. Ce soir
il y a un salut. Nous suivons les opérations sur une carte
Michelin.
Samedi 17 juin 1944.
Il faut évacuer, mais papa est de la défense passive
alors il ne part pas. En allant porter les plats à la cuisine
un obus tombe à 50 mètres de là mais nous n'avons
rien. Voici l'article pour l'ordre d'évacuation :
Mairie de Caen - Monsieur le Chef de Groupe,
Vous devez évacuer votre groupe le 17 juin 1944. Voici les
premières consignes: Evacuation immédiate et par groupes
et par vos propres moyens de toutes personnes valides.
Avant la prière du soir en commun une grosse formation de
bombardiers passe au dessus de notre tête. Beaucoup de personnes
sont dehors au beau soleil.
Dimanche 18 juin 1944.
A 7h30 il y a une messe basse. Les anglais ne doivent pas être
loin à cause des combats de chars. Le temps est très
beau, quelques chasseurs bombardiers ont abimé les D.C.A.
Allemandes. A 20h30 c'est le salut.
Lundi 19 juin 1944.
Le temps est très mauvais, je m'ennuie. Cela n'empêche
pas les chars de tirer. Je fais des vers à la dépense
de l'hopital.
Mardi 20 juin 1944.
Le temps est plus beau. Je fais la corvée de café.
Encore des chars ne sont pas loin. J'ai trouvé un éclat
tout bouillant. Je suis en train d'ouvrir des caisses de thon. Nous
sommes obligés de rester par ce beau temps dans l'abri a
cause des obus. J'ai aidé pendant une accalmie à débiter
une vache.
Mercredi 21 juin 1944.
Nous avons commencé une neuvaine pour la paix du sacré
coeur. Le temps est beau, je commence a m'ennuyer. La journée
fut calme sans bataille. Notre maison a reçu un obus de 75
anglais, mais il n'y a pas de grands dégats.
Jeudi 22 juin 1944.
Il fait beau. Vers 14 heures je suis allé à la maison
ou j'ai vu l'obus qui est tombé sur le toit. La maison a
été pillée, les portes et tiroirs ouverts à
la pince ou au revolver. Vers 18 heures des bombardiers ont bombardé
les hauts fourneaux. Vers 21h30 une saucisse est passée au
dessus de nous.
Vendredi 23 juin 1944.
La nuit fut terrible. Les anglais ont attaqué Caen. La journée
fut belle mais impossible de sortir a cause des obus et du puissant
duel d'artillerie. Nous avons tué un boeuf dont j'ai eu les
deux grandes cornes. Pour la première fois depuis le débarquement
j'ai vu une escadrille d'avions allemands.
Samedi 24 juin 1944.
Belle journée. Les avions n'ont fait que passer sur nos têtes
toute la journée pour lâcher des milliers de parachutistes.
Il y eut encore un duel d'artillerie mais moins puissant. Les allemands
de Caen évacuent sur Le Mans ou il y a des défenses
naturelles.
Samedi 1 juillet 1944.
Ce fut une journée de mauvais temps. On a commencé
une petite cabane en bois. Vers 16 heures un homme vint nous dire
que les S.S. sont dans l'hopital et qu'il faudrait évacuer
si on ne se cachait pas. Les allemands nous sortent à coups
de mitraillette mais ils ne venaient pas pour réquisitionner
des cochons.
Dimanche 2 juillet 1944.
Aujourd'hui monsieur Louvet est parti pour Paris. Un car l'enmène
à Livarot pour une mission car il est douanier. Vers 2 heures
l'après midi les croix noires survolent la ville. Quatre
Spitfires arrivent et piquent sur les boches, ceux-ci se défendent
hardiment. Quelques rafales de mitrailleuses et un avion tombe,
je ne sais pas de quelle nationalité il est. 10 minutes après
malgré le très mauvais temps une autre bataille s'engage,
un avion tombe en feuille morte, mais je crois qu'il s'est redressé.
Lundi 3 juillet 1944.
La matinée fut désagréable, l'après-midi
fut jolie. Aujourd'hui le temps est calme au point de vue militaire
sauf quelques coups de canon à 9 heures du soir.
Mardi 4 juillet 1944.
Aujourd'hui ce ne fut qu'une bataille de chars. Les anglais sont
arrivés aux pépinières de Kaskoreff. La journée
fut désagréable. Demain je vais répondre la
messe.
Mercredi 5 juillet 1944.
Ce matin je dois aller chercher du charbon et j'ai été
à Saint Louis. Là vers 9h30 des avions viennent lâcher
leurs bombes au dessus de notre tête. Elles tombent à
200 mètres de nous et encore plusieurs chapelets furent jetés,
deux sont tombés sur l'hopital dont une qui n'a pas éclaté.
Pendant que j'écris encore les bombardiers sont passés
sur notre tête. Nous avons fait connaissance de la machine
infernale : le lance grenade qui fait un mugissement de lion, qui
foudroie les tanks.
Jeudi 6 juillet 1944.
Ce matin encore, les bombardiers ont bombardé les ponts.
La passerelle a été détruite mais il en reste
deux, et ils reviendront demain faire sauter les deux autres. J'écris
à l'aide d'une lampe à acétylène qui
fait des ratés et les femmes la regarde d'un drôle
d'oeil. Des obus ont tués cinq vaches dans le parc. Nous
assistons à une scène de famille qui est fort rigolote.
La journée fut belle pour l'aviation. C'est la plus belle
journée depuis un mois.
Vendredi 7 juillet 1944.
La journée est très bonne. Les avions nous survolent
toute la journée. J'ai assisté a un bombardement par
des pièces de marine. Le soir 450 bombardiers de la RAF ont
déversé sur la ville 2200 tonnes de bombes. La ville
fut un grand brasier. Depuis le début des hostilités
les anglais ont déversé 5000 tonnes de bombes.
Samedi 8 juillet 1944.
La bataille de Caen est commencée. La cuisine a reçu
une bordée d'obus. Le repas de midi fut maigre. L'après-midi
le lance grenades du quai fut mis en action et les grenades passèrent
sur notre tête. La soirée fut terrible. Nous fûmes
arrosés par des obus de marine. Le plus près a éclaté
à 150 mètres. La nuit fut très bonne.
Dimanche 9 juillet 1944.
Ce matin les anglais sont à 500 mètres de nous. On
entend les mitraillettes. A 11 heures les anglais ou plutôt
les écossais arrivent dans l'hopital. Ils furent bien accueillis.
J'ai été pris en photo avec le lieutenant. Ils sont
nombreux dans l'abri. L'odeur du tabac blond monte à la tête.
Le chocolat fut distribué. On entend les départs de
batteries anglaises. Le plus jeune d'entre eux a 19 ans.
Lundi 10 juillet 1944.
Rien à signaler. Je suis a la cuisine des anglais. Vers 5h30
5 obus tombent sur les ambulances, un anglais est tué, deux
français sont tués et deux blessés.
Mardi 11 juillet 1944.
La journée est belle. Je parle avec les anglais quand tout
à coup 6 avions allemands nous survolent. On se rentre. Ils
passèrent toute la journée mais quatre furent abattus.
Je me couche tôt.
Mercredi 12 juillet 1944.
Nous avons reçu des obus. Les anglais s'en vont. J'ai pris
l'adresse d'un que j'ai pris en photo. Des canadiens sont arrivés.
Ils parlent français.
Jeudi 13 juillet 1944.
Nous fumes obligés de rester là toute la journée
a cause du tir de harcelement. La journée fut belle. Le soir
nous préparons une fête pour le 14 juillet.
Vendredi 14 juillet 1944.
L'après-midi il y eut une scéance dont voici le programme
:
La nouvelle grammaire - A la cantine - Avec l'ami bidasse - Une
sérénade - Des histoires de marins - L'homme phénomène
- La confession d'un notaire - Le gendarme est sans pitié
- Le docteur étourdi - La ligne des pieds - Le crochet.
Ce soir je fête la Saint Henri, le prénom de papa.
Samedi 15 juillet 1944.
Aujourd'hui Michel et Marie-Thérèse mes cousins s'en
vont à la campagne. J'ai le cafard, je voudrais bien m'en
aller aussi. On en parle. Aujourd'hui j'écris mon journal
dans l'abri car il y a des obus qui tombent. Un obus est tombé
sur la facade.
Dimanche 16 juillet 1944.
La nuit fut terrible, un obus tombe encore sur le batiment, jamais
deux sans trois, attention au troisième. Nous fûmes
obligés de rester toute la journée dans l'abri. La
journée fut belle. Je vais peut être m'en aller demain
à la campagne.
Lundi 17 juillet 1944.
Le troisième obus est arrivé ce matin. Ce matin j'ai
trouvé les fusées. La nouvelle est confirmée
: je m'en vais tantôt. Les canadiens recherchent des espions
qui renseignent les allemands pour la direction du tir. J'ai découvert
un obus de 105 en face de nous.
A mes Parents
A mon Oncle
Philippe Bauduin
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