Raymond Geddes intègre le 501st
Parachute Infantry Regiment en tant que l'une des toute première recrue
dès décembre 1942. Il servira dans cette unité en tant
qu'opérateur radio dans la Compagnie G jusqu'à sa blessure le
8 juin 1944, à l'endroit aujourd'hui appelé "Dead Man's
corner".
Environ une semaine avant le Jour J, ils
nous ont fait quitter la ville de Lamborne où nous étions stationnés
depuis notre arrivée en Angleterre six mois plus tôt, pour l'aérodrome
de Welford, où nous sommes restés jusqu'au commencement de l'invasion.
A Welford, nous étions une nouvelle fois associés avec le 435th
Troop Carrier Group, une entité avec laquelle nous avions déjà
collaboré, en Angleterre mais aussi en Caroline du nord dès
1943. Nous avons été confinés dans ce qu'ils appellent
la zone de transit, jusqu'au décollage du Jour J. La principale chose
dont je me souvienne à propos de notre séjour dans cette zone
d'attente, c'est que la bouffe était excellente. Peu après notre
arrivée, ce devait être vers le 3 juin, on nous a conduit dans
une grande pièce, et on nous a expliqué ce que serait notre
mission. Notre bataillon, le 3ème du 501st PIR, ne sauterait pas avec
le reste du régiment. Nous devions arriver en Normandie avec le commandant
de la division, le général Maxwell D. Taylor, et avec le groupe
du quartier général de la division. En fait, ce qui s'est passé,
c'est que nous avons été plus qu'une simple force de protection
pour le général Taylor ; on a mené sa poussée
vers la 4th Infantry Division qui arrivait de Utah Beach par la chaussée
N°1.
Le 4 juin, on nous a apporté nos
munitions, grenades et autre, et lorsque nous avons été fin
prêt pour partir, on nous a annoncé que tout était retardé.
Le 5 juin, on a refait la même procédure,
et cette fois on a marché jusqu'au tarmac pour embarquer. Une chose
ressort de mes souvenirs, notre commandant de régiment, le colonel
Howard "Jumpy" Johnson, nous a rassemblés et nous a fait
son fameux discours à propos de "poignarder dans le dos le plus
sinistre des allemands" dont on parle dans les livres d'histoire. Puis,
il a fait quelque chose que je n'oublierai jamais. Nous avons marché
devant lui et il a serré la main de chaque homme du bataillon. Après
le discours du colonel, Nous avons enfilé nos équipements et
les gars de l'Air Corps nous ont aidé à grimper dans les C 47.
Mon platoon était affecté au 77th squadron, et un de mes amis
dans l'avion, le S/Sgt Jack Urbank, en fait connaissait notre pilote, un certain
Lieutenant Harrison, avec qui il avait déjà sauté. Comme
tout le monde, j'ai eu un mal de chien à grimper dans l'avion car j'étais
chargé comme une mule avec mes deux parachutes, 4 ou 5 grenades, une
cartouchière de munitions, ma radio SCR536, un fusil M-1 dans son sac
Griswold, mon sac à dos, gourde, masque à gaz, pochettes de
première urgence, pelle, baïonnette et Dieu sait quoi encore.
Ils nous ont aussi fait porter, en plus de nos caleçons, des caleçons
longs et notre Olive Drab sous notre uniforme de saut qui avait été
imprégné de produit contre les gaz. Inutile de préciser
qu'il nous était très difficile de nous mouvoir. Après
avoir pris place dans nos sièges, le pilote, le Lieutenant Harrison,
est sorti de son cockpit et nous a raconté un truc du genre qu'il allait
nous offrir un très bon vol. Quand nous avons décollé,
il m'a semblé que le soleil venait juste de se coucher. Il était
23 heures 30. des photos du décollage existent, mais aucune du vol
à proprement parler. Rappelez-vous, il faisait nuit.
Le vol vers la France s'est passé
sans incident. Il faisait nuit et cela a pris environ deux heures. J'ai regardé
une fois par le hublot et j'ai aperçu une lumière rouge en bas
quelque part. Puis quelqu'un a dit : "On est au-dessus du sol."
J'ai regardé par la porte. Tout était dans une espèce
de brume éclairée par la lune. Peu de temps après, la
lumière rouge s'est allumée. Et tout la procédure a commencé;
"Stand up and hook up" etc... Puis l'avion a commencé à
nous secouer dans tous les sens d'une manière que je n'avais jamais
connue auparavant. On a aussi commencé à percevoir des explosions
et ce qui ressemblait à de la ferraille qui cognait contre la carlingue.
On a entendu une violente explosion en même temps qu'une grande boule
de feu. Un des avions de notre groupe venait d'exploser en une grande boule
de feu. Quelqu'un a crié; "regardez! Ces mecs sont en feu!"
Je me suis penché et j'ai regardé par le hublot de gauche et
j'ai aperçu des morceaux d'avion en feu, provenant de l'avion près
de nous, qui descendaient en flammes. J'ai vu des balles traçantes
des canons anti-aériens partout dans le ciel, et j'ai compris que les
bruits métalliques provenaient de la flak. En même temps que
d'autres, j'ai gueulé au Jumpmaster "Foutons le camp d'ici!",
ou quelque chose de ce genre. Puis notre avion a piqué du nez et nous
nous sommes accrochés pour ne pas tomber. L'avion s'est rétabli
juste au-dessus du sol. Je ne me rappelle plus ce qui s'est passé ensuite,
mais j'ai appris par le Sgt Don Castona, que le pilote avait dit à
notre jumpmaster, le lieutenant Barker, de venir le voir à l'avant
de l'appareil. Pendant que Barker était dans le cockpit, Castona a
remarqué que l'avion avait viré de bord. Je me souviens qu'on
a commencé à grimper de nouveau et que soudain, la lumière
verte s'est allumée.
Immédiatement, la file de parachutistes s'est approchée de la
porte et a sauté. On allait très vite et le choc de l'ouverture
du parachute a été terrible. Je me souviens avoir aperçu
une ferme en dessous, puis j'ai touché le sol. Mon harnais était
si serré que je ne pouvais me libérer. Il y avait des vaches
tout autour de moi et j'ai essayé d'attraper le poignard que j'avais
à la cheville. Mais il n'était plus là; il s'était
détaché quand le parachute s'est ouvert. J'ai finalement pu
mettre la main sur mon canif, qui était dans une poche à cet
effet dans ma veste de saut, et j'ai détruit des propriétés
du gouvernement en me libérant de mon harnais. Je me suis levé
et j'ai vérifié ma montre d'opérateur radio. J'ai remarqué
qu'elle s'était arrêtée, également à cause
du choc, et qu'elle marquait exactement 1 heure 25 du matin. J'ai toujours
cette montre.
J'étais content de ne pas avoir
perdu mon M-1, qui était rangé dans son sac Griswold. Je l'ai
assemblé et je suis parti, à la recherche de quelqu'un. Il y
avait du bruit dans toutes les directions, des avions au-dessus de ma tête,
et des tirs au sol. Mais j'étais complètement seul. Finalement,
à la lueur de la lune, j'ai distingué des casques. J'ai actionné
une fois mon criquet en signe de reconnaissance de la 101st, et j'ai attendu
les deux clics en réponse. Il n'y eut pas de réponse. J'ai essayé
une nouvelle fois. Toujours pas de réponse. J'allais prendre une de
mes grenades quand, Dieu merci, j'ai reconnu les formes des casques. J'ai
appelé et j'ai découvert qu'il s'agissait de soldats de ma compagnie.
Ils me dirent qu'ils n'avaient pas entendu mon cricket. J'ai réalisé
plus tard que nous avions atterri au beau milieu de la drop zone "C",
exactement là où nous devions nous poser, près de Hiesville.
Une des rares unités de toute l'US Airborne à pouvoir se vanter
de cela. 55 ans plus tard, j'ai appris que notre pilote, le lieutenant Harrison,
avait sauvé nos vies en plongeant pour éviter le feu des canons
anti-aériens qui avaient descendu les deux autres appareils de notre
formation. Il a survolé la DZ, et après s'être concerté
avec le lieutenant Barker, il a fait demi-tour et nous a largués au
milieu de la DZ en volant en sens inverse. il méritait une médaille
et il l'a eu, mais cela a pris 60 ans...
Je n'ai que très peu de souvenirs
entre le moment où j'ai rejoint la compagnie G et le lever du soleil.
Je me souviens que les balles traçantes allemandes avaient l'air magnifiques
en montant dans le ciel à la recherche de cibles. J'ai vu un avion
exploser. Je me souviens aussi être tombé dans un fossé
qui était plein de soldats morts, je ne sais plus s'ils étaient
allemands ou américains. Une chose dont je me souvienne c'est qu'à
l'aube, dès que j'ai pu y voir clair, j'ai pris mon cher canif, ai
baissé mon pantalon et j'ai découpé ces fichus caleçons
qui étaient trop chauds.
Alors que nous étions dans la zone
de rassemblement, notre commandant de compagnie, le capitaine Kraeger, m'a
demandé d'entrer en contact avec d'autres platoons avec ma radio, mais
personne n'a répondu. Aujourd'hui je sais pourquoi je ne pouvais contacter
personne, c'est parce que tous les opérateurs radio étaient
morts. Finalement, on est parti, vers la sortie N°1 d'Utah Beach. Je marchais
sur le côté gauche de la route, et le capitaine Kraeger était
de l'autre côté sur la droite. Je me souviens avoir vu le général
Taylor et un autre général qui, je crois, était Anthony
Mac Auliffe, rendu célèbre par Bastogne. Il y avait aussi beaucoup
d'officiers d'Etat Major qui se baladaient dans le coin. L'histoire dit que
Taylor aurait dit : " Il n'y a jamais eu si peu d'hommes commandés
par tant d'officiers."
Nous avons envoyé quelques éclaireurs
et nous avons progressé vers la plage, qui était à une
bonne distance. En arrivant dans un virage, on est tombé sur une patrouille
allemande et il y a eu un bref échange de coups de feu. Tous les Allemands
ont été tués. Nous avons poursuivi la marche et sommes
arrivés à l'intersection et il y a eu encore des coups de feu,
cette fois provenant d'un sniper. Un major du nom de Legere, qui marchait
avec nous, a été touché et est tombé au milieu
de la route tandis que nous plongions tous dans les fossés. Un infirmier
de notre compagnie nommé Eddie Hohl s'est précipité au
secours du major, et le sniper l'a également descendu. Hohl n'a pas
proféré un son, il s'est juste écroulé sur le
major. Je l'ai appelé pour voir s'il allait bien, mais il n'a pas répondu.
Aujourd'hui encore, cet incident me rend furieux. Hohl portait un casque avec
une croix rouge, et aussi un brassard avec la croix rouge. J'ai espéré
ces 65 dernières années que le sniper qui a tué Hohl
est l'un des Allemands que nous avons descendu un peu plus tard. Je crois
qu'un groupe de nos gars est parti pour chercher ce sniper, mais je n'ai jamais
su s'ils l'avaient eu.
Je me suis rendu en Normandie en 1996, et suis allé à l'endroit
où Hohl a été tué.
Nous sommes repartis le long de la route
une nouvelle fois, et avons atteint Pouppeville, où nous nous sommes
battus avec la garnison allemande. Nous avons encore perdu des hommes, y compris
un platoon leader, le lieutenant Marks, qui menait l'attaque. Le capitaine
Kraeger a été blessé, mais est demeuré avec la
compagnie. A un moment durant ce combat, je me trouvais à nouveau dans
un fossé et plusieurs balles ont déchiqueté le bord du
fossé à quelques centimètres de ma tête. Je suis
vite sorti de là.
Les Allemands se sont rendus après
avoir été repoussés jusque dans la maison qui leur servait
de quartier général, et on m'a confié la mission de placer
les prisonniers allemands dans une grange près du bâtiment servant
de quartier général aux allemands. Beaucoup de ces "allemands"
n'étaient pas du tout allemands. On a réalisé qu'ils
étaient polonais enrôlés dans l'armée allemande.
Quelques-uns uns des gars de la compagnie G parlaient polonais et on a appris
beaucoup de renseignements sur les défenses du secteur de la bouche
de ces prisonniers. On a laissé les corps des allemands là où
ils étaient tombés.
On m'a demandé de ramasser les armes
des allemands qui étaient répandues un peu partout. Je n'étais
qu'un gamin et j'adorais les armes et j'ai décidé de tirer avec
sur les motifs décoratifs qui se trouvaient sur le toit du quartier
général. Dès que j'ai pressé la détente,
j'ai eu des emmerdes. Tout le monde a cru que mon tir provenait d'un sniper.
J'ai eu un moment difficile peu après quand tout le monde m'a engueulé,
surtout notre First Sergeant.
Au bout d'un moment à Pouppeville,
Nous avons vu des soldats américains arriver sur la route. Pour autant
que je sache, de toutes les unités américaines présentes
en Normandie, c'est la compagnie G du 501st PIR qui a été la
première unité aéroportée à faire la jonction
avec la 4th Infantry Division qui arrivait de la plage. Et j'étais
là. C'est là ma seule demande face à l'histoire.
Plus tard cet après-midi là,
nous nous sommes mis en mouvement avec le reste du 3ème bataillon pour
aller protéger les hommes du quartier Général à
Hiesville. Je me souviens, pendant cette marche, avoir vu un parachutiste
étendu face contre terre au bord de la route avec une balle dans la
nuque. Il portait des bottes de saut flambant neuves. Après toutes
ces années, cette image est très précise dans ma mémoire.
C'est drôle les choses qu'on se rappelle, alors que tout le reste du
Jour J est complètement oublié.
Le 7 juin, il n'y a pas eu beaucoup de
combat en ce qui nous concerne, par rapport aux autres. Nous étions
la réserve de la division. On entendait du bruit tout autour de nous
et nous sentions les vibrations des bombardements par l'artillerie. A un moment,
des prisonniers du 6ème régiment de parachutistes sont arrivés,
et nous avons tous voulu voir à quoi ressemblaient nos ennemis. Je
me souviens avoir vu le capitaine Kraeger, qui avait été blessé
à la main gauche, il allait à l'infirmerie de campagne et nous
a dit de faire attention à nous. Je ne l'ai plus jamais revu, et il
a été tué en Hollande. C'était un bon officier.
Plus tard dans l'après midi, alors
que nous préparions nos positions de défense, un planeur Horsa
s'est écrasé près de nous. A la différence du
CG-4A Waco qui est en aluminium et en tissu, le Horsa est en contre plaqué,
qui explose de tous les côtés lorsqu'il s'écrase. Tous
les passagers ont été blessés sérieusement. J'ai
récupéré une Thompson dans les décombres, mais
je m'en suis débarrassé car je n'arrivais pas à la faire
fonctionner.
Le 8 juin s'est avéré être
mon dernier jour au combat de la guerre et avec la G/501. Notre bataillon
venait d'être relevé de sa mission avec le HQ de la 101st et
devait participer à l'attaque sur St Côme du Mont. L'attaque
a débuté à l'aube. Plus tard dans la matinée,
j'ai reçu ma première blessure du jour, à la jambe, d'un
éclat d'obus. J'ai aussi trouvé une montre pour remplacer celle
qui était cassée. Je l'ai prise sur un cadavre allemand qui
n'en avait plus besoin (Je l'ai aussi conservée). On avançait
vers une intersection importante qu'on appelle aujourd'hui "Dead Man's
corner". quand on y est arrivé, on m'a dit que l'opérateur
radio du commandant du bataillon avait été blessé, et
on m'a envoyé pour utiliser le SCR 300 du Lt Col Julian Ewell. Je travaillais
avec le Lt Colonel dans la cour d'une ferme que nous avions capturée.
(A cette époque, la maison était utilisée comme infirmerie
par les Allemands. C'est aujourd'hui un musée). Le colonel Ewell me
faisait diriger le tir de l'artillerie sur les positions allemandes. Soudain,
un obus a atterri dans la cour et un shrapnel m'a blessé à l'oeil
gauche. J'avais la sensation qu'on m'avait giflé. Il n'y avait pas
d'infirmiers américains à proximité, et les Allemands
avaient mis une grande croix rouge sur le toit. Je suis entré pour
demander de l'aide. Un médecin allemand m'a fait asseoir et a examiné
mon oeil. Après un moment, il a dit "Nicht Kaput!". Il a
mis un peu de poudre sur ma blessure et est parti puis, à ma grande
surprise, quelqu'un m'a parlé en anglais. C'était un docteur
du 6ème Régiment de parachutistes. Je l'ai félicité
sur son excellent anglais, et il a dit. "Je n'ai pas de mérite,
j'ai eu mon doctorat de médecine en Angleterre." Comme il s'éloignait
pour s'occuper des blessés allemands, je remarquai qu'il avait oublié
son chapeau près de moi. Je suis sorti avec, et l'ai conservé
jusqu'à ce jour. Au long des années, j'ai tenté de retrouver
le nom de ce docteur, je crois qu'il s'appelait Karl Heinz Roos.
Après avoir quitté l'infirmerie
allemande, on m'a mis dans une jeep avec d'autres blessés, et on m'a
conduit à Utah Beach, pour être évacué vers l'Angleterre.
Pendant que nous attendions d'être embarqué sur un Landing craft,
on nous a dit qu'aucune arme ni munition n'était autorisée à
bord. J'avais caché un billet de 10 dollars dans la crosse de mon fusil
avant de sauter le Jour J. J'ai ouvert le compartiment de la crosse de mon
M-1 et ai retiré le billet que j'ai mis dans mon portefeuille avant
d'embarquer. Quand je suis arrivé en Angleterre, on m'a opéré
à l'oeil. Le chirurgien qui m'a opéré m'a donné
le morceau de shrapnel qu'il a enlevé de mon oeil. Il m'a dit ; "je
peux te renvoyer au front ou te renvoyer chez toi. A toi de décider.
Je lui ai demandé si je pouvais réintégrer la compagnie
G. Il a dit : "Sûrement pas." J'ai pensé qu'ils allaient
me renvoyer là où je n'avais pas envie d'aller et je lui ai
dit que je serais heureux de rentrer chez moi. Quelques semaines plus tard,
je rentrais chez moi en avion parmi l'un des tout premier groupe de blessés
du Jour J à rentrer aux USA.
Quand je suis arrivé à Mitchell field, Long Island, on m'a dit
de prendre mon week end, et retourner à l'hopital le lundi suivant.
J'ai utilisé le billet de 10 dollars que j'avais caché dans
ma crosse pour acheter un billet de train pour Baltimore et rejoindre ma famille.
Raymond Geddes, Jr (22
Novembre 2009)
Temoignage recueilli avec l'aide de Jerry McLaughlin et traduit
par Denis Van den Brink