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Jacques Courcy
Bréville les Monts - Calvados
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J'avais 7 ans et demi en juin 1944
et nous habitions le bas de Bréville où je vis toujours actuellement.
A l'époque il y avait beaucoup de bombardements sur Merville où
les batteries étaient visées en permanence.
Le 4 Juin nous fûmes obligés de quitter la maison, mon père
craignait pour notre sécurité car il y avait un blockhaus, servant
de centre de communications, à 300m de la maison. Il avait peur que
celui-ci ne soit bombardé aussi il nous emmena au château Saint-Côme.
Nous nous sommes installés dans des boxes à chevaux libres alors
que le château lui-même était occupé par les allemands,
comme d'ailleurs le belvédère de Bréville et toutes les
maisons importantes.
Hormis les bombardements intensifs sur Merville nous n'avons jamais ressenti
la préparation d'une grande opération. Par contre dans la nuit
du 5 Juin c'est devenu un bruit énorme et ininterrompu.
Mon père et d'autres adultes
sont sortis dans la nuit, ils étaient très contents. Un planeur
a atterri dans la haie à 200 mètres environ de l'endroit où
nous nous trouvions. Le pilote était blessé sérieusement.
Mon père et ses copains l'ont sorti et l'ont caché dans le talus.
Les femmes sont allées le soigner un peu et le nourrir. Le lendemain
matin il avait disparu.
Après on a vu des types apparaître
qui faisaient des patrouilles. Des anglais tout maquillés, la figure
noire, des branches sur la tête. Ils sont venus voir dans les boxes
ce qui se passait. Cela me faisait un drôle d'effet.
Nous voyions passer aussi des patrouilles allemandes qui se dirigeaient du
château vers le bas de Bréville. Entre Bréville et Gonneville
c'étaient les lignes avancées allemandes, il y avait plein d'armement,
des canons et toutes sortes de matériels.
La journée du 6 juin nous, les
enfants, sommes restés cachés dans les boxes du château
tandis que mon père partait chercher des provisions pour nourrir tout
le monde. Il est parti toute la journée et n'est revenu que dans la
nuit du 6 au 7 à cause des combats. Le 7 Juin, une patrouille anglaise
commandée par le lieutenant Christie du 9th Para est venue demander
à mon père si il avait vu des planeurs posés près
du château. Il les a emmenés à l'endroit où deux
planeurs s'étaient posés pour y récupérer du matériel.
Mais ils se sont fait accrocher par une patrouille allemande qui passait là
à bicyclette, sans dommage pour les anglais.
A l'entrée de Bréville,
dans le petit bois, il y avait une batterie allemande qui tirait sur le château
saint-Côme. Ce sont les commandos qui ont pris cette batterie d'assaut
lors de l'attaque sur Bréville.
Le château a été
détruit après avoir reçu un obus dans la façade.
Il était occupé alternativement par les uns ou les autres suivant
les attaques et contre-attaques. Après chacune d'elles les anglais
retournaient se réfugier à Amfréville.
Tous les jours mon père partait
pour aller chercher à manger ou bien aider les anglais. Il fallait
trouver des ufs, du lait et toutes sortes de choses à manger.
Nous étions une vingtaine réfugiés à cet endroit.
Nous sommes toujours restés dans les boxes mais c'était à
peu près tranquille. Personne ne nous a jamais tiré dessus.
L'activité principale était au château, les boxes n'étaient
que des annexes et ce qu'ils voulaient c'était déloger les officiers
qui se trouvaient dans le château, ce qu'ils ont d'ailleurs fait et
puis occuper le château car c'était quand même un point
stratégique tout comme le clocher de l'église de Bréville.
Nous sommes restés au château
jusqu'au 12 ou 13 juin. Après ces évènements nous sommes
partis du château en nous dirigeant vers Bréville. Le champ menant
à la ferme Godard était le lieu d'un accrochage entre une patrouille
anglaise et une patrouille allemande. Mon père a pris un bâton
et y a accroché un mouchoir a carreaux, ils se sont tous arrêtés
de tirer et nous sommes passés au milieu d'eux dans le champ. Pour
l'anecdote, il m'aura fallu attendre 1984 et les célébrations
du 40ème anniversaire du débarquement pour que je fasse la connaissance
d'un des soldats Anglais protagoniste de cette scène. En effet le dénommé
"Spike" (18 ans à l'époque) faisait partie du groupe
livrant bataille dans le champ en question. Il est resté de cette rencontre
une amitié indéfectible.
Le village était complètement ravagé hormis la mairie
et le belvédère. Nous avons continué vers le bas de Bréville
et la maison mais la zone n'était pas sûre aussi mon père
décida de continuer vers Dozulé.
Nous avons récupéré une carriole et un cheval, les enfants
(une douzaine) montèrent dedans tandis que les adultes marchaient à
pied à côté. Un matelas par dessus la carriole nous protégeait
des éventuels éclats.
Nous sommes partis vers Goustranville mais là le pont avait été
détruit par le bataillon du même Spike cité ci-avant,
et les allemands avaient refait un pont avec des barques. Lors de notre passage
un avion allié mitrailla le pont et les soldats qui se trouvaient aux
alentours. Le cheval s'est emballé, le chariot a basculé et
nous sommes tous tombés à l'eau. J'ai eu la main écrasée
entre le chariot et une barque. Les soldats allemands ont récupéré
des morceaux de peupliers déchiquetés par les balles et m'ont
fait une attelle avec un bandage.
Nous sommes arrivés sur la route de Rouen à Dozulé où
se trouvait un hôpital militaire où nous avons été
soignés par les allemands. Nous avons été reçus
ensuite à Dozulé par Monsieur Auguste Lelaurier.
Nous sommes ensuite partis de Dozulé vers Drubec pour nous y reposer,
nous avons fait un essai de voyage en ambulance mais celle-ci a été
mitraillée. Le maire ayant réquisitionné une vachère
nous avons pu poursuivre notre route et fait étape à Bonneville
la Louvet chez Monsieur Noël avant de continuer vers Vannécrocq
où notre cousin se trouvait déjà .
Au cours d'une halte à la Chapelle
Bayvel nous étions dans une maison et dans la grange à coté
se trouvaient une vingtaine d'allemands blessés. Ce sont des canadiens
qui sont arrivés et qui ont demandé si il y avait du monde.
Ils ont emmenés les allemands et les ont tués à un carrefour
avant de continuer leur progression.
A Vannécrocq nous étions
dans une grande ferme et, de temps en temps, les maquisards venaient se ravitailler
le soir. Un jour un chasseur a été abattu. Nous avons vu le
pilote s'éjecter et descendre en parachute tout près de la ferme.
Mon père et trois de ses copains sont allés récupérer
le pilote, cacher le parachute. Ils ont caché le pilote dans un tas
de foin dans l'angle du mur. Les allemands sont arrivés pour chercher
le pilote. Ils ont sondé le tas avec leurs baïonnettes mais comme
celui-ci était très épais le pilote n'a pas été
touché. Mon père a ensuite contacté les résistants
locaux, ceux-ci ont récupéré le pilote mais je ne sais
pas ce qu'il est devenu.
Nous étions à ce moment dans la première quinzaine d'août.
Nous sommes revenus fin août
à la maison. C'était le chaos. Les portes d'armoire avaient
servi de toit dans les tranchées, les murs et les fenêtres étaient
remplis d'éclats d'obus. La maison était saccagée.
Jacques Courcy   (28
Octobre 2003)
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